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02/03/2015 De la responsabilité http://epublications.unilim.fr/revues/as/2435 1/14 De la responsabilité Claude Zilberberg publié en ligne le 04 octobre 2007 Plan 1 – L’assiette sémiotique de la responsabilité 1.1 – L’appareil sémiotique de la responsabilité 1.2 – La conséquence comme problème 2 – Physionomie du désastre 2.1 – Centralité du désastre 2.2 – Le parti de Voltaire dans Zadig 3 – Développement de la responsabilité 3.1 – Responsabilité et modes d’efficience 3.2 – Le jugement éthique 3.2.1 – La question du nombre 3.2.2 – La question de l'étendue 3.3 – Grandeur et misère de la responsabilité 4. Pour finir Texte intégral La plus importante condition du mal que se font les hommes entre eux, ou plutôt de l’atrocité de ce mal, car ce mal est nécessaire, est l’idée invincible et absurde de la responsabilité1. Valéry 1 – L’assiette sémiotique de la responsabilité Guidé par les réflexions de H. Arendt, nous avons, dans un précédent travail, envisagé la complémentarité temporelle et modale de la promesse et du pardon, de la promesse qui actualise ce qui n’est pas encore, du pardon qui virtualise, s’il est accordé, ce qui a eu lieu. Il est raisonnable de supposer que les cultures n’attachent pas le même prix à la promesse et au pardon et que, par exemple, l’activisme occidental est plus sensible à la promesse qu’au pardon : «Cette supériorité [d’un groupe d’hommes liés par une promesse] vient de la capacité de disposer de l’avenir comme s’il s’agissait du présent : (…)2» À l’inverse, le monde ancien, façonné par le christianisme, semble avoir “préféré” le pardon à la promesse. L’interdépendance de la promesse et du pardon est double : (i) elle peut être manifestée dans le discours par les deux syntagmes possibles : promettre de pardonner, se faire pardonner d’avoir promis sans tenir ; (ii) l’interdépendance peut surtout être introduite dans les définitions sémiotiques respectives de la promesse et du pardon. Dans un fragment incisif des Cahiers, Valéry avance une définition de deux grandeurs discursives majeures, solidaires des modes d’existence : «Notion des retards. Ce qui est (déjà) n’est pas (encore) – voici la Surprise. Ce qui n’est pas (encore) est (déjà) – voilà l’attente3.» Si nous convenons de voir dans le déjà et dans le encore les marques respectives de la saisie et de la visée, nous pouvons, moyennant un ajustement, les rabattre sur le couple examiné : Ce qui n’est pas (encore) est (déjà) – voilà la promesse. Ce qui est (déjà) n’est (plus) – voici le pardon. Pardelà leur divergence, la promesse et le pardon présupposent la responsabilité : qui prendrait en compte la promesse d’un sujet jugé irresponsable ? qualifier un sujet d’irresponsable n’estce pas déjà lui pardonner ? 02/03/2015 De la responsabilité http://epublications.unilim.fr/revues/as/2435 2/14 1.1 – L’appareil sémiotique de la responsabilité Affirmer la responsabilité d’un sujet à propos d’un advenir identifié, c’estàdire circonscrit et dénommé, revient à construire ce sujet. À cet égard, la responsabilité est ternaire : elle projette en discours un sujet de la visée, un faire ayant capacité à réaliser la visée déclarée, et des conséquences. Mais cette formulation est fautive, car ces grandeurs n’existent que par les solidarités, les couplages que justement cet inventaire suspend : couplage du sujet et de “son” faire , couplage du faire et des conséquences, et par transitivité – et l’allégation de la responsabilité tient cette transitivité pour acquise – couplage du sujet et des conséquences. Ce triplet analytique est mis en place par Valéry en ces termes : «La moralité consiste à personnaliser à tout prix 1° l’acte du sujet – 2° les conséquences de l’acte. La fameuse liberté n’a d’autre objet et fonction que de rendre l’acte infinimentpersonnel. La responsabilité n’a d’autre objet et fonction que de faire peser sur ledit sujet à toutprix les conséquences de l’acte4.» Chacune de ces affirmations appelle un bref commentaire. La “personnalisation” consiste à déterminer, à partir d’une liste ouverte de candidats possibles et plausibles la grandeur susceptible d’être investie de la qualité d’agent intentionnel. Ainsi que l’indique Saussure dans le CLG, une entité est déterminée lorsqu’elle est «délimitée5», Cette détermination peut excéder l’unité et porter sur un nombre, mais tout nombre comporte sa limite, il est même cette limite. Cette détermination est moins un prédicat qu’un faire qui concentre la “zone sémantique” dans une seule case et fait échec à sa diffusion. Cette problématique est, par nécessité de structure, également celle de R. Girard. Selon la leçon des dernières pages de La catégorie des cas de Hjelmslev, le sens doit faire connaître la décision qui est la sienne en matière de densité : concentration ou diffusion ? La langue française