L’analyse du discours et ses frontières ( Discourse analysis and its boundaries

L’analyse du discours et ses frontières ( Discourse analysis and its boundaries) (Extrait d'un article précédemment publié dans la revue électronique Marges linguistiques, n° 9, 2005) « L’analyse du discours et ses frontières » Résumé Le champ des recherches sur le discours est à juste titre considéré comme hétérogène et instable. Cet article s’efforce d’y introduire un minimum de principes d’organisation. Il critique la position communément défendue qui présente les recherches sur le discours comme un espace où coexisteraient de multiples « approches » placées sur un même plan. On essaie de montrer qu’il est préférable d’accorder un rôle structurant aux « disciplines du discours ». Mais ce découpage par disciplines doit coexister avec des découpages par « courants » et par « territoires ». Dans un second temps, on procède à un inventaire des unités majeures avec lesquelles travaillent les analystes du discours ; une distinction est établie entre unités « topiques » et « non-topiques ». Mots clés : discours, analyse du discours, discipline, unités topiques, unités non-topiques Abstract The field of discourse studies is rightly considered as heterogeneous and unstable. This article aims at introducing some principles to organise it. Most of scholars sustain that this field can be described as a space in which a wide range of “approaches” are competing with each other on the same level. I think it better to attach great importance to the structuring role of “discourse disciplines”. But this division into disciplines must coexist with a division into “trends” and another one into “territories”. Furthermore I take an inventory of the major units with which discourse analysts work ; a distinction is made between “topic” and “no-topic” units. Key words : discourse, discourse analysis, discipline, topic unit, no-topic unit Pour beaucoup les recherches qui portent sur le discours, ce qu’on appelle quelquefois « linguistique du discours » ou « analyse du discours » (deux termes qui à notre sens ne sont pas équivalents, comme on le verra) reste une occupation pas toujours sérieuse, qui mêle de manière mal contrôlée des considérations d’ordre linguistique avec des considérations socio- et psychologiques de seconde main. La solution de facilité a longtemps consisté à les rejeter aux confins des sciences du langage. Aujourd’hui on s’y risque moins, car une crise d’identité généralisée affecte les partages disciplinaires traditionnels. S’il est de plus en plus difficile de récuser l’intérêt des recherches qui se mènent au nom de « l’analyse du discours », en revanche il est extrêmement facile de douter qu’il soit possible de leur assigner des limites claires. Comme le reconnaît D. Schiffrin, « l'analyse du discours est une des zones les plus vastes et les moins définies de la linguistique. » (1994 : p.407) Un débat récurrent oppose d’ailleurs ceux qui veulent y voir une discipline de plein droit et ceux qui préfèrent y voir une zone de rencontre entre les divers champs des sciences humaines qui sont confrontés à la question du langage. Il est vraisemblable que l’usage peu contrôlé du label « analyse du discours » résulte pour une part de l’écart de plus en plus grand qui se creuse entre l’inertie des découpages institutionnels du savoir et la réalité de la recherche actuelle qui ignore ces découpages hérités du XIX° siècle. Un nombre croissant de travaux qui ont de grandes difficultés à se reconnaître dans les partages traditionnels peuvent être incités à se ranger sous l’étiquette d’« analyse du discours » pour se donner un minimum d'autorité, en se rattachant à un domaine qui a l’avantage de se présenter comme un domaine ouvert. Ceci n’est d’ailleurs pas réservé à l’analyse du discours. Il se développe des ensembles de recherche transverses dans les sciences sociales ou humaines qui, selon les pays, se rattachent à des espaces à l’identité profondément incertaine : « cultural studies », à la sémiotique, à la communication… sans doute parce que leurs objets et leurs démarches sont encore mal identifiés si on les rapporte au découpage classique des Facultés. Mais à moyen ou à long terme une telle situation n’est pas saine, car au lieu de provoquer un remodelage productif des frontières, elle peut amener le développement d’une recherche en quelque sorte à deux vitesses : l’une selon les disciplines traditionnelles, qui serait hautement contrôlée et valorisée, l’autre plus proche des intérêts sociaux du moment (ceux de la société, ceux des populations de chercheurs) mais sans assise conceptuelle et méthodologique solide. On voit très bien ce qu’une sociologie des sciences d’inspiration bourdieusienne pourrait dire d’une telle situation. Pour ma part, je ne partage pas le pessimisme de ceux qui voient dans les travaux sur le discours un phénomène plus