Eva Lavric 16 Les « fautes de spécialité » Abstract : L’étude des « fautes de s
Eva Lavric 16 Les « fautes de spécialité » Abstract : L’étude des « fautes de spécialité » se situe au croisement de l’analyse d’erreurs et des études sur l’interlangue d’une part et des études sur les langues de spécialité de l’autre. L’enseignement des langues de spécialité, qui s’adresse souvent à des apprenants adultes dotés d’une notable conscience linguistique, peut profiter des fonctions thérapeutique et prophylactique de l’analyse d’erreurs ; la linguistique s’intéressera à sa fonction heuristique, qui révèle tant les processus d’apprentissage que les divergences subtiles qui existent entre les langues. En outre, à côté des langues du répertoire des apprenants (L1, L2, L3,…), des sous-codes entrent en jeu et leurs normes spécifiques décident de ce qui est « faux » ou « non approprié » : « fautes terminologiques » (propres à une seule discipline), « fautes de style de spécialité » (communes à toutes les spécialités), et au milieu, « fautes de la couche moyenne » (moyens linguistiques typiques d’un faisceau de disciplines). Keywords : analyse d’erreurs, interlangue, faux amis, terminologie, style de spécia- lité 1 Introduction L’étude des « fautes de spécialité » se situe au croisement de deux courants de recherche, celui de l’analyse d’erreurs1 et des études sur l’interlangue d’une part et celui des langues de spécialité, plus précisément de l’enseignement des langues de spécialité, de l’autre. Mise à part son utilité didactique, elle est susceptible également de contribuer à la réflexion sur la nature des langues/du style de spécialité. Mais entrons tout de suite dans le vif du sujet : par rapport aux fautes tout court, les « fautes de spécialité » ont ceci de particulier qu’elles s’inscrivent non seulement dans le continuum interlinguistique qui va de la L1 à la L2 – ou dans le polygone formé par une compétence plurilingue en L1, L2, L3… Ln – mais également, à l’intérieur de chacun de ces systèmes linguistiques, dans la dimension supplémen- taire langage général – langue/style de spécialité. Nous aurons donc à la place de L1 : L1G et L1S (et si l’on tient compte des différentes spécialités existantes, L1G, L1Sa, L1Sb, L1Sc, etc.), et de même dans chacune des langues étrangères concernées : L2G versus L2S (voire L2G versus L2Sa, L2Sb, L2Sc, etc.), L3G versus L3S, etc.2 Les interférences et confusions sont donc susceptibles de se produire dans un espace 1 Nous employons les termes de « faute » et d’« erreur » comme des synonymes. 2 Et ceci n’est pas forcément tout, puisqu’à l’intérieur de chacun de ces sous-codes, il faut compter en outre avec la variation diatopique, diastratique et diaphasique. Brought to you by | University of Michigan Authenticated Download Date | 4/29/18 4:08 PM nettement plus complexe, tout comme d’ailleurs les possibilités de transfert réussi se multiplient à leur tour. Dans l’action didactique, il convient de tirer profit de cette complexité, qui comprend des parallélismes intéressants, par ex. lorsqu’on attire l’attention des étudiants sur les marques spécifiques du « style de spécialité », qui se ressemblent considérablement d’une langue à l’autre (et qu’ils ne dominent pas forcément dans leur langue maternelle…).3 Et dans la recherche, il faut classer les difficultés et les erreurs d’après toutes les dimensions de cet espace. En voici trois exemples : – Lorsque l’allemand Wählen Sie die Vorwahl ! est traduit par Composez le scrutin éliminatoire ! au lieu de l’indicatif (ce qui peut arriver facilement si l’apprenant ne regarde pas les indications stylistiques du dictionnaire), c’est une confusion entre la langue de spécialité de la politique et celle des télécommunications. Quoiqu’il ne s’agisse pas d’une interférence à proprement parler, la L1 y est pourtant pour quelque chose, puisqu’on est en présence de ce que nous appelons une « struc- ture divergente » : un mot polysémique de la L1 correspond à deux mots différents en L2, l’un appartenant à L2Sa et l’autre à L2Sb. – Le mot allemand Höhe et l’adjectif correspondant hoch n’ont pas un équivalent français, mais plusieurs : hoch correspond en général à haut, et c’est là le mot que les apprenants connaissent et emploient (à tout bout de champ) ; or lorsqu’il s’agit de chiffres, de sommes et de valeurs, donc très souvent dans le langage économique, il faut traduire hoch par élevé (les dépenses / les impôts sont trop élevé(e)s…). Pour ce qui est du substantif Höhe, le langage général le traduit par hauteur ; mais deux langues de spécialité ont des variantes spécifiques : le mon- tant pour les sommes d’argent en langage économique, et l’altitude pour les montagnes et les lieux dans le langage de la géographie. Ce qui peut donner des interférences L2G > L2Sa (la hauteur d’une somme), mais aussi L2Sb > L2Sa (l’altitude des dépenses). La difficulté de base s’explique là encore par une structure divergente. – L’apprenant qui écrit il y a moins d’exportations et pour ça il y a plus de chômage a produit une phrase correcte en langage général,4 mais qui ne correspond pas aux habitudes et conventions du « style de spécialité », tel qu’il a été décrit par Forner 1998 (et avant, dès 1985). En réalité, même une variante plus « recherchée » de cet 3 Le volet que nous venons d’ouvrir a l’air d’être bien spécifique des langues de spécialité ; or il ne l’est pas forcément, puisqu’on devrait tomber sur des problèmes similaires pour tous les sous-codes, toutes les variétés de langue, qu’elles soient diastratiques, diatopiques ou diaphasiques (par ex., lorsqu’un étudiant qui a appris la L2 « dans la rue » ne domine pas les stratégies lexicales et textuelles de l’écrit formel). Il faut en conclure que l’analyse d’erreurs gagnerait à se doubler d’une analyse d’erreurs rapportée aux sous-codes, aux variétés linguistiques, et que l’analyse des « fautes de spécialité » pourrait en être le premier élément. 4 Mise à part la conjonction pour ça, nettement orale, qu’il conviendrait de remplacer à l’écrit par c’est pourquoi, pour cette raison. 344 Eva Lavric Brought to you by | University of Michigan Authenticated Download Date | 4/29/18 4:08 PM énoncé, par ex. les exportations ont diminué, c’est pourquoi le chômage a augmenté n’est pas ce à quoi on s’attend dans un texte de spécialité économique. Ce n’est qu’en passant la phrase à travers les cribles décrits par Forner, c’est-à-dire en y appliquant certains procédés linguistiques de spécialité, que l’on obtient un énoncé approprié du point de vue stylistique : (1) nominalisation des éléments verbaux : le déclin des exportations … l’augmentation du chômage ; (2) remplace- ment de la conjonction par un verbe de relation : le déclin des exportations a conduit à une augmentation du chômage. 2 Analyse d’erreurs / étude de l’interlangue (historique) Laissons pour un peu plus tard les commentaires sur le « style de spécialité », et penchons-nous d’abord sur les termes qui, dans ce petit prélude, sont propres à l’analyse d’erreurs (interférence, structure divergente, …) ; il est temps de présenter ce courant de manière plus approfondie.5 L’analyse d’erreurs, qui s’est vite élargie à l’étude de l’interlangue, a connu son heure de gloire dans les années 70, 80 et 90 du siècle dernier, les ouvrages de référence ayant paru dans les années 90 (Vogel 1990 ; James 1990 ; Selinker 19926 ; et surtout James 1998). Elle est tombée depuis dans une désuétude qu’elle ne mérite pas, vu son utilité didactique indéniable et l’input intéressant qu’elle peut apporter aux recherches cognitives (structure du lexique mental plurilingue). Les divers historiques (par ex. dans Fernández 1997 ; Marquilló Larruy 2003 ; Acosta-Lugo 2003) rappellent que l’analyse d’erreurs s’est développée comme une réaction à l’analyse contrastive, qui dans sa forme première (« hypothèse forte ») prétendait expliquer toutes les erreurs et difficultés des apprenants par l’influence de leur langue maternelle. Les concepts les plus connus introduits à cette époque sont celui d’« interférence » (infé- rence négative) et de « transfert » (inférence positive) (voir Rattunde 1977). L’hypo- thèse forte n’ayant pu être vérifiée, on s’est tourné vers l’étude des productions concrètes des apprenants et de leurs erreurs effectives, ce qui a fait découvrir les vertus de l’erreur et sa valeur heuristique (cf. Corder 1967). L’erreur permet en effet à l’apprenant de tester ses hypothèses sur la langue cible, alors qu’elle révèle à l’ensei- gnant les difficultés de ses élèves et groupes d’élèves et permet aux chercheurs de mieux cerner les différences qui existent entre les langues ainsi que les processus d’acquisition/apprentissage d’une langue étrangère. 5 Comme le contexte dans le présent ouvrage approfondit considérablement l’aspect langues/style de spécialité, on s’attardera un peu plus dans cet article sur l’aspect erreur/interlangue. 6 Ce livre vient d’être re-publié en 2013 chez Routledge. Les « fautes de spécialité » 345 Brought to you by | University of Michigan Authenticated Download Date | 4/29/18 4:08 PM Des critiques sont pourtant apparues du côté des recherches cognitives, car l’analyse d’erreurs au sens restreint ne prenait en compte que les productions fautives des apprenants, laissant de côté tout l’aspect apprentissage réussi et production correcte. C’est ce qui a conduit à élargir uploads/Management/ 10-0000atwww-degruyter-comatbooksat9783110313505at9783110313505-018at9783110313505-018.pdf
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- Publié le Dec 25, 2022
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- Langue French
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