DIVISION SEXUELLE DU TRAVAIL ET RAPPORTS SOCIAUX DE SEXE Article du Dictionnair
DIVISION SEXUELLE DU TRAVAIL ET RAPPORTS SOCIAUX DE SEXE Article du Dictionnaire critique du féminisme, Paris, PUF, 2000, p.35-44. Les situations des hommes et des femmes ne sont pas le produit d’un destin biologique, mais sont d’abord des construits sociaux. Hommes et femmes sont bien autre chose qu’une collection – ou que deux collections – d’individus biologiquement distincts. Ils forment deux groupes sociaux qui sont engagés dans un rapport social spécifique : les rapports sociaux de sexe. Ces derniers, comme tous les rapports sociaux, ont une base matérielle, en l’occurrence le travail, et s’expriment à travers la division sociale du travail entre les sexes, nommée, de façon plus concise :division sexuelle du travail. La division sexuelle du travail Cette notion a été d’abord utilisée par les ethnologues pour désigner une répartition « complémentaire » des tâches entre les hommes et les femmes dans les sociétés qu’ils étudiaient ; ainsi, Lévi-Strauss en a fait le mécanisme explicatif de la structuration de la société en famille. Mais ce sont des anthropologues femmes qui, les premières, lui ont donné un contenu nouveau en démontrant qu’elle traduisait non une complémentarité des tâches mais bien la relation de pouvoir des hommes sur les femmes (Mathieu, 1991a ; Tabet, 1998). Façonnée dans d’autres disciplines comme l’histoire ou la sociologique, la division sexuelle du travail a pris, au fil des travaux, valeur de concept analytique. La division sexuelle du travail est la forme de division du travail social découlant des rapports sociaux de sexe ; cette forme est modulée historiquement et sociétalement. Elle a pour caractéristiques l’assignation prioritaire des hommes à la sphère productive et des femmes à la sphère reproductive ainsi que, simultanément, la captation par les hommes des fonctions à forte valeur sociale ajoutée (politiques, religieuses, militaires, etc.). Cette forme de division sociale du travail a deux principes organisateurs : le principe de séparation (il y a des travaux d’hommes et des travaux de femmes) et le principe hiérarchique (un travail d’homme « vaut » plus qu’un travail de femme). Ils sont valables pour toutes les sociétés connues, dans le temps et dans l’espace – ce qui permet selon les un(e)s (Héritier-Augé, 1984), mais non selon d’autres (Peyre et Wiels, 1997), d’affirmer qu’ils existent sous cette forme depuis le début de l’humanité. Ils peuvent être appliqués grâce à un procès spécifique de légitimation, l’idéologique naturaliste. Celle-ci rabat le genre sur le sexe biologique, réduit les pratiques sociales à des « rôles sociaux » sexués, lesquels renverraient au destin naturel de l’espèce. Contradictoirement, la théorisation en termes de division sexuelle du travail affirme que les pratiques sexuées sont des construits sociaux, eux-mêmes résultats des rapports sociaux. Pour autant, pas plus que les autres formes de division du travail, la division sexuelle du travail n’est un donné rigide et immuable. Si ses principes organisateurs restent les mêmes, ses modalités (conception du travail reproductif, place des femmes dans le travail marchand, etc.) varient fortement dans le temps et l’espace. Les apports de l’histoire et de l’anthropologie l’ont amplement démontré : une même tâche, spécifiquement féminine dans une société ou dans une branche industrielle, peut être considérée typiquement masculine dans d’autres (Milkman, 1987). Problématiser en termes de division sexuelle du travail ne renvoie donc pas à une pensée déterministe ; au contraire, il s’agit de penser la dialectique entre invariants et variations, car si cette démarche suppose de débusquer les phénomènes de reproduction sociale, elle implique simultanément d’étudier les déplacements et ruptures de celle-ci ainsi que l’émergence de nouvelles configurations pouvant tendanciellement remettre en cause l’existence même de cette division. De l’oppression aux rapports sociaux de sexe Si la division sexuelle du travail a fait l’objet de travaux précurseurs dans de multiples pays (Madeleine Guilbert, Andrée Michel, Viviane Isambert-Jamati…), c’est au début des années 1970 qu’il y eut en France, sous l’impulsion du mouvement féministe, une vague de travaux qui allaient rapidement donner des assises théoriques à ce concept. Rappelons d’abord quelques faits : ce n’est pas sur l’avortement, comme on le dit trop souvent, qu’a démarré le mouvement des femmes. C’est sur la prise de conscience d’une oppression spécifique : il devint alors collectivement « évident » qu’une énorme masse de travail est effectuée gratuitement par les femmes, que ce travail est invisible, qu’il est réalisé non pas pour soi mais pour d’autres et toujours au nom de l’a nature, de l’amour ou du devoir maternel. Et la dénonciation (pensons au titre d’un des premiers journaux féministes français : Le torchon brûle) se déploya sur une double dimension : « ras-le-bol » (c’était l’expression