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© 2020 ISTE OpenScience – Published by ISTE Ltd. London, UK – openscience.fr Page | 1 L’organisation de l’innovation technologique des entreprises : une analyse autour du concept d’exploration The organization of companies' technological innovation: an analysis based on the concept of exploration Didier Lebert1, François-Xavier Meunier2 1 Unité d’Économie Appliquée, ENSTA Paris, France, didier.lebert@ensta-paris.fr 2 Chaire Économie de défense, France, francois-xavier.meunier@fdd-ihedn.fr RÉSUMÉ. Cette contribution propose, à l’aide d’une représentation simple de l’organisation de l’activité d’innovation des entreprises, de mesurer le poids des innovations d’exploration et d’exploitation. L’objectif est d’étudier les déterminants structuraux associés à l’une ou l’autre des activités afin de mieux comprendre les choix des entreprises. A cette fin l’article s’appuie sur des outils issus de la théorie de la cohérence technologique appliqués aux portefeuilles de brevets des 2 000 plus grands groupes innovants au monde. ABSTRACT. This contribution proposes, with the help of a simple representation of the organization of companies' innovation activity, to measure the weight of exploration and exploitation innovations. The objective is to study the structural determinants associated with one or the other of the activities in order to better understand the choices of companies. To this end, the article uses tools from the theory of technological coherence applied to the patent portfolios of the world's 2,000 largest innovative groups. MOTS-CLÉS. Innovation, recherche et développement, brevets, systèmes technologiques, dilemme exploration-exploitation. KEYWORDS. Innovation, research and development, patents, technological systems, exploration–exploitation dilemma. 1. Introduction Les notions d’exploitation et d’exploration ont été largement employées pour décrire l’activité d’innovation des entreprises. [MAR 91] décrit la première comme une innovation ayant un but d’efficience et réductrice de variété technologique, tandis que la deuxième correspond à une prise de risque pour l’expérimentation de nouvelles voix d’innovation. Pour identifier la part de l’innovation relevant de l’une ou l’autre des catégories, cet article mobilise les outils initialement développés pour analyser la diversification des entreprises proposés par [TEE 94]. Ces auteurs mesurent le degré de cohérence d’une entreprise en utilisant une représentation réticulaire de ses activités productives. Ainsi, deux activités sont liées entre elles (related) lorsqu’elles apparaissent souvent ensemble dans les portefeuilles d’activités. [NES 05], notamment, ont adapté cette mesure de la cohérence au portefeuille technologique de l’entreprise, c’est-à-dire à l’ensemble des briques de connaissances technologiques qu’elle produit. Ces briques sont repérées via les brevets que l’entreprise dépose. Cet article utilise ces outils pour caractériser l’activité d’innovation des entreprises. L’objectif est de mesurer le poids relatif de ses innovations d’exploration et d’exploitation et d’étudier les déterminants de ces choix. Cette cartographie de l’organisation de la R&D de l’entreprise nous conduit à formuler et à tester empiriquement trois hypothèses. La première concerne la relation entre la diversité technologique d’une entreprise et l’intensité de ses innovations d’exploration. La deuxième hypothèse a trait à la capacité d’une entreprise à déployer une activité d’innovation exploratoire selon sa position dans le « Réseau Global de R&D » (RGRD). La troisième hypothèse énonce que les entreprises déploient des innovations de natures différentes selon les marchés technologiques auxquels elles s’adressent. © 2020 ISTE OpenScience – Published by ISTE Ltd. London, UK – openscience.fr Page | 2 L’exercice de cartographie et l’étude statistique de l’article porte sur les 2 000 plus grandes entreprises innovantes en termes de dépense en Recherche et Développement (R&D) regroupées au sein de la base COR&DIP [OCD 15] dont les dépôts de brevets sont étudiés à l’aide de la base PATSTAT [EPO 14]. La suite de l’article se compose de quatre sections. La première revient plus en détail sur le cadre théorique et notamment sur les notions d’innovation d’exploration et d’exploitation. A partir du cas de l’entreprise Sanofi-Aventis, la deuxième section présente les trois hypothèses qui seront par la suite testées et discutées dans les deux sections suivantes. 2. Positionnement théorique [FOS 01] posent que la cohérence technologique d’une entreprise consiste à gérer efficacement un dilemme exploration / exploitation. Ce dilemme émane des différentes manières de profiter des connaissances existantes. [MAR 91] l’exprime ainsi : « The essence of exploitation is the refinement and extension of existing competencies, technologies, and paradigms (...) The essence of exploration is experimentation with new alternatives » (p. 71). Ce dilemme semble se résoudre dans le temps, les firmes commençant par explorer des opportunités avant d’exploiter les plus profitables [FAU 09]. Ce dilemme apparaît alors comme structurant dans le cycle de vie des technologies. Pour mieux comprendre l’intérêt de se référer à ce dilemme pour traiter de l’innovation technologique des entreprises, il