BULLETIN DU CHTV N° 3, MARS 1982 «Le choix et l'invention des programmes en 194
BULLETIN DU CHTV N° 3, MARS 1982 «Le choix et l'invention des programmes en 1946» Par Bernard HECHT Bulletin du comité d’histoire de la télévision I Contact@chtv.frI http://www.chtv.asso.fr Le choix et l’invention des programmes en 1946 Le choix et l’invention des programmes en 1946 Par Bernard Hecht La télévision prend son bien où elle le trouve : au théâtre pour commencer. À la fin de l’année 1945, la télévision n’est rien d’autre qu’un projet, une tentative généralement ignorée du grand public 1, à telle enseigne qu’il apparaît nécessaire de faire à la Radio une propagande utile pour évo- quer les possibilités offertes dans un avenir proche. Au début de l’année 1946, Michel Robida est chargé d’une suite d’émissions : "Où en est la Télévision ?" afin d’éveiller la curiosité des auditeurs, public tout dé- signé, spectateurs potentiels semble-t-il 2. Michel Robida interroge René Barthélémy, Stéphane Mallein, Jean Delvaux, André Ory, Jacques Armand. Ce dernier, responsable du Service des programmes, décrit ainsi les premières émissions : "Certains programmes sont destinés aux constructeurs. Actualités anciennes, docu- mentaires, films de long-métrage. Nous réalisons une heure d’émission en direct tous les vendredis. La télé- vision en direct réclame un synchronisme parfait dans l’exécution des tâches d’une trentaine de personnes". Jacques Armand devait en première urgence constituer une équipe de production, réalisateur en tête, pour- voir certains emplois originaux, inconnus de l’administration des services artistiques de la Radiodiffusion so- nore. Où trouver le personnel adéquat, susceptible de se laisser tenter par l’aventure, de se gager pour peu d’argent dans des travaux sans gloire ? Au théâtre, au cinéma, à la radio ? Un peu partout, ceux qui postu- laient une fonction dans le service des programmes de la rue Cognacq-Jay le firent avec d’autant plus d’em- pressement que leur qualification professionnelle demeurait incertaine. D’autres, qui avaient travaillé dans les studios de cinéma, cherchaient une occupation plus régulière et moins chanceuse. Au lendemain de la guerre, le cinéma français hésitait à produire des films faute de capitaux et de biens d’équipement. Une orga- nisation nouvelle était en cours. La télévision était considérée par certains comme une porte de sortie en at- tendant mieux. Dans la période aventureuse d’une télévision balbutiante, le personnel de plateau pouvait, se- lon les cas, se prévaloir d’un rattachement à la hiérarchie technique ou au contraire n’être tributaire que du secrétariat des programmes. En bien des cas le partage n’était pas d’une complète évidence, ni d’une logique irréfutable. Jacques Armand décidait de l’émission à faire, l’inventait quelquefois, s’appliquait à tenter des expériences selon des formules différentes, avec cette nécessité contraignante de devoir pratiquer une économie sordide. Les tout premiers réalisateurs d’émissions dramatiques venaient du théâtre, sans doute séduits par l’attrait d’un genre nouveau où il suffisait de savoir appliquer avec discernement les préceptes traditionnels de la mise en scène théâtrale. Ils se nommaient Jacques-Henri Duval 3, Jean-Jacques Daubin, Marcel Herrand 4, Maurice Jacquemont 5, André Certes 6, Roland Pietri7 Michel Vitold. Ceux-là ne firent qu’un essai modeste et la courte séquence dramatique qu’ils proposèrent — un acte ou un extrait — tenait plutôt de l’exercice de style. D’autres renouvelèrent leurs tentatives, dans l’enthousiasme sans prétention d’un laisser-aller qui se contentait d’à peu près. Max de Rieux, par exemple, que sa fonction de directeur de la scène à l’Opéra dési- Bulletin du comité d’histoire de la télévision I Contact@chtv.frI http://www.chtv.asso.fr Le choix et l’invention des programmes en 1946 gnait tout particulièrement pour la réalisation d’ouvrages lyriques 8. Ces pionniers du spectacle télévisé concevaient l’émission dramatique comme une représentation entre cour et jardin, dans un décor à trois pans. Ils improvisaient un découpage désordonné dont le principe était de passer d’une caméra à l’autre pour profi- ter des plans attrayants que le hasard leur proposait quelquefois. Les comédiens jouaient à la face, devant un public imaginaire, et ne manquaient pas de s’adresser à la caméra, pour prendre à témoin le spectateur. La disposition des meubles et des accessoires respectait la symétrie d’une plantation théâtrale entre cour et jar- din, s’inspirait servilement des indications portées sur la brochure. Les metteurs en scène — réalisateurs, conscients du grossissement apporté par l’objectif et le microphone, recommandaient à leurs interprètes de rester sobres dans leur mimique, car il était du plus mauvais effet de vouloir passer une rampe qui d’ailleurs n’existait pas. Le comédien devait savoir s’adresser, sur le ton de la confidence, au spectateur isolé assis chez lui devant son poste. Le dialogue souvent poussiéreux de ce théâtre de répertoire posait quelquefois de redoutables problèmes à la sagacité du thaumaturge. Par