PHONÉTIQUE ET ENSEIGNEMENT DE L'ORAL Élisabeth GUIMBRETIÈRE U.F.R. Didactique d

PHONÉTIQUE ET ENSEIGNEMENT DE L'ORAL Élisabeth GUIMBRETIÈRE U.F.R. Didactique du F.L.E. Université Paris III 3 Écrire commence toujours par une explication, sous forme de justification en quelque sorte, sur ce que l’on a envie de dire, expliquer pourquoi on le fait et jus- tifier les prises de position et l’orientation donnée à l’ouvrage qui, même s’il ne répond pas à toutes les attentes, constitue un éclairage possible sur le sujet traité. Faire le point sur un domaine, comme nous souhaitons le faire ici, n’est en rien faire le tour d’une question, ni être exhaustif, cela signifie tout simplement ancrer spatio-temporellement une vision du domaine concerné qui comme toute vision sera parcellaire, volontairement arbitraire. L’oralité, comme le dit Claude Hagège, va de soi, elle est constitutive des langues depuis toujours1, et pourtant peu d’ouvrages, nous semble-t-il, lui ont accordé le regard et l’intérêt qu’elle mérite dans notre champ de la didactique du Français langue étrangère. Qu’est-ce que l’oral ? Si nous avons choisi ce terme, c’est bien entendu en fonction du public auquel nous nous adressons, c’est-à-dire, principalement ceux, formateurs et formés, formateurs de formateurs, didacticiens, qui se sentent concernés par la didactique des langues et des cultures, par la diffusion de la langue et de la culture françaises. Pour ceux-là donc, le terme oral convient car il cerne tout de suite le champ d’intervention, le type de compétence et de perfor- mance, en situation d’enseignement/apprentissage. L’oral a sa place dans le panorama de la didactique du français langue étran- gère et constitue un domaine c o m p l é m e n t a i r e aux autres éléments constitutifs de la didactique des langues et des cultures, comme les composantes culturelle, lexi- cale, grammaticale etc.. À travers cet ouvrage, nous proposons donc un regard sur l’une des composantes de la didactique du français langue étrangère. I N T R O D U C T I O N 1. Claude HAGEGE (1985) L’homme de paroles, Fayard, p.69. En revanche, l’utilisation de ce terme peut paraître incongru, peut-être trivial dirons-nous, aux spécialistes qui s’attachent à décrire la langue et son fonctionne- ment, nous voulons parler bien sûr des linguistes pour lesquels l’oral est souvent synonyme de français parlé c’est-à-dire de français populaire. Suivons alors les conseils d’Eddy Roulet : « Il importe donc, pour éviter ces confusions fâcheuses, soit d’enterrer ces connotations de registres ou de niveaux de langue, soit, comme le propose Peytard (1978), de remplacer parlé et écrit par les termes neutres d’oral et de scriptural, en précisant qu’il s’agit de formes différentes. »2. L ’ o r a l, c’est cette partie de la langue qui devient p a r o l e, pour reprendre la dis- tinction saussurienne, et qui s’actualise dans le s o n o r e, mais aussi dans l ’ é p h é m è- re. Une image vient tout de suite à l’esprit, l’oral c’est ce dessin ou ces quelques lettres tracées sur le sable par une main et que le ressac de la vague va effacer progressivement. C’est aussi cette pensée en perpétuel devenir qui s’exprime, mais jamais tout à fait comme il le faudrait, ou comme elle le voudrait, qui revient sans cesse sur elle-même, qui n’en finit pas de se dire, qui part dans une direction mais qui revient sur ses pas, qui s’efforce de contenir tout ce qui afflue, tout ce qu’elle voudrait dire mais qui ne s’exprimera jamais. Parce que ça n’est pas le bon moment, parce que c’est oublié avant même d’être dit. « Le discours qu’il [l’oral] déploie n’est pas, en effet, une pure inscription que l’œil puisse parcourir en sens inverse, mais bien une onde sonore dont le souvenir risque toujours s’il n’est pas aidé, de s’évanouir à mesure même de sa progression. »3. C’est cela vraisemblablement l’essence véritable de l’oral, cet objet éphémère que nul jamais n’attrapera si ce n’est les gadgets des temps modernes, que sont les magnétophones et autres appareils du même type. La sagesse de la tradition orale le sait bien, elle qui choisit celui ou celle qui aura le privilège de la faire vivre, elle qui « conserve les monuments d’une culture, mais ne [laisse] pas de trace matérielle » selon la formule de Claude Hagège4. Mais dans ce flux sonore qui part et qui revient, s’organise et se structure par delà son apparence verbale désorganisée, le chemin est là, bien tracé par l’oreille, pour celui qui sait le suivre. Comme le promeneur qui traverse le gué, il saute d’une pierre à l’autre et arrive de l’autre côté de la rive sans encombre, suivant un chemin qui n’est pas aussi l i n é a i r e que les apparences voudraient le