L’approche par compétences : une mystification pédagogique Par Nico Hirtt (nico

L’approche par compétences : une mystification pédagogique Par Nico Hirtt (nico.hirtt@ecoledemocratique.org) — www.ecoledemocratique.org Cet article a été publié dans L’école démocratique, n°39, septembre 2009 « Approche par compétences », « évaluation par compétences », « compétences de base », «compétences transversales », «socles de compétences », « compétences terminales »... Le concept de «compétences» est devenu incontournable dans les écrits sur l’enseignement. Son succès est planétaire. Après les Etats-Unis, le Québec, la Suisse, la France, la Communauté française de Belgique et les Pays-Bas, « l’obsession des compétences » [Boutin et Julien, 2000], cette nouvelle «pensée pédagogique unique» [Tilmant 2005], est désormais en train de conquérir la Flandre. Mais sous le couvert d’un discours parfois généreux et moderniste pourrait bien se cacher une opération de mise au pas de l’enseignement : sa soumission aux besoins d’une économie capitaliste en crise. Dans le monde francophone, le mouvement de réforme pédagogique baptisé «approche par compétences» a commencé par se développer au Québec et en Suisse romande, avant de s’étendre à la Belgique, à Madagascar et, plus timidement, en France. En Communauté fran- çaise de Belgique, c’est le «décret missions» de juillet 1997 qui a donné le coup d’envoi de la réforme. Il y était question d’ «amener tous les élèves à s'approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à ap- prendre à apprendre toute leur vie et à prendre une place dans la vie économique, sociale et culturelle». Ainsi se trouvaient associées offi- ciellement, et pour la première fois, deux idées : celle de viser le développement de «compétences» (même si en 1996 on les place encore sur le même pied que les «savoirs») et celle d’utiliser plus efficacement l’enseigne- ment obligatoire au service de la «vie écono- mique». En mai 1999, le parlement de la Communauté française adoptait les «socles de compétences» de l’enseignement primaire et du premier cycle secondaire et, un an plus tard, il votait les «compétences terminales» à attein- dre en fin d’enseignement secondaire. Les an- ! p 1/34 I. A qui profitent les compétences ? A l’ombre de l’OCDE ................ et de la Commission européenne. 6 II. «Mobiliser», sans connaître ni com- prendre. L’approche par compétences ou la ...................................... négation du savoir 16 III. Piaget, Vygotski, Freinet... tous cou- pables ? Approche par compétences et .......................................... constructivisme 21 IV. Des programmes qui divisent. ......................... L’APC, facteur d’inégalité 29 Encadrés : .......... Un concept lié à l’ère la globalisation 5 Gramsci et l’enseignement ......................................... par compétences 14 L’enseignement catholique souffre davan- ...................................... tage du virus APC 20 Crahay : ........... il faut aussi de la routine ! 28 Bibliographie ............................................ 31 nées 2001 et suivantes virent l’arrivée progres- sive, dans tous les niveaux et réseaux d’ensei- gnement, de nouveaux programmes basés sur l’approche par compétences. Une approche ni récente ni originale Ces réformes ont eu lieu au moment où, paral- lèlement, le Parlement européen et le Conseil des ministres européens approuvaient (de 2000 à 2006) un cadre de référence pour les «compé- tences-clé» nécessaires «à l’apprentissage tout au long de la vie, au développement personnel, à la citoyenneté active, à la cohésion sociale et à l’employabilité» [Parlement européen, 2006]. Ce programme européen faisait suite à des ini- tiatives semblables au niveau de l’OCDE et de la Banque mondiale qui, elles aussi, proposè- rent leurs listes de «compétences de base pour entrer dans l’économie de la connaissance». En parcourant la littérature française, belge, québécoise ou suisse-romande consacrée à l’approche par compétences, on pourrait avoir l’impression que celle-ci serait une invention purement francophone et assez récente. Rien n’est moins vrai. Les travaux théoriques de chercheurs anglo-saxons relatifs à la «compe- tency based education» remontent pour la plu- part au début des années 70 [Houston et Hows- am 1972, Schmiedler 1973, Burns et Klingstedt 1973]. Cependant, ces travaux concernaient essentiellement la formation professionnelle. C’est aussi, initialement, via l’enseignement professionnel que le «competentiegericht leren» fit, dès les années 90, son entrée aux Pays-Bas. Mais, très vite, cette orientation pé- dagogique allait s’étendre à tous les niveaux et types d’enseignement hollandais. La réforme essuya cependant de sérieuses critiques dès le début des années 2000, notamment en raison de l’extrême confusion liée aux multiples in- terprétations du concept de «compétence». A tel point que le Onderwijsraad (Conseil de l’éducation) néerlandais commanda en 2001 un rapport d’experts destiné à clarifier et à justi- fier l’usage du concept de «compétences» [Merriënboer et al. 2002]. En Flandre, l’introduction d’une approche par compétences dans l’enseignement fut un peu plus