UNE APPROCHE NARRATIVE DES OUTILS DE GESTION Mathieu Detchessahar et Benoît Jou
UNE APPROCHE NARRATIVE DES OUTILS DE GESTION Mathieu Detchessahar et Benoît Journé Lavoisier | Revue française de gestion 2007/5 - n° 174 pages 77 à 92 ISSN 0338-4551 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2007-5-page-77.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Detchessahar Mathieu et Journé Benoît, « Une approche narrative des outils de gestion », Revue française de gestion, 2007/5 n° 174, p. 77-92. DOI : 10.3166/rfg.174.77-92 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Lavoisier. © Lavoisier. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.144.84.9 - 10/02/2014 11h50. © Lavoisier Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.144.84.9 - 10/02/2014 11h50. © Lavoisier L’article, fondé sur une recherche-action réalisée dans une grande entreprise pharmaceutique, propose de considérer les outils de gestion comme des textes. Cette approche « narrative » éclaire la manière dont un outil s’inscrit dans le concert des autres outils déjà présents dans l’organisation. Elle décrit comment le middle- management et les opérateurs, par la lecture qu’ils font des outils, participent à la fabrique de la stratégie réelle de l’entreprise. L a question de l’implantation des outils de ges- tion, et des dynamiques de changement qu’elle implique, occupe une place particulièrement importante dans la réflexion sur les organisations contemporaines (David, 1998; Hatchuel et Weil 1992; Moisdon, 1997; Lozeau et al., 2002). Celles-ci se dis- tinguent en effet par l’inflation des dispositifs instru- mentaux permettant le pilotage de l’action collective. Dans un tel contexte, l’enjeu porte souvent sur la bonne appropriation de ces outils par les acteurs de l’entreprise et sur leur capacité à appuyer la stratégie (Bourguignon et Jenkins, 2004). Pour faire face à cet enjeu, de nombreuses organisations ont désormais compris les bénéfices d’une démarche participative associant des représentants du terrain à l’élaboration de l’outil. Cependant, les concepteurs se focalisent surtout sur le raffinement technique de l’outil, puis sur la communication devant accompagner son déploiement. En raison de la division du travail de C O M P É T E N C E S PAR MATHIEU DETCHESSAHAR, BENOÎT JOURNÉ Une approche narrative des outils de gestion1 DOI:10.3166/RFG.174.77-92© 2007 Lavoisier, Paris. 1. Nous remercions Bénédicte Geffroy et Laurent Pascail, maîtres de conférences à l’École des mines de Nantes, chercheurs au CRGNA avec qui nous avons réalisé l’enquête de terrain, dans le cadre du pro- gramme ACOR piloté par l’OPCAREG des Pays de la Loire et financé par la DRTEFP, la DRIRE Pays de la Loire et le FSE. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.144.84.9 - 10/02/2014 11h50. © Lavoisier Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.144.84.9 - 10/02/2014 11h50. © Lavoisier conception d’une part2, et du mandat confié au collectif des concepteurs d’autre part3, la question essentielle des liens à construire entre l’outil considéré et l’ensemble des outils déjà en place, reste bien souvent sans réponse. Ce point est d’autant plus problé- matique que les acteurs de terrain sont, eux, confrontés à l’ensemble des outils de ges- tion de l’entreprise dont ils doivent déduire les attendus comportementaux pour définir leurs stratégies d’action. Dans cette perspective, les approches dis- cursives des organisations (Grant et al., 1998 ; Grant et al., 2004) offrent un cadre théorique particulièrement adapté à l’ana- lyse des phénomènes d’interaction des outils de gestion dont elles conduisent à souligner le caractère décisif en matière de conduite du changement. Ces approches permettent d’enrichir et de préciser les tra- vaux portant sur les outils de gestion et, plus spécifiquement, sur la nature du pro- cessus de contextualisation de ces outils, c’est-à-dire d’inscription dans l’organisa- tion et d’appropriation par les acteurs (Berry, 1983; Hatchuel et Weil, 1992; Moisdon, 1997). L’approche discursive éclaire ainsi de manière très concrète la façon dont les opérateurs de l’entreprise comme le middle-management (Rouleau, 2005) construisent et déconstruisent les dis- cours stratégiques de l’organisation et sont donc des acteurs essentiels de la fabrique de la stratégie mise en œuvre par l’entreprise. Ces propositions seront illustrées et discu- tées à partir des résultats d’une recherche- action conduite dans une usine d’un grand laboratoire pharmaceutique, Ouest Pharma. Nous montrerons comment la mise en place d’une démarche très outillée de gestion des compétences produit de la rigidité organisa- tionnelle, bien loin du discours stratégique de l’entreprise sur la mise en flexibilité de l’organisation. I. – LES ORGANISATIONS COMME