La place de l'erreur dans l'apprentissage D’après Jean-Pierre ASTOLFI Professeu

La place de l'erreur dans l'apprentissage D’après Jean-Pierre ASTOLFI Professeur de Sciences de l'Éducation Université de Rouen Trois statuts de l’erreur 1. Dans un modèle transmissif, l’acte d’apprendre est représenté comme un simple « tapis roulant des connaissances » qui devraient s’ancrer en mémoire, à condition que les efforts nécessaires d’attention et de concentration soient consentis par les élèves. Dans ce modèle pédagogique, les erreurs commises sont perçues et vécues comme des dysfonctionnements, des fautes qui auraient dû être évités, si les conseils donnés avaient été écoutés et l'attention convenablement dirigée. 2. Avec le modèle comportementaliste, l'erreur prend un visage différent : l'idée est qu'il est toujours possible de faire apprendre une notion, même compliquée, à condition de procéder à la décomposition de ses étapes et difficultés en unités élémentaires aussi limitées qu'il est nécessaire. Avec ce modèle, les erreurs commises sont perçues comme « des bogues » dans la progression pensée par l’enseignant en petites marches, c’est donc à lui qu’il revient de réviser et de réécrire la programmation des étapes. 3. Les modèles constructivistes, en fort développement ces dernières années s'efforcent, au contraire des précédents, de ne plus évacuer ainsi l'erreur mais d'en comprendre la cause et la signification, voire même de prendre appui sur elle pour améliorer l'enseignement. Le but visé est toujours bien de l'éliminer à terme des productions des élèves, mais pour y parvenir on prend le parti de la laisser apparaître, et de s'efforcer ensuite de la traiter. Quittant le statut de fautes condamnables ou de bogues regrettables, les erreurs deviennent à présent les symptômes d'obstacles auxquels la pensée des élèves se trouve affrontée. " Vos erreurs m'intéressent ", pourrait dire le professeur, puisqu'elles me permettent d'accéder au coeur du processus d'apprentissage, avec ses méandres, ses impasses et ses bégaiements. Une typologie de l’erreur Outre les problèmes de lexique, les verbes d’action souvent employés sont énigmatiques pour les élèves. Que signifie pour eux « indiquer, expliquer, interpréter, conclure... » ? Les élèves ont aussi des difficultés pour distinguer dans l'exercice ce qui relève des données à prendre en compte, et ce qui constitue véritablement la question à laquelle il faut répondre. En effet, la question n'a pas toujours la forme interrogative, ou il arrive aussi qu'il y ait deux questions successives, sans que les élèves sachent s'il s'agit d'une simple reformulation ou s'il faut leur consacrer deux développements séparés… Afin d’y remédier, Astolfi propose d’effectuer un travail sur la compréhension des consignes (multiplier les consignes possibles à partir d’un même support, analyser et reformuler des Des erreurs relevant de la compréhension des consignes consignes, etc.). Selon lui, “on peut aussi inverser les habitudes scolaires et proposer une réponse en demandant de retrouver quelle pouvait être la question.” Des erreurs témoignant de représentations alternatives des élèves Les élèves n’attendent pas une leçon pour se donner des explications par rapport à un problème donné. Ces représentations s’avèrent très résistantes aux efforts d’enseignement.  Les bateaux flottent par « nécessité morale » (4-6 ans), il est dans leur " nature " de flotter, ou parce qu’ils résistent, qu’ils « nagent pour ne pas couler ».  On connaît aussi l'exemple classique des dessins obtenus quand on demande de dessiner schématiquement le trajet effectué, dans l'organisme, par un sandwich avalé et une boisson : la persistance du " modèle-plomberie " raccordant directement appareil digestif et vessie, par une sorte de " tuyauterie continue ", est vraiment fascinante. Ces conceptions doivent être prises en compte. On doit les identifier, amener les élèves à en discuter, à les comparer. On voit bien ici qu’apprendre n’est pas seulement augmeter son « stock » de savoirs, c’est aussi et peut-être même d’abord transformer ses façons de penser le monde. Les difficultés du transfert et de l’interdisciplinarité Un autre type d'erreur fréquent concerne le problème du transfert entre disciplines. S'il paraît légitime d'espérer que ce qui a été appris en mathématiques puisse être réinvesti en physique ou en géographie, l'expérience atteste que c'est loin d'être toujours le cas. Pour comprendre les difficultés d'apprentissage, il faut en effet distinguer dans chaque problème posé, entre les traits de structure, qui correspondent aux opérations logiques requises par le problème, et ses traits de surface, ceux qu'on appelle volontiers son " habillage ". Or, l’habillage masque souvent aux élèves la structure, commune à un autre problème déjà résolu.  