La place du contrôle de gestion dans la conduite du changement Jean Luc Bazet P
La place du contrôle de gestion dans la conduite du changement Jean Luc Bazet PESOR - Université Paris XI 1. Problématique et méthodologie L'objet de cet article ne s'inscrit pas dans une recherche sur l'évolution historique du contrôle de gestion, il s'agit d'une recherche de terrain où l'objectif a été de mettre en évidence le rôle du contrôle de gestion dans la mutation des organisations. Cette recherche appartient au courant de la comptabilité comportementale où le jeu des acteurs est systématiquement étudié. 1.1 Problématique Cet article s'inscrit dans une étude beaucoup plus large menée en collaboration avec le Cabinet Salustro Reydel sur l'organisation du contrôle de gestion dans des entreprises performantes. Une partie importante de l'étude confiée par le cabinet concernait la définition du profil et du contenu de la fonction de contrôleur de gestion en unité opérationnelle et en unité centrale. Cet aspect ne sera pas développé dans le présent article. Lors de nos entretiens, il nous est apparu rapidement que le contrôle de gestion et ses acteurs étaient systématiquement présentés dans une perspective de mutation organisationnelle et selon une volonté managériale forte, ce qui nous a permis de présenter le rapport final de l'étude dans un contexte de changement organisationnel. Notre travail se propose d'étudier le rôle du contrôle de gestion dans une perspective de changement, c'est à dire comment le contrôle de gestion a permis à l'organisation de muter et sur quels leviers l'opération a-t-elle pu se réaliser. Ce travail n'a donc pas pour objectif de décrire l'évolution du contrôle de gestion dans certains grands groupes mais de montrer comment les groupes ont évolué et comment le contrôle de gestion a accompagné, aidé ou parfois même provoqué le changement. Parler de contrôle de gestion sans parler de ses acteurs dans la problématique qui est la nôtre n'aurait pas de sens et nous avons été agréablement surpris par la spontanéité et la qualité des réponses des responsables rencontrés. Ce comportement que nous avions également constaté, dans d'autres travaux de recherche, chez les responsables des ressources humaines s'inscrit dans un courant apparemment partagé qui consiste à échanger des informations non sensibles au sein même d'un tissu industriel concurrentiel. 1.2 Méthodologie La méthodologie utilisée repose sur la technique de l'entretien pour lequel la construction de la grille d'entretien constitue un préalable important pour ce type d'enquête. Deux pré- entretiens avec un contrôleur de gestion d'entreprises n'appartenant pas au panel ont été réalisés pour préciser quelques questions et écarter certaines formulations. Les interviews ont été le plus souvent enregistrés au magnétophone et la grille d'entretien était envoyée quelques jours auparavant pour que l'interlocuteur puisse commencer à préparer son discours. Un compte rendu d'entretien était systématiquement adressé à la personne interrogée pour validation. Les corrections apportées par l'interlocuteur faisaient l'objet d'une seconde lecture jusqu'à validation du rapport définitif. Les entretiens ont été réalisés auprès des responsables du contrôle de gestion de sept grands groupes internationaux, qui outre le fait de faire appel à l'épargne publique - ce qui renforce le rôle du contrôleur de gestion dans la communication financière -, répondaient sur le plan de la stratégie et du management aux attributs généralement admis pour qualifier la performance : Attributs Contenus Stratégie : Leadership Elles sont focalisées sur leur métier de base. La direction affirme vouloir être le meilleur du secteur. Les présidents demeurent longtemps à la tête de l'entreprise. Le culte du métier Globalisation Les investissements à l'étranger sont très importants. Stratégie globale adaptée aux besoins du marché local. Leader mondial pays par pays et marché par marché. Management : Délégation Décentralisation accrue avec une organisation plate à hiérarchie courte avec de faibles effectifs au siège et des comités exécutifs réduits. Le culte du changement Innovation Le chiffre d'affaires est généré par des produits récents. L'innovation constitue la première priorité des dirigeants. Progrès continu Souci d'amélioration permanente des performances. Le benchmarking est réalisé avec les meilleurs du monde hors secteur d'activité. Les entreprises contactées grace à la complicité des associés du Cabinet Salustro Reydel sont souvent citées en exemple dans les revues spécialisées du contrôle de gestion. 2. Les enjeux du changement Les entretiens que nous avons réalisés auprès des responsables du contrôle de gestion de grands groupes apportent un éclairage particulier puisqu'ils illustrent sans conteste que le contrôle de gestion a joué un rôle important dans la conduite du changement. Nous avons relevé trois enjeux majeurs qui enrichissent les points de vue largement partagés dans les différentes études sur la vocation du contrôle de gestion. 