Management de la décision : de l’hypothèse de rationalité aux apports récents d
Management de la décision : de l’hypothèse de rationalité aux apports récents de la neurobiologie… comment décider dans un environnement de plus en plus incertain ? Les cartésiens considèrent que l'on peut tout expliquer et tout démontrer par l'analyse scientifique. S'il est bien un domaine du management où l'on aimerait pouvoir appliquer cette approche, c'est celui de la décision en entreprise. Une abondante littérature y est consacrée et sa place dans les programmes est importante. L'enseignement de la décision est marqué par une approche plutôt procédurale visant à expliquer comment on décide. Les étudiants la résument parfois de manière simpliste et mnémotechnique au fameux modèle "IMC" (intelligence/modélisation/choix) rendu célèbre par Simon. La règle quatrième de Descartes précise que "la méthode est la voie que l'esprit doit suivre pour atteindre la vérité". Cependant, l'histoire managériale est traversée de cas d'erreurs d'appréciation et de décisions fâcheuses pour des entreprises. Comment un groupe comme Kodak a-t-il pu ignorer le développement du numérique ? Pourquoi certains dirigeants, appuyés par des conseils d'administrations et conseillés par des armées de consultants et d'experts, ignorent-ils à ce point certaines opportunités ou prennent-ils des décisions aussi fâcheuses et dramatiques ? Dans l'affaire du sang contaminé, alors que le risque était connu dès 1983, les prélèvements de sang sur les sujets à risque augmentèrent en 1984 et le stock de poches à risque est resté sur le marché et remboursé jusqu'en 1985, causant la contamination d'un utilisateur sur deux ! Cette affaire qui a défrayé (à retardement) la chronique illustre bien les errements de la prise de décision et l'absence de logique (puisqu'on connaissait le risque). De nombreux exemples dramatiques existent (explosion en vol de la navette Challenger, incendie du tunnel du Mont Blanc...), aux conséquences humaines lourdes; mais les entreprises sont confrontées tous les jours à une multitude de décisions à prendre, dans un monde de moins en moins "lisibles" où l'incertitude devient la règle. La quasi-disparition des services de planification l'illustre et rend perplexe les analystes. Un paradoxe important apparait alors : dans un monde où la rationalité est érigée en modèle, il faut décider de plus en plus vite avec un flux d'informations qui semble de plus en plus important (multiplication des sources à l'époque d'Internet). Il semble donc de plus en plus difficile de décider et les méthodologies issues des théories de la décision paraissent souvent inopérantes. Carlos Goshn a expliqué en 2003, lors de sa mission de reprise de Nissan, que le fait de ne pas être japonais lui avait permis de décider en se libérant de certaines contraintes. Les résultats pour Nissan furent spectaculaires... Alain Berthoz, professeur au collège de France résume ainsi le paradoxe : "Nous sortons d'un siècle où domina l'illusion que l'homme est rationnel, alors qu'en fait les obscurantismes, la violence, mais aussi des effets divers notamment la panique sociale, n'ont fait que démontrer les forces de l'irrationnel et, en particulier, de l'émotion". Ainsi la problématique actuelle pourrait être la suivante: "comment décider dans un monde de plus en plus incertain et complexe ?" Il convient donc de revenir sur l'hypothèse de la rationalité dans la décision (1) et d'en montrer les limites, avant de mettre en lumière quelques approches composites et alternatives, principalement l'école politique de la décision et le modèle de la poubelle (2), elles aussi limitées. Les neurosciences et leurs apports récents dans le domaine de l'étude de la décision, donnent un éclairage actuel, "biologique" et intéressant sur la décision, réhabilitant surtout le rôle de l'émotion (3). 1. l'hypothèse de la rationalité dans la décision 1.1. De l'homo oeconomicus On attribue parfois ce modèle à Adam Smith même si c'est vraisemblablement Pareto qui aurait le premier employé ce terme, en 1906. L'homo oeconomicus ne retient que son intérêt personnel pour prendre sa décision, il cherche à maximiser son bien-être et gère ses ressources dans le seul but de maximiser son utilité globale. Cette théorie constitue une des bases de la science économique car elle s'applique quelle que soit la situation (certitude ou incertitude). L'homo oeconomicus va comparer les alternatives et faire des choix cohérents qui vont impliquer des coûts. Le gain obtenu va compenser le coût d'opportunité. Un bon exemple actuel pourrait être pris à travers les sites de vulgarisation de trading où l'on propose à des apprentis traders, sans explication sur le marché, de "jouer" à la hausse ou à la baisse en prenant quelques risques...pour générer des gains. Von Neumann et Morgenstern ont montré en 1952 que les individus, dans leurs choix, suivent 5 axiomes de rationalité, en cherchant à maximiser l'espérance mathématique d'une fonction dite d'utilité (ordinale). Il va donc ordonner ses choix. Ce