Revue d’économie industrielle La théorie positive de l'agence : positionnement
Revue d’économie industrielle La théorie positive de l'agence : positionnement et apports Gérard Charreaux Résumé Souvent confondue avec la théorie des coûts de transaction ou avec la théorie principal-agent, la théorie positive de l'agence possède un statut original, dû notamment à l'importance attribuée au lien entre l'efficience et l'utilisation optimale de la connaissance spécifique. L'article poursuit trois objectifs. Premièrement, il rappelle les composantes centrales de la théorie. Deuxièmement, il vise à en rectifier la lecture habituelle. Troisièmement, il cherche à montrer la diversité des questions traitées au sein des sciences de gestion. Abstract Frequently confused with the transaction cost theory or the principal-agent theory, the positive agency theory actually owns an original status. This status is mainly due to the importance granted to the link between efficiency and the optimal use of specific knowledge. This article aims at three goals. Firstly, it reminds the main constituents of the theory. Secondly, it tries to rectify the usual presentation of the theory. Thirdly, it shows the diversity of the considered problems in the management science field. Citer ce document / Cite this document : Charreaux Gérard. La théorie positive de l'agence : positionnement et apports. In: Revue d’économie industrielle, vol. 92, 2e et 3eme trimestres 2000. Économie des contrats : bilan et perspectives. pp. 193-214; doi : https://doi.org/10.3406/rei.2000.1046 https://www.persee.fr/doc/rei_0154-3229_2000_num_92_1_1046 Fichier pdf généré le 10/04/2018 Gérard CHARREAUX LA THEORIE POSITIVE DE L'AGENCE : POSITIONNEMENT ET APPORTS Mots-clés : Architecture organisationneËe, connaissance spécifique, sciences de gestion, ■ Kçy i«§rê$ ï Un des articles les plus cités de la littérature économique, que ce soit par les spécialistes de l'économie organisationnelle, ceux des sciences de gestion - notamment les chercheurs en finance - est celui de Jensen et Meckling (1976). Cet article a jeté les bases de la théorie positive de l'agence (désormais la TPA), dont l'influence s'est largement étendue au-delà de la finance. Il s'inscrivait dès l'origine dans un projet ambitieux (Jensen et Meckling, 1998) né à l'université de Rochester au début des années 70 : créer une théorie du comportement des organisations reposant sur l'hypothèse de rationalité des acteurs, notamment des managers. Fondée à l'origine sur la théorie des droits de propriété et sur la notion de relation d'agence empruntée à l'approche principal-agent, cette théorie se veut une théorie de la coordination et du contrôle appliquée à la gestion des organisations et centrée sur les dirigeants. Elle s'applique, en particulier, à l'architecture organisationnelle et à la gouvernance des entreprises. Comme le précisent Jensen et Meckling (1998, p. 8) l'objectif qu'ils poursuivent est de construire une théorie des organisations : « Our objective is to develop a theory of organizations that provides a clear understanding of how organizational rules of the game affect a manager's ability to resolve problems, increase productivity, and achieve his or her objective ». REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 92, 2" et 3" trimestres 2000 1 93 Bien que dès leurs premiers écrits (en particulier, Jensen et Meckling, 1976 ; Jensen, 1983), les fondateurs de ce courant avaient clairement pris soin de marquer leur différence par rapport à la théorie principal-agent, tant du point de vue des objectifs que de la démarche méthodologique employée, il apparaît cependant que les spécificités de la TPA restent souvent mal perçues. Soit elle est considérée comme une variante non formalisée de la théorie principal- agent, soit elle apparaît comme une composante des théories contractuelles, d'application moins générale que la théorie des coûts de transaction (désormais la TCT). Ces deux interprétations sont toutes deux, sinon erronées, très simplificatrices ; elles s'expliquent en particulier par les différences méthodologiques qui séparent ces différents courants ainsi que par le fait qu'une majeure partie des travaux relevant de la TPA ait été publiée dans des revues comptables et financières, relativement excentrées dans le champ de l'économie des organisations, telles que le Journal of Financial Economies ou le Journal of Accounting and Economies. Cette origine fortement marquée par la finance a conduit, en raison de l'isolement relatif des paradigmes et des spécialités disciplinaires, à entretenir certains malentendus, voire une certaine méconnaissance des caractéristiques centrales de la TPA ou de ses nombreux apports, pourtant importants pour les sciences de l'organisation et de la gestion. L'objectif de cet article est triple. En premier lieu, il rappelle les composantes centrales de la TPA. En second lieu, il vise à rectifier la lecture de cette théorie, comparativement à la TCT (1), réalisée par Williamson (1988). En troisième lieu, il cherche à montrer la diversité des questions abordées par la TPA dans