- 58 - De l’approche communicative à l’ « approche communic-actionnelle »1 : un

- 58 - De l’approche communicative à l’ « approche communic-actionnelle »1 : une rupture épistémologique en didactique des langues-cultures Claire Bourguignon Maître de Conférences HDR, IUFM de l’Académie de Rouen Résumé : Le Cadre Européen Commun de Référence pour les langues, ouvrage de référence en matière d’enseignement/apprentissage aujourd’hui, fait entrer la didactique des langues dans une nouvelle ère avec la « perspective actionnelle ». En décloisonnant l’apprentissage et l’usage et en reliant la communication à l’action sociale, le CECR bouleverse les représentations traditionnelles de l’enseignement/apprentissage/évaluation des langues-cultures tant au niveau des pratiques d’enseignement que des processus d’apprentissage. Or, pour que ce changement aboutisse, il faut que les acteurs concernés comprennent en profondeur le changement de paradigme qui s’opère. Tel est l’objectif de ce travail qui vise à ce que de l’ « ère communicative », nous passions à l’ « ère communic-active » autour d’une approche qui ne soit plus seulement « communicative » mais « communic-actionnelle ». Mots clés : perspective actionnelle, communication, action sociale, représentation, approche communic-actionnelle. Abstract : The Common European Framework of Reference for Languages which is commonly used today in the field of language teaching and learning paves the way for a new era in didactics. By linking language learning and language use together with communication and social action, the CEF causes a deep change in the traditional representation one can have of teaching, learning and assessing a language. Yet, for this change to be accepted, those concerned need to have a deep insight of what is actually taking place. The purpose of this work is precisely to help with the shift from the “communicative” era to the “communic-active” one by referring to an approach which encompasses the communicative one and leads to the “communic-actional approach”. Keywords : action-based approach, communication, social action, representation, communic-actional approach. Introduction Ce travail vise à apporter une réponse aux difficultés que rencontre l’enseignement/ apprentissage des langues-cultures aujourd’hui en France. Nous pensons qu’une des raisons se trouve au niveau de la disjonction « apprentissage » et « usage » qui est profondément ancrée dans la représentation traditionnelle de l’enseignement des langues. Pourtant, même s’il est très difficile d’expliquer les origines du langage, il est à peu près certain que le langage s’est développé lorsque les tribus sédentaires se sont nomadisées et ont eu besoin de se faire comprendre et de faire du commerce, entre autres. On s’aperçoit dès lors que c’est le « besoin de… » qui suscite la parole. A partir de là, comment concevoir que l’apprentissage d’une langue ait un sens s’il est déconnecté d’un objectif à - 58 - - 59 - atteindre à travers un usage de ladite langue, autrement dit à travers une « action ». Le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues est à cet égard porteur d’espoir à condition que sa lecture amène une réflexion didactique sérieuse. Le Cadre Européen Commun de Référence2 (CECR), ouvrage de référence aujourd’hui pour l’enseignement/apprentissage/évaluation des langues en Europe, fait entrer la didactique dans une nouvelle ère. Néanmoins, pour la plupart des lecteurs de cet ouvrage, le CECR n’est autre que le « mode d’emploi » de l’approche communicative, approche en vigueur pour l’enseignement/ apprentissage des langues depuis une trentaine d’années. Ceci apparaît clairement dans le rapport l’Inspection Générale des langues d’avril 20053: « Le CECR définit des axes essentiels, avec une terminologie commune, pour les problématiques et leurs réponses et notamment une échelle commune de six niveaux de compétences (A1, A2, B1, ...), la reconnaissance de la notion de ‘compétences partielles’», la priorité donnée à l’approche communicative, une définition du plurilinguisme ancrée dans une approche multiculturelle ». On ne peut que regretter que le CECR fasse l’objet d’une lecture « sélective » et que l’on n’y voit qu’un « renforcement » de l’approche communicative alors que la « perspective actionnelle » annoncée devrait et doit permettre de sortir l’enseignement/apprentissage des langues-cultures de l’impasse dans laquelle il se trouve. Ceci est d’ailleurs clairement exprimé par l’ Inspection Générale qui souligne dans son rapport qu’ « il y a matière à s’interroger sur les performances de notre système éducatif »4 en faisant référence à l’évaluation conduite en 2002 sur les compétences en anglais des élèves de 15 à 16 ans dans sept pays européens. Cette évaluation fait, en effet, apparaître que les élèves français ont des compétences moins bonnes en 2002 qu’en 1996 ! Même si, en raison des paramètres retenus pour une évaluation, il faut être très prudent dans l’interprétation des résultats, cette constatation mérite qu’une réflexion sérieuse s’engage sur