De l’(Im)mortalité des méthodes d’enseignement des langues Agnes Bosch Universi
De l’(Im)mortalité des méthodes d’enseignement des langues Agnes Bosch Universidad de Puerto Rico, Recinto de Río Piedras Introduction En novembre 2001, Wilfried Decoo du Département de français et italien de l‟Université Brigham Young a présenté une conférence intitulée On the Mortality of Language Learning Methods1, titre que nous avons repris dans cet article. Dans cette conférence, Decoo a expliqué comment les méthodes d‟enseignement de langues naissent, se développent et meurent, pour donner naissance à d‟autres méthodes ou pour se «réincarner» plus tard. À la lumière de ces propos, nous verrons brièvement les principes didactiques des différentes méthodes de langue qui ont caractérisé l‟enseignement des langues depuis le début du 20ème siècle. Puis, nous présenterons les variables qui ont contribué à leur succès et celles qui ont été à l‟origine de leur éventuel échec. Finalement, nous présenterons les tendances actuelles en matière de méthodologie dans la didactique des langues. Parallèlement, nous présenterons la « méthodologie intensive » créée à l‟Université de Porto Rico en 1968 et utilisée encore de nos jours. Avec cet exemple, nous tâcherons de montrer que les méthodes peuvent s‟adapter aux besoins et aux contraintes qui apparaissent d‟une époque à l‟autre et ainsi contourner les obstacles qui pourraient les mener vers une mort « annoncée ». 1. Le concept de « méthode »? Le terme méthode est ambigu: il comporte différentes significations, selon le niveau d‟analyse auquel on fait référence. Elles sont au nombre de trois, allant du plus général au plus concret: a. Premièrement, pour Henri Besse2 une méthode est un « ensemble raisonné de propositions et procédés destinés à organiser et à favoriser l‟enseignement et l‟apprentissage d‟une langue naturelle ». Christian Puren3, quant à lui, envisage ce niveau comme le niveau théorique — celui des hypothèses de travail (explicites ou sous- jacentes) — qui encadre le travail de l‟enseignant-chercheur. Ainsi, il préfère le terme méthodologie, c‟est-à dire, [un] ensemble cohérent de procédés, techniques et méthodes qui s‟est révélé capable, […], de générer des cours relativement originaux par rapport aux cours antérieurs et équivalents entre eux quant aux pratiques d‟enseignement/apprentissage induites. Enfin, Wilfried Decoo4 parle de méthode dans un sens général. Pour lui, il s‟agit d‟un ensemble de méthodes spécifiques qui ont un noyau dur ou un élément définitoire partagé. Dans ce cadre, nous pourrions mentionner, entre autres, les méthodologies traditionnelle, active, directe, voire même les approches communicatives. b. Deuxièmement, il s‟agit d‟un ensemble de procédés et de techniques d‟enseignement issu des hypothèses proposées, dont l‟objectif est de susciter chez l‟apprenant un comportement ou une activité déterminés. C‟est ce que Puren5 appelle méthode, dans le sens de « méthode directe », « méthode active », « méthode orale », etc. On dépasse le 1 Decoo, 2001. 2 Besse, H. Méthodes et pratiques des manuels de langue, 1985, p. 14. 3 Puren, C. Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, 1988, p. 17 4 Decoo, Op. cit., p. 4. 5 Puren, Op. cit., p. 16. 8 niveau théorique pour intervenir concrètement, dans le contexte d‟enseignement/apprentissage. La méthode est formée par l‟ensemble d‟éléments constitutifs d‟un manuel de langue, ainsi que par les normes d‟utilisation ou les pratiques préconisées par ses auteurs pour mettre en place les principes pédagogiques. Decoo6 ajoute que la méthode peut souvent s‟écarter de la « méthodologie » dans laquelle elle est censée s‟inscrire. c. Troisièmement, on arrive au contexte du cours de langue, à la mise en œuvre de ces techniques ou procédés dans la classe, par un professeur, avec un groupe spécifique d‟étudiants, dans un contexte pédagogique particulier.7 Il s‟agit, concrètement, du matériel d‟enseignement ou du cours de langue, ce que Decoo8 définit comme une méthode spécifique ayant son propre cadre de référence et son propre nom. Par ailleurs, il faut signaler qu‟un manuel n‟est pas une méthode, même si souvent les termes sont employés de manière interchangeable: une méthode est un concept abstrait et donc plus général que le(s) manuel(s) utilisé(s) dans le contexte d‟une salle de classe en particulier; de même, une seule méthode peut donner naissance à divers manuels ou ensembles pédagogiques relativement différents les uns des autres. Le manuel, quant à lui, est souvent « plus riche et plus complexe que la méthode qui l‟inspire ou le justifie, parce que son élaboration suppose constamment des décisions qui ne relèvent pas des principes de la méthode ».9 C‟est pourquoi aucune méthode ni aucun manuel ne peut s‟adapter complètement à une classe particulière. Ainsi, la réussite ou l‟échec d‟une classe de langue dépend plus de la manière dont les enseignants et les enseignés intègrent (ou pas) les trois niveaux méthodologiques (cours, méthode, méthodologie) explicités ci-dessus que du manuel lui-même.10 Puren11 ajoute qu‟il existe des oppositions