2 L’antibible du contrôle de gestion Pour la rénovation des 10 commandements du

2 L’antibible du contrôle de gestion Pour la rénovation des 10 commandements du contrôleur de gestion Florent FOUQUE http://www.l-antibible-du-controle-de-gestion.fr 3 4 COMMANDEMENT N°2 Dans les prévisions, tu excelleras ! À l’image de M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, Bertrand Eric est un grand adepte du management au rétroviseur. Ce style de management trouve son confort dans la confiance démesurée accordée aux prévisions. Ainsi, notre contrôleur de gestion doit compter, dans sa besace, des outils de prévision suffisamment pertinents pour imaginer de quoi sera fait demain, sur la base des données recueillies hier. Lorsqu’il travaillait sur ses premières prévisions, Bertrand exprimait une certaine frilosité à développer des hypothèses d’évolution. Ensuite, l’expérience faisant, il savait que ce qui était primordial ne tenait pas dans son aptitude à faire des prévisions, mais dans sa capacité à justifier les hypothèses retenues et les écarts constatés. Voyons dans le détail comment nous en sommes arrivés à cette situation où le travail de prévision a pris un tel poids dans l’entreprise qu’il est devenu un frein à sa croissance. 5 La propagation sournoise du management au rétroviseur Partant du principe que ce qui ne se mesure pas ne s’améliore pas, toutes les entreprises se sont équipées de tableaux de bord et d’indicateurs de plus en plus poussés pour manager leur activité et optimiser leurs processus. Le succès croissant des projets informatiques de mise en place d’entrepôt de données et de logiciel de BI (Business Intelligence) en est une belle illustration. Emportés par l’euphorie des premiers résultats positifs de l’utilisation des indicateurs de performance et des tableaux de bord, les managers ont délaissé leur intuition pour s’en remettre définitivement à la seule analyse des données historiques. Voilà comment est apparu le management au rétroviseur. Pour la majorité des entrepreneurs, « manager au rétroviseur » consiste à se focaliser sur les évènements passés au détriment des plans d’action à mettre en œuvre pour améliorer le futur. Cette définition se traduit dans la pratique par : ‐ une attention toute particulière à analyser les tableaux de bord, ‐ la justification systématique des variations d’indicateur, ‐ la recherche de coupables pour expliquer les mauvais résultats, ‐ une période de construction des budgets qui s’éternise, ‐ une focalisation sur les résultats au détriment de la mise en œuvre de plans d’action, ‐ une importance toute particulière accordée au calcul des coûts de revient. En conséquence, le management au rétroviseur apparaît comme étant le management de la passivité. Pour répondre au manque de réactivité et surtout à l’absence dʹanticipation engendrée par le management au rétroviseur, les entreprises ont accordé davantage de crédit au travail de prévision. 6 Cela s’illustre par le recrutement d’ingénieurs en statistiques, par l’installation de logiciels de prévision de vente, et surtout par des charges de travail de plus en plus lourdes consacrées à la réalisation des budgets. Si on peut se féliciter des aspects positifs de cette réorientation (capitalisation sur les systèmes d’information pour une meilleure anticipation des évolutions du marché), nous ne devons pas oublier que les prévisions sont issues des données du passé et que, par conséquent, le management par les prévisions reste du management au rétroviseur. Par ailleurs, la sacralisation des systèmes d’information et des prévisions de vente a tendance à faire oublier que le propre d’une prévision est d’être inexacte. Bertrand Eric a récemment eu l’occasion de constater ce manque de discernement sur l’apport des prévisions. Deux mois après son arrivée chez Martin’s Garden, il était invité à participer à une visite d’usine de la société Tractojardin. Cette société de production de tracteurs pour le jardin constituait une opportunité de croissance externe pour Martin’s Garden. De manière fortuite pour notre industriel international, Tractojardin était en cessation de paiement depuis quelques semaines et recherchait un repreneur pour poursuivre son activité. A ce titre, l’entité EMEA de MG s’était portée candidate pour le rachat et avait envoyé Bertrand pour évaluer la situation financière de cette entreprise. A son arrivée sur le site, Bertrand avait été stupéfait de constater que la vaste cour de l’usine était pleine de tracteurs de toutes tailles. Il y en avait même jusque sur le parking prévu pour les véhicules des employés. Même si ce n’était pas prévu dans le questionnaire d’audit, la première interrogation de notre contrôleur de gestion porterait sur ce point. 