2.1 Passer d'un actionnariat d'Etat à un actionnariat privé Parmi les groupes visités, une des particularités a été de rencontrer des entreprises pour lesquelles la privatisation a profondément modifié les comportements. Il s'agit ici de transmettre aux opérationnels une culture économique, c'est à dire créer de la valeur pour l'actionnaire en lieu et place d'une culture bureaucratique où la valeur financière était peu présente. Dans les entreprises publiques, comme dans les administrations, prédomine une culture de droit écrit avec généralement une dévalorisation pour la communication verbale. Ce qui fait que bien souvent, les opérationnels ou les décideurs estiment que le changement est opéré lorsque la circulaire est rédigée et envoyée aux destinataires : changer de culture, ce n'est pas seulement le décréter encore faut-il le mettre en pratique et le contrôle de gestion a d'après les dirigeants un rôle important à jouer dans la modification des mentalités. "La privatisation de l'entreprise a profondément modifié la culture de l'entreprise. La rentabilité est affichée comme projet d'entreprise et en cinq ans les mentalités se sont transformées. C'est par le contrôle de gestion que s'est opéré le changement des mentalités et en particulier le passage d'une culture administrative à une culture de profit et à la réactivité à l'anglo-saxonne. Sans une pression forte et une adhésion globale des dirigeants pour implanter le contrôle de gestion, ça ne marche pas BNP ". Dans nombre d'entreprises protégées du secteur concurrentiel, la seule préoccupation majeure était alors le bouclage du budget, c'est à dire adapter les capacités de production en capital et en travail à la croissance de l'activité et estimer que tout va bien lorsque le budget est bouclé, et tout faire pour ne pas dépasser les enveloppes budgétaires. Cette vision est largement remise en question lorsque l'entreprise rencontre les exigences du marché financier. "En 1992, l'Etat français réduit sa participation dans le capital à moins de 6% et la mise en place des centres de profit permet d'améliorer la rentabilité et de créer de la valeur pour l'actionnaire. La pression des marchés financiers et le développement des fonds de pension exigent une communication financière de meilleure qualité. Il faut que les résultats reflètent une réalité économique et le contrôle de gestion doit en être le garant TOTAL ". Le contrôle de gestion devient alors un outil de pilotage du changement tout autant qu'un outil de contrôle du fonctionnement courant : il met sous contrôle l'efficacité tout autant que la productivité. 2.2 Faire d'une somme d'entreprises, un Groupe Pour certaines entités, la notion de Groupe est évidente comme c'est le cas pour IBM où la culture est unique puisque l'entité IBM existe depuis l'origine. Pour d'autres entreprises, le Groupe est constitué d'une myriade d'entreprises disposant d'une histoire, d'une culture, d'une structure qui leur sont propres. La notion de Groupe est établie dans la présentation financière consolidée mais elle est plus ténue dans la réalité de chaque entité sociale. Il s'agit alors de fédérer les différents métiers ou entités. "Les sociétés pouvaient être qualifiées d'électrons libres autour d'un noyau central avec peu d'interférences entre elles. Aujourd'hui encore, il y a des sociétés qui sont concurrentes à l'intérieur du Groupe. Quand on est numéro 1 sur certains marchés, on ne peut pas accepter des erreurs de prévisions et le contrôle de gestion a pour vocation de développer un sentiment d'appartenance au Groupe DANONE ". Le contrôle de gestion est alors au centre de l'évolution de l'organisation et il a pour objectif de fédérer les différentes filiales autour d'une stratégie top down. "Le Groupe comprend 400 grosses filiales et 3 000 petites. Il est alors nécessaire d'en fédérer les composantes et le contrôle de gestion le fait par métiers TOTAL " ; "La croissance du Groupe a conduit à une modification quasiment constante du périmètre de l'entreprise mais également un changement permanent du périmètre interne avec des regroupements d'activités, des scissions ou des cessions à l'intérieur du Groupe. Le contrôle de gestion devient alors un dénominateur commun PUBLICIS ". Lorsque l'entreprise passe d'une vocation nationale à une dimension internationale, la problématique est la même mais les données se complexifient car c'est d'une part, donner le sentiment d'appartenance à un Groupe et d'autre part, agréger des particularités locales fortes. Le contrôle de gestion est souvent le vecteur utilisé pour fédérer des entités autour d'un projet commun. 2.3 Passer d'une culture technique spécifique à une culture financière Souvent, dans les métiers où la technicité est apparue comme le moteur de la réussite économique, les décisions techniques sont rarement prises en uploads/Management/ la-place-du-controle-de-gestion-dans-la-conduite-du-changement.pdf
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- Publié le Dec 23, 2021
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