tardive et plus progressive. Elle est tou- jours en cours. Dans le cadre du projet DeSe- CO (Definition and Selection of Competencies) initié par l’OCDE, les autorités flamandes ont réuni un groupe d’experts qui publia en 2001 un premier rapport. Il s’agissait essentiellement d’un état des lieux sur l’importance qu’on ac- cordait aux compétences-clé en Flandre [DVO 2001]. A partir de 2004 et, surtout en 2005, le VLOR (Vlaamse Onderwijsraad ou Conseil de l’Enseignement Flamand, une instance multi- partite chargée de conseiller le ministre dans ses orientations en matière de politique éduca- tive) décida, dans le cadre de sa fonction de recherche, de lancer une étude exploratoire concernant l’enseignement orienté sur les compétences. En 2008, dans son Ontwerpaan- beveling over de hervorming van het secundair onderwijs (Projet de recommandation sur la réforme de l’enseignement secondaire), le VLOR franchit le pas en décrétant que l’un des rôles essentiels de l’enseignement secondaire, en vue d’assurer l’intégration sociale des jeu- nes, est de leur permettre de «développer suffi- samment de compétences afin de pouvoir évo- luer d’une façon socialement acceptable dans la société en mutation rapide et dans la vie professionnelle». Dans le même document, le VLOR estime que l’approche par compéten- ces1 est l’un des principaux leviers pour mieux adapter l’enseignement secondaire aux défis de la société moderne [VLOR 2008a]. Un an plus tôt, à la demande de Frank Vandenbroucke, ministre flamand de l’Education mais égale- ment ministre de l’Emploi, un groupe d’experts ! p 2/34 1 Le terme utilisé en néerlandais est «competentiegericht onderwijs», ce qui se traduit littéralement par «en- seignement orienté vers les compétences». On pourrait dont relever une certaine nuance par rapport à «l’ap- proche par compétences» francophone. avait publié un rapport intitulé «Competentiea- genda», où ils examinaient quelles compéten- ces-clés étaient requises dans le cadre du déve- loppement présent du marché du travail et ce qu’elles impliquaient quant aux pratiques pé- dagogiques et aux objectifs de l’enseignement flamand [Buyens et al. 2006 et 2007]. Enfin, le programme du nouveau gouvernement fla- mand, issu des élections de juin 2009, prévoit explicitement de «promouvoir l’approche par compétences et la formation aux compétences» [Vlaamse Regering 2009]. Ce que ça change Ce qui caractérise l’approche par compétences, c’est que les objectifs d’enseignement n’y sont plus de l’ordre de contenus à transférer mais plutôt d’une capacité d’action à atteindre par l’apprenant. Une compétence ne se réduit ni à des savoirs, ni à des savoir-faire ou des com- portements. Ceux-ci ne sont que des «ressour- ces» que l’élève ne doit d’ailleurs pas forcé- ment «posséder», mais qu’il doit être capable de «mobiliser» d’une façon ou d’une autre, en vue de la réalisation d’une tâche particulière. Une compétence, dit l’un des promoteurs de cette approche, est «une réponse originale et efficace face à une situation ou une catégorie de situations, nécessitant la mobilisation, l'in- tégration d'un ensemble de savoirs, savoir- faire, savoir-être...» [Bosman et al. 2000]. Se- lon un document d’analyse publié par la Fon- dation Roi Baudouin, à la demande du gouver- nement flamand, la compétence est «la capaci- té réelle et individuelle de mobiliser, en vue d’une action, des connaissances (théoriques et pratiques), des savoir-faire et des comporte- ments, en fonction d’une situation de travail concrète et changeante et en fonction d’activi- tés personnelles et sociales» [De Meerler 2006]. Beaucoup d’auteurs insistent également sur le fait que la tâche à réaliser pour prouver sa compétence doit être «inédite» : l’élève (ou le travailleur) compétent doit pouvoir se dé- brouiller dans des situations nouvelles et inat- tendues, même si elles restent évidemment confinées dans le cadre d’une «famille de tâ- ches» déterminée [Bosman et al. 2000, Roe- giers 2001]. L’approche par compétences est née de la ren- contre d’une double attente du monde de l’en- treprise — disposer d’une main d’œuvre adé- quatement formée et rationaliser ses coûts de formation — et de conceptions pédagogiques axées sur le résultat individuel plutôt que sur les savoirs — la pédagogie par objectifs inspi- rée du behaviorisme anglo-saxon et le cogniti- visme [Bosman et al. 2000]. Certains affirment qu’elle puiserait également ses racines dans l’école pédagogique du constructivisme : nous montrerons plus loin pourquoi cette prétention nous semble non seulement infondée mais à l’exact opposé de la réalité. Dans le monde anglo-saxon, après une période d’accalmie, l’approche par compétences est revenue sur le devant de la scène. Depuis la publication du célèbre rapport «A nation at risk», sur l’état calamiteux de l’enseignement américain [US Department of Education 1983], on n’y parle plus que d’éducation axée sur les résultats (outcome-based education), de uploads/Management/ l-x27-approche-par-competences-une-mystification-pedagogique-pdf.pdf

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  • Publié le Dec 07, 2021
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