sociologique qu’épistémologique, même si c’est un espace dont les contours apparaissent encore flous. Aujourd’hui, quand on parle d’analyse du discours on ne peut plus ignorer que cette étiquette recouvre dans le monde entier des travaux d’inspirations très différentes. On a beau multiplier les synthèses, les présentations, les mises au point, l’analyse du discours reste extrêmement diversifiée. A l’heure de « l’e-mail » et de la mobilité des chercheurs, les découpages géographiques et intellectuels traditionnels doivent composer avec des réseaux d’affinités scientifiques qui se jouent des frontières et qui modifient profondément les lignes de partage épistémologique. En analyse du discours comme ailleurs la transformation des modes de communication a modifié en profondeur les conditions d’exercice de la recherche. On ne peut pas rapporter l’analyse du discours à un fondateur reconnu : c’est un espace qui s’est constitué progressivement à partir des années 1960 par la convergence des courants venus de lieux très divers. Certains préfèrent mettre l'accent moins sur sa nouveauté que sur son ancienneté, sans doute pour lui donner davantage de légitimité. Ainsi Teun Van Dijk considère-t- il qu’elle prolonge la rhétorique antique : "Discourse analysis is both and old and a new discipline. Its origins can be traced back to the study of language, public speech, and literature more than 2000 years ago. One major historical source is undoubtedly classical rhetoric, the art of good speaking." (1985 : p.1) Il y a toutefois un risque à placer l’analyse du discours dans la continuité de la rhétorique, comme si la rhétorique – ou plutôt les différentes configurations de la rhétorique- n’étaient pas solidaires de configurations du savoir et des pratiques irrémédiablement disparues. A notre sens, l’analyse du discours implique la reconnaissance d’un « ordre du discours », pour reprendre la formule de Foucault, irréductible au dispositif rhétorique. Ce qui ne l’empêche pas de réinvestir, une fois convenablement réélaborées, un grand nombre de catégories et de problématiques issues de la rhétorique. Il existe en outre diverses manières de penser la relation entre linguistique du système et linguistique du discours. La plus simple consiste à y voir une extension de la linguistique du système , dans un nouvel espace (« superlinguistique », « translinguistique…) qui intégrerait le linguistique, mais qui serait soumis à une économie propre. Une autre consiste à dire qu’il y a deux linguistiques qui traversent l’espace langagier, avec deux économies distinctes. Une autre, encore, que la linguistique véritable est la linguistique du discours (c’est, semble-t-il, la position défendue par le courant praxématique). Pour nous, l’analyse du discours n’est pas seulement venue combler un manque en pointillés dans la linguistique du système, comme si à Saussure on avait ajouté Bakhtine, à une linguistique de « langue » une linguistique de la « parole ». Certes, elle a un lien privilégié avec les sciences du langage, dont elle relève – du moins dans la conception qui prévaut communément, et particulièrement en France- mais son développement implique non seulement une extension de la linguistique, mais aussi une reconfiguration de l’ensemble du savoir. On notera d’ailleurs que ses grands inspirateurs des années 60 ne sont que pour une part des linguistes. On y trouve aussi des anthropologues (Hymes,…), des sociologues (Garfinkel, Sacks...), mais aussi des philosophes soucieux de linguistique (Pêcheux) ou non (Foucault). Les réticences que l’on ressent à l’égard des travaux sur le discours dans les milieux linguistiques tient sans doute au fait qu’on a tendance à l’aborder en prenant pour point de référence le noyau de la linguistique « dure ». Or, les recherches sur le discours bénéficie (ou au contraire pâtit, pour certains) d’un statut singulier qui les inscrivent dans les sciences du langage, tout en en faisant une zone carrefour pour l’ensemble des sciences humaines ou sociales, et mêmes les « humanités ». On peut en effet aborder les recherches sur le discours aussi bien en partant de la linguistique qu’en partant de la psychologie, de la sociologie, de l’anthropologie, de la théorie littéraire, etc. Situation qui n’a rien d’extraordinaire : la philologie d’antan pouvait être abordée aussi bien comme une entreprise linguistique que comme une entreprise historique, selon la façon dont on la considérait. Une autre difficulté à laquelle on se heurte quand on veut ordonner les recherches sur le discours est qu’en général elles ne sont pas définies de manière positive, mais en quelque sorte par défaut. « Discourse is often defined in two ways : uploads/Management/ l-x27-analyse-du-discours-et-ses-frontieres 1 .pdf

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  • Publié le Apv 25, 2022
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