DISCOURS: LE PROBLÈME DE L’INTERTEXTUALITÉ DES OUTILS DE GESTION Un outil de gestion peut être vu, avec Hatchuel et Weil (1992, p. 122-126), comme un conglomérat singulier constitué d’un « substrat formel » porteur d’une « phi- losophie gestionnaire » et « d’une vision simplifiée des relations organisationnelles » : - Le « substrat formel » de l’outil désigne l’ensemble des supports concrets dans les- quels s’incarne l’outil (tableau, courbes, gra- phiques, référentiels, etc.). Pour la gestion des compétences chez Ouest Pharma, il s’agit essentiellement d’un dictionnaire des compétences et de descriptifs emploi-poste auxquels sont associés des grilles de poly- compétences et des matrices de polyvalence. – La « philosophie gestionnaire » corres- pond aux comportements de travail que l’outil est censé promouvoir, soit en les organisant (comme dans une procédure opérationnelle), soit en incitant à leur adop- tion (comme dans un outil de rémunération ou d’évaluation). Dans notre cas, la « cible de la rationalisation » est la compétence. 78 Revue française de gestion – N° 174 /2007 2. Les pilotes des groupes de conception demeurent souvent les experts fonctionnels du domaine couvert par l’ou- til (la conception des outils de contrôle de gestion est prise en charge par les experts contrôle, les outils de gestion des ressources humaines par les experts de RH, les outils de gestion de production par les ingénieurs de produc- tion, etc.). 3. Les collectifs plus ou moins participatifs ont mandat pour agir sur un outil mais pas pour se saisir des autres outils déjà en place. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.144.84.9 - 10/02/2014 11h50. © Lavoisier Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.144.84.9 - 10/02/2014 11h50. © Lavoisier L’outil est porteur d’une philosophie ges- tionnaire pour laquelle une des sources essentielles de la performance repose sur la mise à disposition de l’entreprise d’indivi- dus poly-compétents et polyvalents. – La « vision simplifiée des relations orga- nisationnelles » définit « la scène » et les participants à la scène dont l’outil vient régler le jeu. On peut a minima distinguer les acteurs influencés par l’outil – parce qu’ils l’utilisent ou parce qu’ils se confor- ment aux prescriptions dont il est porteur – des spécialistes de l’outil qui l’ont conçu et en assurent la diffusion. Chez Ouest Pharma, l’outil compétence influence l’ac- tion de l’ensemble des salariés de l’entre- prise, chaque descriptif emploi-poste a été retravaillé dans une logique compétence, et les spécialistes de l’outil sont les gestion- naires des ressources humaines. Comme le suggèrent Hatchuel et Weil, l’ou- til de gestion fonctionne comme un script qui scénarise l’action d’un ensemble d’indi- vidus de l’organisation en vue d’une plus grande performance. Si l’on veut com- prendre la façon dont les individus se sai- sissent des scripts proposés par les outils de gestion, l’approche gagne à s’enrichir d’une théorie générale des textes en présence dans les organisations (Grant et al., 1998, Grant et al., 2004). Les outils de gestion peuvent en effet être considérés comme des textes qui participent à l’élaboration du discours organisationnel, c’est-à-dire d’un système d’énoncés cohérent définissant les bonnes façons de se comporter, de parler ou de penser dans l’organisation et écartant les types de comportement, de pensée ou de parole proscrits (Phillips et al., 2004). Les approches discursives mettent l’accent sur la dimension fondamentalement com- municationnelle des organisations (Mumby, Clair, 1997). Celles-ci se créent et se trans- forment au travers d’un ensemble de conversations quotidiennes qui produisent des textes, c’est-à-dire des « artefacts sym- boliques écrits ou oraux qui conservent des solutions construites dans la communica- tion » et pourront servir de guides ou de points d’appui pour des actions ou conver- sations futures (Robichaud et al., 2004, p. 621). Ces conversations se déploient, soit dans le cadre informel des activités quoti- diennes (les textes qu’elles produisent sont dans ce cas faiblement objectivés, ils ne sont présents que dans les mots et les énon- ciations des acteurs), soit dans le cadre plus formel de groupes de travail (amélioration continue, etc.) ou d’instances de décision (comité de direction, etc.), dans ce cas les textes produits font l’objet d’une plus forte objectivation: comptes rendus, graphiques, tableaux. Ainsi la dynamique communicationnelle des organisations combine une dimension actionnelle (la conversation à travers laquelle uploads/Management/ detchessahar-m-et-journe-b-une-approche-narrative-des-outils-de-gestion.pdf
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- Publié le Aoû 25, 2021
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