Infidèles, zappeurs et slasheurs ? Les Z et l’émergence d’une nouvelle forme de

Infidèles, zappeurs et slasheurs ? Les Z et l’émergence d’une nouvelle forme de fidélité employeur Élodie Gentina, Véronique Pauwels-Delassus, Aurélie Leclercq-Vandelannoitte Dans Revue de gestion des ressources humaines 2022/3 (N° 125), pages 55 à 71 Éditions ESKA ISSN 1163-913X ISBN 9782747233606 DOI 10.3917/grhu.125.0055 Distribution électronique Cairn.info pour ESKA. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-de-gestion-des-ressources-humaines-2022-3-page-55.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. © ESKA | Téléchargé le 01/03/2023 sur www.cairn.info via Excelia Group (IP: 81.1.0.41) © ESKA | Téléchargé le 01/03/2023 sur www.cairn.info via Excelia Group (IP: 81.1.0.41) © Éditions ESKA, 2022 NUMÉRO 125 - JUILLET – AOÛT – SEPTEMBRE 2022 55 INFIDÈLES, ZAPPEURS ET SLASHEURS ? LES Z ET L’ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE FORME DE FIDÉLITÉ EMPLOYEUR Elodie GENTINA IESEG School of Management, Univ. Lille, CNRS, UMR 9221 - LEM - Lille Economie Management, F-59000 Lille, France Véronique PAUWELS-DELASSUS IESEG School of Management, Univ. Lille, CNRS, UMR 9221 - LEM - Lille Economie Management, F-59000 Lille, France Aurélie LECLERCQ-VANDELANNOITTE CNRS, IESEG School of Management, Univ. Lille, UMR 9221– LEM- Lille Économie Management, 3 rue de la Digue, F-59000 Lille, France INTRODUCTION La fidélité est à la fois un atout important (Martin, 2014), un enjeu de taille (Paillé, 2004, p.5), et une préoccupation majeure pour les orga- nisations (Poulain-Rehm, 2012). Elle est rapide- ment devenue une problématique centrale de la recherche en gestion des ressources humaines (GRH) (Giraud et al., 2012, 2015). La fidélité est encore plus stratégique pour les organisations lorsqu’il s’agit de pérenniser les relations qu’elles établissent avec les jeunes issus de la Génération Z (nés après 1995, pendant la 4ème révolution indus- trielle, encore connus sous le terme de « digital natives »). Alors que la fidélité et la loyauté étaient des valeurs propres aux générations passées (les baby-boomers et les X), les Z semblent ne plus sacraliser l’entreprise, et peuvent même la quitter sans état d’âme rapidement après leur embauche. Si 80 % des jeunes français considèrent le travail comme important, seuls 18% le jugent prioritaire (Marriault & Vairet, 2021), comme en attestent les recherches en GRH qui montrent que le tra- vail chez les jeunes prend place dans une concep- tion plus large de l’existence (Albert & Bournois, 2005 ; Bender, 2010 ; Dejoux & Wechtler, 2011 ; Martin, 2014). Autre fait clé : un jeune français sur deux refuse de s’engager dans l’entreprise à long terme, privilégiant le statut d’intérimaire ou de « free-lance », qui offre plus de souplesse, d’autonomie et de flexibilité (Aroles et al., 2019) ; ainsi, le classique Contrat à Durée Indéterminée (CDI) n’apparait plus comme une fin en soi pour les jeunes talents (Gentina & Delécluse, 2018). Comme souvent, ces derniers sont affublés des nouveaux maux de la société. Dans un contexte dit de « modernité liquide » (Bauman, 2000), la nouvelle génération est ainsi qualifiée de géné- ration de « slasheurs » ou de zappeurs, adeptes du changement permanent et du court terme. Ces caractéristiques sont souvent prises pour une forme d’impatience, renvoyant à un comporte- ment d’infidélité, d’absence d’engagement et de désintérêt pour l’entreprise. Pourtant, les mana- gers auraient tort d’assimiler ce comportement à de l’inconstance. Si, pendant longtemps, le terme « slasheur » a revêtu une connotation négative, décrivant un comportement d’infidélité associé à l’arrivée de la génération Z, il prend une autre dimension aujourd’hui, renvoyant à une diversité © ESKA | Téléchargé le 01/03/2023 sur www.cairn.info via Excelia Group (IP: 81.1.0.41) © ESKA | Téléchargé le 01/03/2023 sur www.cairn.info via Excelia Group (IP: 81.1.0.41) Infidèles, zappeurs et slasheurs ? Les Z et l’émergence d’une nouvelle forme de fidélité employeur REVUE DE GESTION DES RESSOURCES HUMAINES 56 d’expériences et de compétences clés (telles que l’exemplarité et l’esprit critique) et dans des dimensions diverses - digitales, collectives, entre- preneuriales (Gentina & Delecluse, 2018). Dans ce contexte, il est devenu primordial pour les entre- prises de capter ces compétences sur le long terme et, pour ce faire, de repenser la fidélité des jeunes à leur employeur. Par ailleurs, bien que les Z soient souvent qualifiés de matérialistes, à l’affût des marques (Chaplin & John, 2010), la réalité est plus complexe puisque ces derniers semblent privilé- gier l’expérience à partager avec les autres, « leur tribu », à la possession (Gentina, 2014), laissant entrevoir une évolution possible de leur fidélité à l’entreprise, en phase avec leurs attentes, valeurs et projets de vie. Dès lors, comment repenser la question de la fidélité de la jeune génération à l’entreprise? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité dans le contexte actuel de crise économique lié à la pandémie de Covid-19. Sur l’ensemble de l’année 2020, selon la Direction Des Statistiques du Ministère du Travail (DARES), le nombre d’embauches de jeunes de moins de 26 ans en Contrat à Durée Indéterminée (CDI) et Contrat à Durée Déterminée (CDD) de plus de trois mois a reculé de 14% par rapport à 2019 (Guyot, 2021). Si le slashing concerne toutes les générations, il touche particulièrement les jeunes de moins de 30 ans (39 % contre 19 % des plus de 60 ans), maitrisant parfaitement le digital et vivant dans une culture de l’instantanéité (Gentina, 2022). En dépit de cette crise, les jeunes talents se montrent paradoxalement plus critiques et plus exigeants à l’égard de l’entreprise, sans doute car ils sont nés dans l’incertitude économique et sont prêts à prendre plus de risques face à un avenir incertain. L ’objectif de cet article est d’explorer les clés de la fidélité de la nouvelle génération à l’entreprise, en prenant en considération l’évolution possible du concept de fidélité à l’employeur et les nouvelles dimensions de cette dernière, a fortiori dans le contexte de crise actuel. A l’appui d’une étude de cas menée dans une grande entreprise française caractérisée par son attractivité auprès des jeunes (Décathlon), cette recherche analyse l’évolution du concept de fidélité à l’entreprise dans le cadre de la génération Z en deux phases (2018 et 2020). Les résultats contribuent aux recherches portant sur le concept de fidélité à l’employeur, en per- mettant de spécifier les contours d’une nouvelle forme de fidélité, pluridimensionnelle, à travers notamment le passage d’une fidélité à l’entreprise à une fidélité plus sociale (Price et al., 2007), et collaborative (Gentina et al., 2012), ainsi que le suggèrent des recherches émergentes en marketing relatives à la fidélité du (jeune) consommateur. Cette nouvelle forme de fidélité met au jour l’im- portance des collaborateurs et du « do-it together » (DIT), et témoigne du passage d’une fidélité abso- lue et subie à une fidélité choisie ; d’une fidélité négative liée à la peur de perdre son emploi à une fidélité positive liée à la volonté d’être heureux au travail (Gentina, 2018). Ces résultats invitent à remettre en question les politiques traditionnelles de fidélisation des ressources humaines. Après un éclairage théorique sur la notion de fidélité à l’entreprise, et l’analyse des spécificités de la génération Z dans ce domaine, nous pré- sentons la méthode de recherche adoptée dans cet article. S’inscrivant dans une démarche qua- litative interprétativiste, notre étude de cas per- met d’explorer la relation des Z avec l’entreprise, amenant à une conception renouvelée, pluridimen- sionnelle, de la fidélité. Après avoir discuté ces résultats, dans un contexte où l’émergence de nou- veaux comportements appelle au développement d’une « nouvelle GRH » (Honoré et al., 2010), nous concluons par une analyse des implications de cette recherche sur l’évolution nécessaire des politiques de fidélisation des ressources humaines. 1. CADRE THÉORIQUE 1.1. Le concept de fidélité des salariés à leur entreprise La fidélité des salariés se fonde sur une connexion relationnelle particulière (Schrag, 2001 ; Giraud et al., 2012). Elle peut être défi- nie comme un lien fort qui lie un employé à son entreprise même s’il n’est pas forcément économiquement favorable pour lui d’y rester (Logan, 1984). La fidélité se traduit par « une faible propension à rechercher et à examiner les offres d’emploi externes ainsi qu’un sentiment d’appartenance élevé » (Brillet et al., 2013, p.3). Tout comme en marketing où la définition de la fidélité fait référence à l’engagement profond du consommateur à racheter le produit préféré de manière régulière et répétitive, et ceci même dans un contexte où des actions marketing concur- rentes pourraient inciter le changement d’achat de produit (Oliver, 1999), la fidélité à l’entreprise peut être abordée de manière comportementale © ESKA | Téléchargé le 01/03/2023 sur www.cairn.info via Excelia Group (IP: 81.1.0.41) © ESKA uploads/Management/ infideles-zappeurs-et-slasheurs-les-z-et-l-x27-emergence-d-x27-une-nouvelle-forme-de-fidelite-employeur.pdf

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  • Publié le Mar 08, 2021
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