convient de préciser la théorie de la diversification qui a permis de développer ce cadre d’analyse en termes de cohérence. Elle trouve son origine dans les travaux de [PEN 59], qui souligne que la performance des firmes ne dépend pas seulement du nombre des ressources dont elle dispose, mais aussi de l’articulation de ces ressources entre elles. Une activité est alors associée à une combinaison de ressources. Or, différentes activités peuvent reposer sur des combinaisons similaires de ressources et ainsi donner lieu à des synergies entre les activités. C’est sur l’exploitation des synergies qui existent entre différentes activités que reposent les stratégies de diversification non conglomérales [CHA 62] [ANS 65]. Par ailleurs, [PEN 59] souligne que cette diversification « liée » ne se fait pas nécessairement par le biais de produits déjà existants (exploitation de synergies entre deux activités déjà connues), mais qu’elle passe aussi par la recherche d’opportunités nouvelles liées aux ressources dont elle dispose déjà. En effet, le potentiel synergétique entre les différentes ressources n’est pas une information dont les entreprises disposent toujours a priori. Ce n’est parfois qu’après avoir testé des combinaisons de ressources qu’elles sont en mesure de connaître précisément leur potentiel synergétique. La diversification des entreprises passe donc par un arbitrage entre les deux alternatives : exploration et exploitation. La diversification peut alors être perçue, d’une part, comme un moyen d’optimiser l’exploitation des synergies déjà connues entre les ressources des entreprises, afin d’accroître les « liaisons » entre elles [RUM 74] [MON 79]. D’autre part, elle peut être perçue comme l’exploration de liaisons entre les ressources de l’entreprise dont le potentiel synergétique n’est pas encore connu. Ceci mène, soit à l’ajout de nouvelles activités [NES 05], soit à l’abandon de certaines combinaisons engendrant des coûts organisationnels prohibitifs [REE 91]. Il semble donc qu’il existe un optimum de diversification lié à la nature des compétences que l’entreprise mobilise et associe [MON 94]. Dans ce cadre théorique, comprendre les schémas de diversification des firmes constitue un enjeu. Or, suivant l’approche de [PENS 59], les entreprises se diversifient en fonction de la liaison entre leurs ressources, autrement dit en fonction des synergies qui existent entre elles. Plus ces synergies sont fortes, plus elles incitent les entreprises à suivre des schémas de diversification similaires. In fine, les activités les plus liées entre elles sont alors celles qui sont le plus souvent associées au sein d’une même entreprise [ANS 65]. C’est ce qui relève de la logique d’exploitation. © 2020 ISTE OpenScience – Published by ISTE Ltd. London, UK – openscience.fr Page | 3 Les combinaisons de ressources plus originales relèvent de l’exploration de nouvelles combinaisons au potentiel synergétique indéterminé. Le concept de « mou » (slack) proposé par [PEN 59] permet lui aussi de mieux comprendre cet arbitrage entre exploitation des liaisons existantes et exploration des liaisons dont le potentiel est incertain. Ce mou correspond à l’ensemble des liaisons possibles entre les ressources d’une entreprise et qui ne sont pas forcément exploitées par elle. Chacune peut puiser au sein de ce vivier afin d’y exploiter des combinaisons communément utilisées, ou bien pour y explorer des combinaisons inédites. Si dans la tradition de la théorie de l’X-inefficience [LEI 66] le slack définit directement le degré auquel la production réelle est inférieure à la production maximale pour un niveau donné d’inputs et est source dans l’entreprise d’une mauvaise allocation des ressources, pour [HER 06], suivant [CYE 63], l’innovation réclame des investissements qui vont au-delà de ceux qui sont nécessaires pour répondre aux besoins opérationnels immédiats de l'entreprise, et le slack organisationnel constitue une source de financement possible pour l’innovation, permettant d’acquérir et de soutenir les personnels, les équipements, la technologie et l’infrastructure nécessaires à son développement. [DIB 10] reprennent le concept de « mou » afin d’étudier non pas la diversification mais l’innovation technologique au sein des entreprises. Ils prennent comme hypothèse que le potentiel d’innovation, comme le potentiel de diversification, est lié à leur capacité à puiser dans ce « mou », technologique en l’occurrence. Le « mou technologique » concerne pour ces auteurs exclusivement les ressources en termes de connaissances et s’observe ainsi au sein de la base de connaissances des entreprises. Il correspond à l’ensemble des liaisons possibles entre les connaissances technologiques qu’une entreprise maîtrise. Les architectures de connaissances potentielles qu’elles permettent de développer constituent, selon l’expression de [PEN 59], une « structure d’opportunité » pour l’entreprise [COH 10]. Cette structure d’opportunité détermine le potentiel d’innovation des entreprises qu’il est donc possible d’étudier au travers du dilemme exploration / exploitation. La mesure de la cohérence des entreprises est uploads/Management/ iste-techinn20v5n4-3.pdf

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  • Publié le Oct 22, 2022
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