est ici précieuse qui oppose l’indéfini infiniment ouvert : “personne” à “la personne“, puis, après capture de l’“accent de sens”, à “cette personne”, enfin par emphase à “cette personneci”. La responsabilité n’est peutêtre, à ce seul point de vue, qu’une retombée du mode d’iconisation6 retenu. Mais une interrogation demeure : qu’estce qui fait de cette grandeur un sujet ? Dans La philosophie des formes symboliques, Cassirer propose une distinction précieuse du point de vue paradigmatique : «(…) on trouve à nouveau deux formes différentes d’organisation linguistique, selon que l’expression verbale est saisie comme expression d’un processus, ou comme expression d’une activité, selon qu’elle est plongée dans le cours objectif des événements ou que le sujet agissant et son énergie sont mis en valeur et prennent une position centrale7.» L’imputation de la responsabilité suppose que le faire considéré soit reconnu comme une «activité» et non comme un «processus». Cette divergence interne au faire n’est pas étrangère à la dualité des modes d’efficience : Que la subjectivité telle que nous la vivons et la pensons ne soit qu’une variable, cette affirmation est difficile à entendre pour celui qui a reçu de la langue qu’il parle cette possibilité sémantique8, mais Cassirer note à juste titre que les langues sont partagées sur ce point : «Nous ne trouvons un changement de cette intuition fondamentale que dans les langues qui sont parvenues à une organisation purement formelle de l’action verbale, dans lesquelles le modèle fondamental de la conjugaison ne consiste pas en une liaison du nom verbal avec des suffixes possessifs, mais en une connexion synthétique de l’expression verbale avec l’expression des pronoms personnels9.» Pour Cassirer, la comparaison des langues montre une orientation tantôt en faveur de la forme substantive et de l’être, tantôt en faveur de la forme verbale et du devenir. Soit : 02/03/2015 De la responsabilité http://epublications.unilim.fr/revues/as/2435 3/14 Le second moment de la réflexion de Valéry consiste dans le passage de la personnalité, dont nous venons d’entrevoir le conditionnement linguistique, à la liberté. À quelles marques reconnaîton un sujet libre ? La pratique judiciaire et l’opinion, qui distinguent entre le “crime passionnel” et le “crime avec préméditation” et condamnent le second bien plus lourdement que le premier, nous fournissent une piste ; à leur façon, elles ébauchent une sémiose, sommaire sans doute, mais commode : le plan du contenu pointe la liberté, le plan de l’expression, la résistibilité. Le discriminant est la postulation d’un arrêt, c’estàdire la solidité ou l’inanité d’un contreprogramme. Dans son analyse, Valéry distingue entre une «impulsion d’action» et une «impulsion d’inhibition» et identifie la liberté à la valeur de la différence [∆] entre l’«impulsion d’action» réalisatrice et l’«impulsion d’inhibition» virtualisante : «L’intensité de l’excitation initiale peut être telle que la phase durée conscience soit ou supprimée ou traversée sans arrêt possible10.» La thèse de Valéry consiste dans l’affirmation que la liberté est dans la dépendance de la valeur de l’«impulsion d’inhibition» : si celleci est faible, voire nulle, le sujet n’est pas libre et il est condamné pour la forme, quand il n’est pas secrètement ou discrètement admiré ; si le différentiel [∆] entre les deux «impulsions» est faible, le sujet est dit libre et par implication : responsable ; si le différentiel [∆] est élevé, le sujet est dit nonresponsable. La découverte de Valéry tient au fait que la liberté est surdéterminée par des circonstances de temps, de lieu et surtout peutêtre d’entourage, qui, de fait, fonctionnent comme des conditions régissantes : «Mais cette “liberté” exige certainement une durée – un temps d’arrêt – c’estàdire un temps plus grand qu’un temps de réaction du type réflexe. Il y a donc un lieu, une époque et une durée qui sont conditions de la “liberté”, laquelle exige une production possible d’événements de conscience et de sensibilité seconde entre une excitationinitiale et la réponse11.» Rappelons que nous désignons par [∆] la différence entre la valeur stative de l’action et celle nonstative de l’inhibition ; sous cette convention, la “sensation” de liberté augmente avec la décroissance de [∆], c’estàdire dans les cas où la valeur de l’«impulsion d’inhibition» égale ou dépasse la valeur de l’«impulsion d’action» : Dans le même fragment, Valéry en conclut que la liberté s’apprécie in situ, au point de confrontation entre un programme et un contreprogramme : «Ainsi la liberté ne procède pas d’une libre comparaison d’hypothèses d’action et d’imaginations ou raisonnements de conséquences. – Elle est sensibilité !12» L’assertion ou uploads/Management/ de-la-responsabilite.pdf
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