7 ‐ Dites‐moi, M. Hirmin, comment se fait‐il que vous ayez autant de tracteurs sur le parking ? Avez‐vous eu un client qui s’est désisté au dernier moment ? ‐ Oh non mon cher monsieur, ce n’est pas un client, mais le marché entier qui s’est désisté. Ces deux dernières années, avec la crise, notre carnet de commandes a chuté de 80%. Alors, vous comprenez bien que le stock est devenu de plus en plus difficile à financer. C’est surtout le marché de Dubaï qui nous a fait mal. Lorsque nous nous sommes positionnés sur ce marché il y a cinq ans, les ventes étaient phénoménales. Et puis tout s’est arrêté d’un seul coup. Les autres marchés ont fortement diminué et nous nous sommes retrouvés avec tout ce stock sur les bras. Et vous imaginez bien qu’il est impossible de prévoir une telle chute des ventes. Nous avons donc tardé pour réagir. Et puis, nous pensions comme tout le monde que la crise passerait vite et qu’ensuite cela repartirait de plus belle. Nous avions donc diminué notre production, mais nous avions maintenu un certain rythme de rendement pour être prêts le jour de la reprise. ‐ Si je comprends bien ce que vous me dites M. Hirmin, vous privilégiez plutôt une production destinée au stockage qu’une fabrication sur commande1… ‐ Oui, tout à fait. Lorsque nous nous sommes lancés sur le marché de Dubaï, nous n’avions pas les capacités de production nécessaires pour faire face à la demande. Nous nous sommes donc organisés pour produire des quantités beaucoup plus importantes. C’est à cette occasion que nous avons basculé en mode « make to stock » pour produire davantage. ‐ A la limite, je peux comprendre ce choix pour les petits tracteurs d’entrée de gamme, mais quand je vois l’état de votre cour, il me semble que la valeur la plus importante de votre stock se positionne sur les gammes d’engins les plus élevées. Vos clients ne pouvaient‐ils 1 Ces deux modes de fonctionnement sont souvent cités par leur traduction anglo-saxonne “Make to order” et “Make to Stock”. 8 pas attendre quelques jours ou quelques semaines avant d’obtenir leurs machines ? ‐ Oh j’imagine effectivement qu’ils auraient pu attendre quelques jours. Mais avec les volumes que nous enregistrions à cette époque, la fabrication sur commande nous faisait prendre plusieurs mois de retard. Je vous le dis, nous n’arrivions pas à absorber la croissance. Et puis comme nous avions un ERP qui nous permettait de faire des prévisions de vente aux petits oignons, il paraissait naturel de profiter de cette fonctionnalité pour servir au mieux la demande du marché. ‐ Et par la suite, quand les ventes ont chuté, vous n’avez pas pensé à revenir à une fabrication sur commande ? Cela aurait peut‐être permis de limiter l’argent bloqué pour financer les stocks… ‐ Oui vous avez sûrement raison. Mais nous pensions tous que cela allait repartir plus vite. Et puis vous savez… quand on arrive après la bataille, c’est toujours plus facile de faire le donneur de leçon… Sentant l’amertume gagner son interlocuteur, Bertrand enchaîna sur son questionnaire d’audit. Mais assurément, il détenait la principale faute de gestion qui avait conduit Tractojardin dans ce marasme. A chaque rétroviseur son angle mort Le terme de management au rétroviseur offre une belle allégorie pour présenter les méfaits de ce type de pratique (il paraît difficile de conduire un véhicule simplement en regardant dans le rétroviseur, sans faire de catastrophe). Si nous poursuivons l’analogie, le terme d’angle mort semble approprié pour évoquer les informations qui nous échappent dans l’élaboration de nos modèles de prévisions ou dans l’explication de leurs résultats. Ne pas confondre corrélation et causalité Le plus souvent, lorsque nous observons une certaine corrélation entre deux variables, nous avons tendance à en déduire que l’une est 9 explicative de l’autre. Par exemple, une réduction du chiffre d’affaires s’expliquera par la réduction du budget marketing. Or la corrélation n’est pas synonyme de causalité. Le chiffre d’affaires est une variable qui dépend de beaucoup de facteurs. Il paraît donc hasardeux d’y voir un lien de cause à effet quand il n’y a simplement qu’une corrélation avec l’évolution du budget marketing. Figure 2.1 - Liens possibles entre les deux variables X et Y avec un coefficient de corrélation identique (pointillé : corrélation ; flèche : causalité).2 Si la corrélation se révèle facilement à l’analyse de nos historiques, la causalité est moins évidente à percevoir. Par ailleurs, notre tendance à réécrire le passé au prisme du présent enferme définitivement les causes explicatives dans l’angle mort de notre représentation. La peur bleue des prévisionnistes face aux cygnes noirs Un cygne noir est un évènement imprévisible qui vient remettre en cause l’ensemble du uploads/Management/ l-antibible-du-controle-de-gestion-ch-2-gratuit.pdf

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  • Publié le Mai 09, 2021
  • Catégorie Management
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