méthodologiques fondamentales entre les méthodes d‟enseignement. En suivant un ensemble de principes communs—la pertinence et l‟efficacité de chaque méthode dans son contexte spécifique d‟apprentissage, la cohérence du projet pédagogique dans lequel elle s‟insère, la variation et la différenciation entre les méthodes— le professeur peut mettre en place différentes opérations: 1) sélectionner les méthodes qu‟il va employer à un moment donné; 2) combiner des activités qui font appel à des méthodes différentes simultanément; 3) juxtaposer des activités qui sont réalisées de manière autonome; 4) articuler des séries chronologiques qui mettent en pratique différentes méthodes. En outre, il affirme que les éléments qui différencient une méthodologie d‟une autre, sont en général: 1) ses principes de base —les théories sous-jacentes et les domaines de référence (linguistique, psychologie, sciences de l‟éducation, etc.); 2) les procédés, les supports et les activités concrètes auxquels elles font appel pour promouvoir l‟apprentissage; et 3) la façon dont elles sont combinées, juxtaposées ou articulées.12 À cela, le Longman Dictionary of Language Teaching and Applied Linguistics ajoute que les méthodes diffèrent dans leur conception sur la nature du langage et son apprentissage, leurs objectifs d‟enseignement, le type de programme visé, les techniques et procédés d‟enseignement qu‟elles préconisent et, enfin, le rôle accordé au professeur, aux apprenants et aux matériels pédagogiques. Pour illustrer un peu ces différences, 6 Decoo, Idem. 7 Besse, Op. cit., p. 13. 8 Decoo, Idem. 9 Besse, Op. cit., p. 14 10 Idem, p. 16 11 Pour consulter le tableau des oppositions méthodologiques en didactique des langues, voir Puren, « Méthodes et constructions méthodologiques dans l‟enseignement et l‟apprentissage des langues », 2000. 12 Idem, La didactique des langues étrangères à la croisée des méthodes : Essai sur l’éclectisme, 1999, p. 151 9 nous allons présenter brièvement les principales méthodes de langue qui ont caractérisé la discipline, dans ce que Rézeau13 appelle « la valse des méthodes et méthodologies de langues ». 2. Parcours historique des méthodes de langue a. La méthode grammaire-traduction ou méthode traditionnelle Jusqu‟à la fin du 19è siècle, l‟enseignement des langues modernes s‟était calqué sur celui des langues anciennes, suivant une approche de grammaire-traduction, la maîtrise d‟une langue étrangère étant en fait la capacité de traduire des énoncés produits en langue maternelle. Cette méthode, connue sous le nom de « méthode traditionnelle » (MT), visait l‟apprentissage des règles de grammaire et des formes écrites, puisque son objectif n‟était pas tant d‟apprendre à parler la L2 « que de faciliter l‟accès à des textes (littéraires ou non) rédigés dans cette langue ».14 Ainsi, l‟apprentissage de la langue étrangère passait par la révision des règles grammaticales (méthode déductive), la mémorisation de listes de mots (méthode répétitive) et, enfin, la production d‟équivalences interlinguales (méthode applicative) à l‟aide d‟exercices de thème et de version (méthode indirecte). Cette méthodologie ne faisait appel à aucune technologie. b. La méthode directe Au début du 20ème siècle, une nouvelle méthode s‟est forgée en réaction contre la MT. Son principe général était de faire apprendre à parler directement en langue cible par le biais de l’activité constante de l‟apprenant. En effet, cette méthode favorisait l‟interaction (méthode active) et non plus la traduction ni la mémorisation de listes de mots (méthode directe), l‟apprentissage de la grammaire sans passer par la règle explicitée (méthode inductive), la priorité de l‟oral (méthode orale) et le contact direct avec la langue étrangère (méthode directe). Son noyau dur était constitué par les méthodes directe, orale et active, articulées aux méthodes répétitive, interrogative et intuitive. Déjà à cette époque, la technologie était utilisée dans le cadre de l‟enseignement des langues, mobilisées suivant ce que Puren15 appelle le modèle de complémentarité, dans lequel les technologies s‟articulent autour de la méthodologie d‟enseignement (en tant qu‟auxiliaires ou aides à l‟apprentissage). c. La méthode de l’armée (États-Unis) À partir de la Deuxième guerre mondiale, nous constatons un changement radical dans la didactique des langues. Aux États-Unis, les Américains ont développé la Méthode de l‟armée (The Army Method), dont l‟objectif était de former rapidement les soldats qui partiraient au front en Europe. Les leçons se construisaient autour de dialogues de “langue courante” (méthodes orale et directe) qu‟il fallait mémoriser afin d‟éviter les fautes (méthode imitative), avant de comprendre le fonctionnement de la grammaire (méthode inductive). Les explications grammaticales étaient présentées par le professeur (méthode transmissive) tantôt en L1 tantôt en L2. La méthode de l‟armée comptait également sur un locuteur natif qui uploads/Management/ immortal-it-e.pdf
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- Publié le Jan 31, 2021
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