des champs aussi divers que la finance, la comptabilité, le contrôle de gestion, la gestion des ressources humaines, la gouvernance des entreprises. La préoccupation première des fondateurs de la TPA était d'offrir une grille d'analyse aux managers leur permettant de comprendre l'incidence de la structure organisationnelle sur la performance et d'orienter leurs actions et décisions. La lecture (2) ainsi proposée cherche notamment à montrer la continuité et l'originalité du projet de l'École de Rochester (3), tant dans ses préoccupations opérationnelles, ses sources d'inspiration que de la méthodologie qu'elle privilégie. (1) Les différences entre la TPA et la théorie principal- agent ne feront pas l'objet d'une analyse spécifique. Elles diffèrent notamment par le modèle de rationalité retenu, par les variables fondamentales des modélisations et par les méthodes utilisées. (2) Une analyse plus approfondie de la TPA peut être trouvée dans Charreaux (1999). (3) La TPA a initialement été développée par Jensen et Meckling au sein de la Business School de l'université de Rochester dont Meckling était le doyen. Cette théorie pourrait également être désormais qualifiée d'École de Rochester-Harvard, Jensen ayant quitté Rochester pour Harvard. 1 94 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 92, 2e et 3e trimestres 2000 I. — LES PRINCIPALES COMPOSANTES DE LA THEORIE POSITIVE DE L'AGENCE Pour mettre en évidence le positionnement original de la TPA (4), il est nécessaire de revenir rapidement sur ses ingrédients principaux et sur son message théorique principal, c'est-à-dire les modélisations de l'architecture orga- nisationnelle et de la répartition des activités économiques qu'elle propose. Précisons que si la TPA a évolué, ses composantes essentielles sont déjà présentes, à des degrés divers, dans les articles fondateurs de Jensen et Meckling (1976), de Jensen (1983) et de Fama et Jensen (1983a, 1983b). 1.1. Les blocs constitutifs de la théorie Jensen positionne la TPA comme une théorie « intégrée » des organisations, visant à réunir deux courants de recherche distincts : la recherche de tradition économique centrée sur le fonctionnement des marchés et celle associée aux champs de la psychologie, de la sociologie, du comportement organisationnel, de l'anthropologie et de la biologie, visant à expliquer le comportement humain, tant sur le plan individuel que social. Ainsi, le groupe de recherche de Jensen inclut désormais une personnalité comme Argyris, bien connue pour ses travaux sur l'apprentissage organisationnel. La TPA se veut donc délibérément intégratrice : elle doit permettre d'embrasser simultanément les phénomènes organisationnels et de marché. En ce sens, ainsi que dans ses fondements pluridisciplinaires, elle est proche de la TCT, qui a d'ailleurs constitué à l'origine une de ses sources d'inspiration. La TPA selon la présentation qu'en fait Jensen (1998) comporte quatre blocs constitutifs fondamentaux : un modèle du comportement humain, les coûts liés au transfert de la connaissance, les coûts d'agence, les règles du jeu organisationnelles. L'article que consacrent Jensen et Meckling (1994) à la « nature de l'homme » comporte une présentation précise du modèle REMM (5). Ce modèle -Resourceful, Evaluative, Maximizing Model - s'inscrit dans le paradigme des approches rationnelles des organisations. Il repose sur quatre postulats : • les individus se préoccupent de tout ce qui est source d'utilité ou de désu- tilité et sont des « évaluateurs ». Ils sont à même de faire des arbitrages entre les différentes sources d'utilité et leurs préférences sont transitives ; (4) Les textes qui permettent le mieux de rendre compte de l'évolution et de l'état actuel de la TPA sont, outre Jensen et Meckling (1998), le texte introductif au cours de « Coordination, Control and the Management of Organizations », l'ouvrage de Jensen (1998), « Foundations of Organizational Strategy », et celui de Brickley, Smith et Zimmerman (1997), « Managerial Economies and Organizational Architecture ». (5) Une première version de l'article (Meckling, 1976), écrite au début des années 70, est contemporaine de l'article de 1976. REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 92, 2' et 3e trimestres 2000 195 Figure 1 : Les blocs constitutifs de la TPA (adapté de Jensen, 1998, p. 3) Connaissance générale et spécifique Système de contrôle : Règles du jeu Allocation des droits décisionnels Mesuré de la performance et évaluation 196 Bloc 1 : Le modèle du comportement humain REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 92, 2« et 3e trimestres 2000 • les individus sont insatiables ; • les individus sont maximisateurs. Ils sont censés maximiser une fonction d'utilité, dont les arguments ne sont pas exclusivement pécuniaires, sous contraintes. Ces contraintes peuvent être cognitives et les choix effectués tiennent compte des coûts d'acquisition du savoir et de l'information ; • les individus sont créatifs et savent s'adapter uploads/Management/ fama-jensen-meckling-propriete-controle.pdf
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