les orientations à suivre en matière d’enseignement/apprentissage des langues. L’objectif de cette communication est, précisément, d’analyser les nouvelles orientations didactiques impulsées par le CECR, la réflexion épistémologique qu’elles supposent et qu’elles imposent ainsi que les incidences au niveau de la pratique. Il sera présenté dans ce cadre, non pas LA solution mais UNE solution au problème auquel se trouve confronté l’enseignement/apprentissage des langues-cultures aujourd’hui. Néanmoins, dans un premier temps, une présentation de l’ « approche communicative », qui préside à l’enseignement/apprentissage des langues-cultures en France depuis les années 70, est nécessaire pour situer clairement la nouvelle perspective, la « perspective actionnelle ». I. Panorama de l’ « ère communicative » : des années 70 à nos jours Il y a une trentaine d’années, le terme « méthode » ou « méthodologie » fut remplacé par celui d’ « approche », avec le passage de la « méthodologie Structuro Globale Audiovisuelle » à l’ « approche communicative ». Le passage d’une « méthodologie » constituée, centrée sur l’objet langue, à une « approche », méthodologie ouverte et non dogmatique, correspondait à un véritable tournant épistémologique. Pour les raisons que nous allons expliquer ultérieurement, ce virage ne fut pas pris. Dans les premières années de cette approche, l’enseignement traditionnel de la langue autour d’exercices portant sur la grammaire et le lexique, fut remplacé par la mise en place, en classe, de situations de communication empruntées au monde extérieur. « On n’apprenait plus la langue, on apprenait la communication » ! A une progression basée sur la grammaire, on substitua une progression basée sur une succession de situations utilisées pour l’acquisition de « compétences de communication »5. Dans de nombreux cas, cela se fit au détriment de la connaissance de la langue. A la mémorisation de structures langagières, on substitua la mémorisation d’énoncés stéréotypés avec l’apparition de ce qui fut appelée l’ « approche notionnelle-fonctionnelle ». Ceci suscita de nombreuses critiques et un retour en force des défenseurs des méthodes traditionnelles (ce qui est souvent le cas, d’ailleurs, lorsqu’un changement ne fait pas l’objet d’une réflexion - 60 - susceptible de modifier les représentations). Il n’était pas rare, à l’époque (c’est encore parfois le cas aujourd’hui, d’ailleurs !), d’entendre, voire de lire, « avec les nouvelles méthodes de langue, les élèves ne savent plus rien en langue » dans le même temps que certains enseignants se disaient être enseignants de langue et non de communication ! A la fin des années 80, on assista, dans le discours officiel, à une évolution par rapport à l’approche notionnelle-fonctionnelle. Les programmes auxquels les enseignants devaient de rapporter ressemblaient plutôt à des référentiels, avec des objectifs à atteindre autour des 4 compétences, qui, dans les Instructions Officielles, constituent « la compétence de communication », à savoir, la compréhension écrite et la compréhension orale, l’expression écrite et l’expression orale. Dans ce cadre, l’objet langue en tant que tel n’est plus au cœur de la relation d’enseignement/apprentissage mais c’est l’apprenant qui est mis au centre de la relation. Cela ne voulait pas dire comme certains le prétendaient que l’enseignant devait faire ce que les élèves voulaient mais il devait les amener à se forger progressivement un outil pour exprimer ce qu’ils avaient envie ou besoin d’exprimer, à s’approprier des savoirs pour construire des savoir-faire. Dans cette logique, apprendre à communiquer voulait dire développer une compétence dans les quatre compétences pré-citées. Cette deuxième période entraîna un grand désarroi chez les enseignants de la formation initiale habitués à construire un « cours » à partir de « savoirs » à transmettre plutôt qu’à s’engager dans une démarche heuristique en construisant un « parcours d’apprentissage » autour d’un « projet didactique » dans le cadre de « séances » regroupées en « séquences ». Dans les premières années de l’approche communicative, le cadre notionnel-fonctionnel sécurisait les enseignants. L’évolution des années 80 avec le passage du paradigme de l’enseignement à celui de l’apprentissage entraîna un désarroi encore plus grand que celui des années 70. Ils n’avaient plus aucun repère et faute de réflexion didactique accompagnant cette évolution, ils « se raccrochèrent » à ce qu’ils connaissaient. Bien évidemment, cela allait à l’encontre de l’évolution espérée. Il faut dire qu’en faisant la « part belle » à l’apprenant, l’approche communicative ne s’occupe guère de l’enseignant ! Comment cela se traduit-il dans la pratique ? La substitution des « cours » par la séquence passe par le remplacement de l’étude d’un « texte » par l’étude d’un « thème » uploads/Management/ claire-bourguignon-de-l-x27-approche-communicative.pdf

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  • Publié le Jui 06, 2022
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