modèle a souvent été défendu par des économistes néoclassiques, car il semble représenter un des fondements du capitalisme, mais aussi par sa simplicité. Robert Solow rappelle en 2001 la faiblesse des modèles alternatifs et l'intérêt d'une approche permettant une économie de moyens. Ce modèle vise à prendre la décision optimale, à travers des modes opératoire ou grilles d'analyse assez simple. On pourrait l'illustrer avec les procédures de secourisme ou de sécurité qui résultent de modes opératoires appris par des instructeurs (on parle d'instructeur de secourisme et d'instructeur militaire) de façon à identifier quelques problématiques récurrentes et les décisions "parfaites" qui doivent être prises. Ces processus sont représentés à l'aide de schémas de type logigramme et valident l'idée qu'il n'existerait qu'une seule bonne réponse à un problème donné. Le domaine de la normalisation en a fait un usage important, pour les besoins de la certification. Voici un exemple de logigramme, fondé sur une approche binaire (réponse par oui ou non à des questions simples) : Source : Source Wikipédia "L'organigramme de programmation" Ce modèle simple a essuyé de nombreuses critiques. On l'attribue souvent à Adam Smith en oubliant que celui-ci a développé une approche sociale du comportement. Les sociologues ont ainsi opposé l'homo oeconomicus à l'homo sociologicus qui décide en fonction de ses conditionnements (éthiques, moraux, cognitifs...). Le rôle de l'environnement est mis en avant. R. Boudon parle d'individualisme méthodologique contextualisé, mais il est impuissant à expliquer nombre de décisions. Les psychologues ont démontré dans les années 70, l'incohérence de ce modèle. La fameuse expérience de Stanley Milgram, popularisée par le film de Verneuil "I comme Icare" a démontré le pouvoir de la suggestion, du conditionnement et de la soumission à l'autorité. L'individu, soumis à une autorité qu'il croit légitime, va prendre des décisions qui s'opposent à sa conscience, par obéissance (celle de donner la mort à d'autres humains). Source : http://rocbo.lautre.net/spip/spip.php?article553 La principale limite est dans la théorie qui suppose la possibilité de calculer des probabilités alors que dans de nombreuses situations actuelles de décisions, les probabilités de résultats sont inconnues. La quasi-disparition des services de planification dans les entreprises et dans les administrations en est la meilleure illustration. Le courant marxiste a également sévèrement critiqué ce modèle qui ne tient pas compte des conflits d'intérêt et de leur poids dans la prise de décision. L'école politique les mettra plus tard en exergue. Le courant psychiatrique critique également ce modèle en introduisant une autre dimension : celle des pulsions et des passions. "L’homo demens" pourrait expliquer quelques comportements subversifs voire suicidaires, à l'opposé de tout calcul. Enfin, plus récemment, les neurosciences ont démonté définitivement ce modèle en démontrant le rôle primitif du cerveau : prendre des décisions rapides, pas forcément exactes. Ce qui conditionne la survie de l'espèce humaine, c'est plus l'adaptation à l'environnement du fait de cette rapidité. Là encore, la bourse fournit de nombreux exemples de décisions ultrarapides, pas forcément exactes (parfois fausses !) prises en fonction de mécanismes non étudiés par l'école de la rationalité (émotion, intuition...). Devant ces critiques, certains auteurs ont cherché à adapter le modèle pour qu'il corresponde à certains types de décisions. 1.2. …à l'hypothèse de la rationalité limitée (Simon) Dans les années 70, les théories de l'organisation ont largement apporté des éléments au débat sur la décision. En revenant sur les travaux portant sur la rationalité, Herbert Simon crée une véritable "école de la prise décision". Il cherche à montrer de manière scientifique que l'individu ne dispose pas des éléments nécessaires pour prendre une décision optimale. Il cherche à montrer que l'individu va retenir la solution "parmi les meilleures possibles, mais plus nécessairement optimale au regard de la rationalité réelle". En fait, il s'agit de mettre en place un processus de rationalisation que l'on a souvent réduit à 3 phases : IMC (intelligence/modélisation/choix). Si cette réduction permet des raccourcis simples pour certains élèves, elle ne pouvait, à elle seule, représenter l'ampleur des travaux de Simon (qui lui valurent le prix de la banque de Suède en 1978, dit "prix Nobel"). Son principal apport a été de travailler sur l'information imparfaite qui caractérise la situation de tout preneur de décision. Son approche est donc très réaliste et facile à illustrer. Ce sont dans les caractéristiques de l'individu que l'on trouve les limites de la rationalité optimale, car nous ne pouvons intégrer une trop grande dose d'informations. Par exemple, le processus de choix devant uploads/Management/ article-decision 1 .pdf
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- Publié le Aoû 10, 2022
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