133 ACTA UNIVERSITATIS PALACKIANAE OLOMUCENSIS FACULTAS PHILOSOPHICA PHILOLOGIC

133 ACTA UNIVERSITATIS PALACKIANAE OLOMUCENSIS FACULTAS PHILOSOPHICA PHILOLOGICA 76 EST-CE QUE LE SIGNE LINGUISTIQUE EST MOTIVÉ? Jan Holeš Dans son Cours, Ferdinand de Saussure constate que «le principe de l’arbitraire du signe n’est contesté par personne»1. Il aurait été sans doute étonné de voir le nombre d’ouvrages qui critiquent le principe de l’arbitraire du signe et encore plus étonné devant les congrès internationaux, linguistiques et sémiotiques ayant la motivation pour thème central et devant le nombre toujours croissant d’études qui signalent la présence du principe physei sur tous les niveaux de l’organisation du langage: celui des sons, de la prosodie, de la syntaxe, de la structure sémantique des lexèmes et monèmes grammaticaux. Les deux grands courants qui ont dominé la linguistique dès l’Antiquité jusqu’à nos jours, l’école de physei et celle de thesei, ont disputé l’essence de la langue, se préoccupant de ce que nous appellerions aujourd’hui l’arbitraire de la langue. Or, on peut très bien reconnaître le caractère arbitraire de la langue, comme le font de nombreux linguistes contemporains, et parler toujours de la motivation d’une grande partie du lexique, comme le font souvent les mêmes auteurs, car les termes arbitraire et motivation ne se recouvrent que partiellement. Et pourtant, les deux termes sont souvent confondus. Nous voudrions nous préoccuper de la distinction entre l’arbitrarité et la motivation, de la source de leur confusion. Ensuite nous expliciterons diverses approches concernant la motivation qu’ont divers auteurs étrangers et tchèques. Finalement, nous ajouterons une classification de différents types de la motivation. L’une des sources du débat perpétuel, selon I. Fónagy, réside dans le réseau conceptuel erroné qui sous-tend la controverse: on oppose à la motivation les termes «conventionnel» et «arbitraire» comme des synonymes. Pour I. Fónagy, chaque signe linguistique est, par définition, conventionnel («codé») en tant qu’élément du système verbal. «Dire que tel ou tel mot d’une langue est «conventionnel» est un truisme, en fait, une tautologie, qui ne contient aucune indication sur le rapport entre signifiant et signifié, voire avec l’objet désigné. Ce rapport peut être parfaitement aléatoire ou, au contraire, plus ou moins motivé.»2 Dans le Dictionnaire de linguistique, nous trouvons deux définitions possibles de la motivation3. La première: «l’ensemble des facteurs conscients ou semi-conscients qui conduisent un individu ou un groupe à avoir un comportement déterminé dans le domaine 1 Saussure, F. de: Cours de linguistique générale. Paris 1985, p. 100. 2 Fónagy, I.: Physei/Thesei. L’aspect évolutif d’un débat millénaire. Faits de langues 1, 1993, pp. 29–45. 3 Dubois, J. et al.: Dictionnaire de linguistique. Paris 1973, p. 328. 134 linguistique» n’a pas de rapport direct avec le sujet de notre article. Dans ce sens, on emploie le terme plutôt dans le cadre de la psycholinguistique et pragmalinguistique. Dans les pages qui suivent, nous nous occuperons de différentes interprétations de ce que J. Dubois appelle «la relation de nécessité qu’un locuteur met entre un mot et son signifié (contenu) ou entre un mot et un autre signe». Presque tout propos de sémantique moderne commence par postuler le caractère arbi- traire du signe linguistique. Or, la thèse de l’arbitraire du signe linguistique appartient à la théorie générale du signe, tandis que celle de la motivation concerne plutôt la formation du mot. Cette confusion est due en partie à l’auteur même du Cours de linguistique générale, F. de Saussure, qui distingue dans la langue l’arbitraire radical de l’arbitraire relatif. Pour le fondateur de la linguistique moderne, une partie seulement de signes est absolument arbitraire; chez d’autres intervient un phénomène qui permet de reconnaître des degrés dans l’arbitraire sans le supprimer: le signe peut être relativement motivé4. Il donne les mots vingt et poire comme exemples de signes immotivés et les mots dix- neuf et poirier comme ceux de signes motivés relativement. Ces derniers évoquent les termes dont ils se composent et d’autres auxquels ils s’associent. La motivation relative met de l’ordre et de la régularité dans la masse des signes. Le besoin humain de motivation amène à créer des classes de signes où règne un arbitraire relatif. Le mot poirier reçoit une espèce de motivation secondaire du fait qu’il existe une série ceris-ier, mûr-ier, banan-ier ... où le même type de dérivation s’accompagne d’un contenu sémantique analogue. Or, ces mots demeurent parfaitement arbitraires en dépit de leur motivation relative. Il n’y a pas de langue où tout serait immotivé comme il n’y a pas de langue tout à fait motivée. Néanmoins, les langues ne sont pas motivées ou immotivées au même degré. Saussure note déjà une possible typologie des langues selon ce critère et distingue des