consacrée) d’effectuer ce qu’il convenait bien d’appeler un « travail », que tout se passe comme sis on imputation aux femmes, et à elles seules, aille de soi et qu’il ne soit ni vu, ni reconnu. Très rapidement, les premières analyses de cette forme de travail apparurent dans les sciences sociales. Ce fut, pour ne citer que deux corpus théoriques, le « mode de production domestique » (Delphy, 1974-1998à et le « travail domestique » (Chabaud-Rychter et al., 1984). La conceptualisation marxiste – rapports de production, classes sociales définies par l’antagonisme capital/travail, mode de production – était à l’époque prépondérante dès lors que l’on se situait dans une mouvance de gauche ) et l’on sait que les féministes en faisaient partie dans leur grande majorité (Picq, 1993). Mais, peu à peu, les recherches se sont détachées de cette référence obligée pour analyser le travail domestique comme activité de travail au même titre que le travail professionnel. Cela a permis de prendre en compte simultanément l’activité déployée dans la sphère domestique et dans la sphère professionnelle, et l’on a pu raisonner en termes de division sexuelle du travail. Par une sorte d’effet boomerang, après que la « famille », sous la forme d’entité naturelle, biologique…, eut volé en éclats pour apparaître prioritairement comme lieu d’exercice d’un travail, ce fut ensuite la sphère du travail salarié, pensée jusqu’ici autour du seul travail productif et de la figure du travailleur mâle, qualifié, blanc, qui implosa (Delphy et Kergoat, 1984). Ce double mouvement donna lieu, dans de très nombreux pays, à une floraison de travaux qui utilisèrent l’approche en termes de division sexuelle du travail pour repenser le travail et ses catégories, ses formes historiques et géographiques, l’interrelation des multiples divisions du travail socialement produit. Ces réflexions ont permis de remettre en chantier des concepts comme ceux de temps social (Langevin, 1997), de qualification (Kergoat, 1982), de productivité (Hiarata et Kergoat, 1988) ou, plus récemment, de compétence. La division sexuelle du travail eut donc, au départ, le statut d’articulation de deux sphères, comme l’indique le sous—titre Structures familiales et système productif du Sexe du travail paru en 1984. Mais cette notion d’articulation apparut vite insuffisante : les deux principes – séparation et hiérarchie – se retrouvant partout et s’appliquant toujours dans le même sens, il fallut passer à un second niveau d’analyse : la conceptualisation de ce rapport social récurrent entre le groupe des hommes et celui des femmes. Un atelier, l’APRE (Atelier production reproduction), se tint régulièrement à partir de 1985 pour déboucher sur une table ronde internationale : Les rapports sociaux de sexe : problématiques, méthodologies, champs d’analyse (Paris, 1987) ; parallèlement, certaines des participantes publièrent en 1986 À propos des rapports sociaux de sexe. Parcours épistémologiques, dans le cadre de l’ATEP du CNRS « Recherches féministes et recherches sur les femmes » (Battagliola et al.). Cependant, simultanément à ce travail de construction théorique, s’amorçait un déclin de la force subversive du concept de division sexuelle du travail. Le terme est maintenant usuel dans le discours académique des sciences humaines, et particulièrement en sociologie. Mais, la plupart du temps, il reste dépouillé de toute connotation conceptuelle et ne fait que renvoyer à une approche sociographique qui décrit les faits, constate les inégalités, mais n’organise pas ces données de façon cohérente. Enfin, le travail domestique, qui avait fait l’objet de nombreuses études, n’est plus que rarement analysé : plus précisément, au lieu de se servir de ce concept pour réinterroger la société salariale (Fougeyrollas-Schwebel, 1998), on en parle en termes de « double journée, de « cumul » ou de « conciliation des tâches », comme s’il n’était qu’un appendice du travail salarié. D’où un mouvement de déplacement et de focalisation sur ce dernier (les inégalités dans le travail, dans le salaire, le travail à temps partiel…) et sur l’accès au politique (citoyenneté, revendication de parité…). Quant au débat en termes de rapports sociaux (de sexe), il est assez largement délaissé. On peut voir là les effets conjugués du chômage de masse et des « nouvelles formes d’emploi », de la poussée du néo-libéralisme, du déclin numérique de la classe ouvrière traditionnelle, de la chute du mur de Berlin avec ses conséquences politiques et idéologiques : le rabattement de l’analyse en termes de rapports sociaux sur la seule logique économiques n’a épargné aucun secteur des sciences sociales. Les rapports sociaux de sexe La notion de rapport social a été, sauf exceptions notables (Godelier, 1984 ; Zarifian, 1997), uploads/Management/ division-sexuelle-du-travail-et-rapports-sociaux-de-sexe.pdf
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- Publié le Jul 13, 2021
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