La lecture d’un tableau à double entrée en géographie peut poser difficulté bien que cette compétence ait été travaillée par ailleurs Des traits de structure et des traits de surface coexistent entre deux disciplines et il faut en être conscient. Le transfert des connaissances est une opération à construire. Pour Jean-Pierre Astolfi, il est indéniable que l’école “doit postuler et organiser un tel transfert”. Des erreurs dues à des habitudes scolaires et à un mauvais décodage des attentes Les erreurs peuvent aussi résulter d’habitudes scolaires qui “conduisent à des résolutions coutumières qui font l’économie d’une construction notionnelle”.  "les hommes avaient marcher" (" quand 2 verbes se suivent, le 2nd est à l'infinitif ") Ce qui caractérise l’élève, explique Y. Chevellard, c’est qu’il raisonne « sous influence » par le jeu du contrat didactique. Des erreurs peuvent donc venir d’un mauvais décodage des attentes.  Résoudre un problème, c’est prendre les nombres de l’énoncé et faire l’opération étudiée en ce moment en classe  Si la réponse ne tombe pas sur un nombre décimal, c’est probablement que je me suis trompé.  En CP, L’exercice de « chasse au son » n’est pas forcément reconnu avec la consigne « citez les animaux qui sont invités à rentrer dans la maison du loup », la question de sens obnubilant certains élèves. Pour remédier à ces obstacles didactiques, il s’agit d’analyser le contrat didactique en vigueur et de procéder à un travail critique sur les attentes. surcharge cognitive Parler de la mémoire à l'école évoque plutôt immédiatement celle à long terme, celle qui est en jeu quand il faut apprendre la leçon et réviser les examens. Au quotidien des activités scolaires, la mémoire de travail est au moins aussi importante. On sait depuis longtemps que les limites de celle-ci sont vraiment drastiques. En situation de surcharge cognitive, les élèves oublient certains éléments du problème, ils perdent le sens du problème et ne savent plus où ils en sont.  En résolvant un problème, ils comptent sur leurs doigts pour faire les additions, ils doivent ne pas oublier les retenues, ils conservent en tête les résultats intermédiaires et les multiplient, etc… et ne savent plus où ils en sont...  Si l'orthographe est généralement moins bonne en production de texte qu'aux dictées, c’est que pour réussir la dictée, la totalité de l'espace de traitement de la mémoire de travail est employée à la recherche des bonnes formes graphiques. La production de texte est, au contraire, une activité à " tâches partagées ". Il faut, en parallèle, chercher les idées, les organiser en paragraphes, vérifier la syntaxe de chacune des phrases et, au milieu de tout cela, contrôler aussi l'orthographe. La charge mentale de l’activité devrait être mieux évaluée et l’activité décomposée en sous- tâches, plus faciles à gérer au niveau de la mémoire. Erreurs liées aux opérations intellectuelles à mobiliser ou à la non-maîtrise d’un pré-requis On a coutume de considérer comme proches certains problèmes, et d'imaginer trop facilement que savoir en résoudre un permet de résoudre la série. C'est le cas, en apparence, des problèmes d'addition. Or, ceux qui correspondent à une augmentation, à un gain ou à un accroissement, sont toujours réussis plus facilement et plus précocement que ceux qui correspondent à une perte (Vergnaud, 1981).  Par exemple, si Pierre possède 7 billes, qu'il joue une partie et en gagne 5, tous les élèves du CP ou du CE1 trouvent sans difficulté particulière que l'état final sera de 12 billes. Mais s'il reste 7 billes à Paul qui vient d'en perdre 5, et qu'on demande cette fois combien il en possédait avant de jouer, nombreux sont les élèves de CM qui hésitent encore ! Un certain nombre propose régulièrement comme réponse : 2 billes (alors que c'est 12 bien sûr !) parce qu'il est plus difficile d'ajouter des billes quand elles ont été perdues (par Paul) que si elles ont été gagnées (par Pierre).  . La maîtresse a 42 cahiers dans l'armoire et le directeur lui en apporte un carton ; elle en a maintenant 67. Quel est le nombre de cahiers apportés par le directeur? La soustraction est contre-intuitive, jusqu'au CM2 compris, car les élèves ajoutent spontanément les cahiers qu'apporte le directeur (Brissiaud, 1994). L’erreur peut parfois s’expliquer aussi par la non-maîtrise d’un pré-requis nécessaire à l’opération intellectuelle à mobiliser.  Impossible d’accorder le verbe quand on ne sait pas trouver la personne du sujet quand celui-ci ne se présente pas sous la forme d’un pronom personnel (Paul et Marie = ils) Le traitement didactique passe par une meilleure hiérarchisation des exercices et activités apparemment semblables. Des erreurs dues à des démarches étonnantes Certaines productions d’élèves uploads/Management/ astolfi-typologie-erreur 1 .pdf

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  • Publié le Sep 30, 2022
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