faire entendre puisqu’il suit les méandres de la pensée. « Étudier le français parlé, c’est étudier des discours généralement non préparés à l’avance. Or, lorsque nous produisons des discours non préparés, nous les composons au fur et à mesure de leur production, en laissant des traces de cette production. » Et pour illustrer sa définition de l’oral (ou du français parlé pour reprendre ses termes), Claire Blanche-Benveniste, propose une disposition hautement significa- tive et illustrative du phénomène. Elle montre ainsi en quoi le phénomène de 4 2. Eddy ROULET (1991) « La pédagogie de l’oral en question (s) » in Parole étouffée et parole libérée, M. Wirthner, D. Martin et P. Perrenoud (dir), Delachaux et Niestlé, p.44. 3. Claude HAGEGE (1985) idem, p.85. 4. Claude HAGEGE (1985) idem, p.84 linéarité (jugé par ailleurs incontournable par Claude Hagège) n’est qu’une illu- sion. Elle indique comment « le locuteur est amené à faire des allées et venues sur l’axe syntagmatique » et comment il est amené à se corriger en parcourant d’avant en arrière cet axe5. Il y a dans la nature même de l’oral, ce caractère unique, être un, jamais tout à fait identique, jamais tout à fait le même, sans cesse renouvelé. La langue peut être la même mais la réalisation sonore, la parole, la communication orale, l’oral en un mot, seront à chaque fois différents, voilà pourquoi le charme opère, voilà où réside la diversité, l’individu sera là toujours présent. C’est donc bien dans sa source sonore et dans son substrat sonore que l’oral prend naissance, et, lorsque l’on parle d’oral, c’est d’abord et avant tout entrer dans le domaine de la phonétique, discipline reine pour l’analyse et la description de cette composante de la langue. Or, si jusqu’à présent, on a vu peu d’ouvrages traiter de l’oral proprement dit, c’est qu’il aurait fallu faire un sort au domaine phonétique, considéré par les non- spécalistes, comme ardu et rébarbatif : « La phonétique, pour les non-spécialistes, est une science ardue, vague- ment intimidante par sa technicité même. On espère apprendre à l’utiliser, on n’envisage pas sérieusement de chercher à la connaître. […] Discipline vécue à la fois comme difficile et indispensable, la phonétique a tenu, dans la didactique, une place toujours singulière : tantôt éminente, tantôt subalterne, jamais anodine. Redoutée, fascinante, elle s’incarne pédagogiquement et sociologiquement, pour l’apprenant comme pour le béotien, dans l’une des valeurs les plus hautes de la pratique langagière : la prononciation. » On ne peut trouver d’explication plus juste sur les rapports entretenus entre phonétique et didactique que celle fournie par Louis Porcher6. Mais, nous dira-t-on, la phonétique n’est pas la discipline qui couvre à elle seule l’étude de l’oral. Non bien entendu, elle en est simplement la discipline fondamentale, notamment dans l’enseignement-apprentissage d’une langue. Tout le monde le reconnaît fort bien d’ailleurs, même si, dans leur grande majorité, les linguistes esquivent prudemment le problème et se refugient plutôt dans la des- cription et l’analyse du français écrit7 Il ne suffit pas, cependant, de s’en tenir à la syntaxe, même celle du français p a r l é ; comment envisager d’étudier l’oral, ou si l’on préfère la parole, sans le sup- port de la composante prosodique ? L’existence et l’agencement des mots, des éléments grammaticaux de la langue ne peuvent en aucun cas exister sans l’orga- nisation segmentale et supra-segmentale de la substance sonore ; cela reviendrait tout bonnement à imaginer que l’on puisse vivre sans squelette ! Toutes les descriptions sur l’oralité de la langue le prouvent bien, seuls les phénomènes prosodiques sont à même de vertébrer la parole, de permettre à ces 5 5. Claire BLANCHE-BENVENISTE (1990) Le français parlé, études grammaticales, Éditions du C.N.R.S., pp.23-24. 6. Louis PORCHER (1987) « Simples propos d’un usager », in Études de Linguistique Appliquée, n˚66, Didier-Erudi- tion, p.135. 7. Comme le remarque Eddy Roulet, on a attendu longtemps avant de travailler sur l’oral : « il faudra attendre la thèse de Denise François, en 1974, et les premiers travaux du Groupe aixois de recherche en syntaxe, en 1977, pour que soit entreprise l’étude systématique de la syntaxe des énoncés du français parlé. » op. cit. p.45. éléments de la langue, ces bribes, ces éléments tronqués dont parle Claire Blanche-Benveniste, d’avoir une existence c’est-à-dire d’être des signaux émis uploads/Management/ guimbretiere-phonetique-et-enseignement-de-l-x27-oral 1 .pdf

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  • Publié le Nov 23, 2021
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