quel biais tradui- re valablement "l’aparté", ce clin d’œil au public, cette connivence entre l’interprète et le spectateur, cette concession au public des troisièmes galeries ? Les premiers spectacles dramatiques montés à la Télévision proposaient un singulier attelage, à la façon dont en 1895 le véhicule Dedion-Bouton, accouplait une calèche et un tracteur automobile. À la fin de l’année 1947 commença à fonctionner un autre service de production qui, dans un genre très dif- férent et avec encore beaucoup moins d’argent, proposait plus ou moins régulièrement, le mercredi après- midi, des programmes spécialisés, à recevoir dans un établissement d’enseignement public où des récepteurs avaient été installés pour la circonstance. Il s’agissait du service de la "Télévision Éducative" : on désignait par-là une télévision à l’usage des lycéens ou des enfants des écoles placée sous la responsabilité d’un professeur de physique de l’enseignement secon- daire, Adrien Delatour. Auprès de lui, on trouvait Jeanne Haslé, institutrice détachée de l’Éducation Natio- nale, et une secrétaire polyvalente Nicole Teissère. J’étais là, moi aussi, apprenti réalisateur, et toute cette équipe surprenante dans ses ambitions — car il était bien étrange de vouloir faire de l’enseignement par télévision, à une époque où la télévision comptait si peu — travaillait d’arrache-pied dans les deux bureaux situés à l’extrémité gauche, du septième étage. C’est là, que le 15 juin 1948, Denise Billon vint nous rejoindre et pour qu’elle puisse m’aider efficacement une semaine plus tard à la réalisation d’un programme sur "l’art contemporain" (Congrès inter- national de la critique d’Art, le 23 juin 48), je m’efforçais de lui apprendre la télévision, une télévision dont au demeurant je ne savais pas grand-chose. Barma et Margaritis avaient eu pour exigence de se faire aider d’un assistant. Pour authentifier ma fonction de réalisateur, je voulus de la même façon pouvoir disposer d’un collaborateur "à ma botte". Ainsi le service des émissions éducatives d’Adrien Delatour, marginal rela- tivement au service des programmes de Jacques Armand, fut complété par Marcel Bluwal qui, après un stage au service cinématographique de l’armée, travaillait dans une société de doublage dirigée par Pierre Cholo- denko. Bluwal ne tarda pas à s’affranchir des grandeurs et servitudes de l’Éducation Nationale. Le personnel exploitant de la rue Cognacq Jay, le personnel qui participait à la réalisation des programmes, cherchait volontiers ses modèles dans la profession cinématographique, où le savoir-faire, le partage des res- ponsabilités selon de rigoureuses définitions d’emplois, fut pour beaucoup et pendant bien des années, un exemple prestigieux dont il fallait s’inspirer. Volontiers, les néophytes que nous étions s’attachaient à célébrer les mérites d’une image expressive. On le prétendait trop vite et trop facilement : la télévision devait s’affirmer à partir de la signification plastique de ses images, ce qui était d’ailleurs, par le biais d’un argument esthétique, une bonne façon de s’affranchir d’une radio trop facilement tutélaire et protectrice9. Dès cette époque, ceux qui travaillaient sur le plateau à la réalisation des programmes, revendiquèrent un droit de parenté — droit moral tout au moins — avec les professionnels qui, au cinéma, exécutaient des Bulletin du comité d’histoire de la télévision I Contact@chtv.frI http://www.chtv.asso.fr Le choix et l’invention des programmes en 1946 tâches à peine différentes. Pourtant l’équivalence était en bien des occasions tout à fait contestable. De toute évidence le rôle du cameraman de direct qui, au moment du passage à l’antenne doit savoir retrouver la suite des emplacements et des mouvements de son appareil, se distingue de celui du cadreur de film. Celui-ci n’a pas à témoigner d’une semblable mémoire visuelle, mais il doit, en compensation, apporter plus de rigueur et de précision dans la composition des images qu’il enregistre. De même, le preneur de son qui, installé en ré- gie, réalisait un savant dosage à partir d’un ensemble de micros fixes, ignorait la perche et ses manœuvres habiles. On parlera plus longuement du métier de la scripte de direct, aujourd’hui disparu, et aussi du travail de réalisateur également oublié. À la suite de Jacques Armand, de Barma et de quelques autres, la télévision s’engageait de gaîté de cœur dans une voie en impasse où les réussites cinématographiques étaient présentées comme des modèles inéga- lables. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de voir une télévision malhabile avec son seul studio10, ses décors de châssis entoilés, dans l’obligation de transmettre en direct, c’est-à-dire en continuité, à partir d’un texte dra- matique écrit pour être joué sur une scène de théâtre, redoubler d’efforts et d’imagination pour imiter le film de distribution. L’ambition avouée uploads/Management/ bulletin-chtv-3-hecht.pdf
Documents similaires










-
27
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 16, 2022
- Catégorie Management
- Langue French
- Taille du fichier 0.1531MB