langues lexicologiques (avec une grande proportion d’unités immotivées, comme par ex. le chinois) et des langues grammaticales (avec la proportion maximale d’unités motivées, comme par ex. le sanskrit ou l’indoeuropéen). Il caractérise le français moderne par une croissance extraordinaire de l’arbitraire par rapport au latin classique. Également pour A. Martinet, la motivation morphologique structure le lexique des différentes langues à des degrés divers, de telle sorte qu’on peut établir une typologie lexicale à partir de ce critère: «À cet égard, par exemple, l’allemand est plus motivé que le français, car il utilise des composés et des dérivés là où le français emploie des monèmes uniques: pour le fr. monter l’allemand présente une série illimitée de composés du type aufsteigen (de auf et de steigen), heraufklettern, heraufgehen, hinaufgehen.» Or, pour le fondateur de la linguistique fonctionnelle, la motivation n’est pas qu’un cas particulier de la structuration du lexique, mais aussi un moyen qui assure l’économie de la langue. La récurrence des affixes constitue une économie au même titre que la récurrence des traits distinctifs qui composent les phonèmes. Le suffixe -ment ajouté à l’adjectif correspondant oppose généralement la ‘manière’ à la ‘qualité’, ainsi que la marque de sonorité oppose en français les consonnes orales sonores aux consonnes orales sourdes5. 4 Saussure, F. de: op. cit. 180. 5 Martinet, A.: Linguistique. Paris 1969, pp. 190–192. 135 Les linguistes tchèques étaient bien sensibles aux phénomènes contribuant à former la structure du lexique. Par exemple Vilém Mathesius6 discerne des mots descriptifs (slova popisná), qui peuvent être classifiés dans des groupes plus larges, et des mots-marques (slova značková), qui sont isolés dans la structure de la langue. Chaque mot individuel de la langue peut être, selon la conscience linguistique du locuteur moyen, soit classé dans un groupe plus large des mots apparentés, avec lesquels il a un sémantème commun (analysa- ble par l’analyse associative), soit considéré comme isolé, c.-à-d. sans parenté synchroni- quement visible avec les autres membres du même vocabulaire. On a ainsi en tchèque des noms comme sedadlo et sedátko qui sont du type descriptif, parce que chaque Tchèque moyen sent leur parenté avec les verbes seděti et sedati. Par contre, le mot židle sera du type isolant, car une telle parenté avec un autre membre du vocabulaire contemporain n’est pas apparente. Même si Mathesius emploie une terminologie différente, nous voyons bien qu’il parle en effet des mots motivés (morphologiquement) et immotivés. En comparant les lexiques tchèque, anglais et allemand, il observe une forte tendance du tchèque à créer des grands groupes de mots fondés sur la même base, là où l’allemand ou l’anglais emploient plusieurs bases relevant de diverses idées. Il trouve par exemple 26 mots créés à partir du tch. dům. Leurs équivalents allemands sont formés sur deux bases différentes, Haus et Heim (all. Hausherr, Heimweh). En anglais, il y a même trois bases – house, home et lat. domus. Il en va de même pour les verbes, où l’on obtient des exemples encore plus convaincants. Là où la langue tchèque emploie régulièrement la base verbale nésti, l’alle- mand emploie deux verbes, tragen et bringen. Pour traduire les mots tchèques dérivés de nésti en anglais, on aurait besoin de recourir à trois verbes: bear, wear, carry, sans compter la base romane port- du lat. portare, qui est sensible, du moins pour les gens cultivés, dans les mots anglais comme porter, portable, portability... De ces observations, V. Mathesius tire des conclusions lourdes de conséquences pour la structure des langues comparées. Le lexique anglais, avec une large proportion des mots du type isolant (mots immotivés), est très atomisé. Quant à la langue française, il la met côte à côte avec la langue anglaise. Ici encore, les mots tchèques comportant la base dům correspondent à trois bases françaises, maison, ménage, domicile (nous pourrions ajouter fr. foyer pour tch. domácnost, fr. concierge pour tch. domovník). Certains linguistes évitent le terme arbitraire en objectant que le signe n’est pas arbitraire, mais, par contre, institué, donné par une convention. Ils remplacent donc le mot arbitraire par l’adjectif conventionnel ou encore par le mot traditionnel. À propos de ce terme, F. de Saussure précise même qu’il ne doit pas donner l’idée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant et qu’il avait voulu dire qu’il est immotivé, c’est-à-dire arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il n’a aucune attache naturelle dans la réalité7. Selon S. Ullmann8, la conventionnalité et la motivation sont des traits synchroniques, dépendant de la transparence ou uploads/Management/ est-ce-que-le-signe-linguistique-est-motive.pdf

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  • Publié le Nov 07, 2022
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