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1 YVES CHEVALLARD ORGANISER L’ETUDE. 1. STRUCTURES & FONCTIONS Abstract: This lecture centres on the twin notions of mathematics and didactic praxeologies and tries to provide a frame of reference for a comprehensive description of the organisation of study at school, with special emphasis on the idea of didactic moment. 1. LE PROBLEME PRAXEOLOGIQUE DU PROFESSEUR La question centrale de ce cours et des suivants est ce qu’on appellera le problème praxéologique du professeur, avec une référence particulière à ces professeurs novices que sont, en principe, les élèves professeurs de deuxième année des IUFM. Que doit penser et que doit faire ce jeune professeur, nouvellement investi de ce titre, face à la classe de collège ou de lycée dont, en totalité ou en partie, la vie mathématique lui est confiée pour l’année scolaire qui s’ouvre ? Que peut-il faire et que peut-il penser ? Ou plutôt : que pourrait-il penser et que pourrait-il faire ? Le problème praxéologique qui est le sien peut s’énoncer en une courte suite de questions fortement interdépendantes, quoique assez peu spécifiques (Chevallard 1999). Tout d’abord, quels types de tâches ce professeur doit-il accomplir, en coopération avec quels autres acteurs membres de la communauté éducative ? Ensuite, quelles techniques sont-elles disponibles pour accomplir ces types de tâches ? Quelle est leur portée ? Quelle maîtrise a-t-il de ces techniques et quelle maîtrise en ont ses divers partenaires (y compris les élèves et leurs parents) ? Que peut-il faire pour améliorer cette maîtrise ? Pour participer à la création et à la diffusion éventuelles de nouvelles techniques et de nouveaux types de tâches mieux appropriés ? Enfin, quelles technologies, induites par quelles théories, justifient et expliquent ces techniques et ces types de tâches ? Dans quelle mesure lui sont-elles connues et sont-elles connues de ses divers partenaires ? Que peut-il faire pour améliorer cette connaissance ? Pour participer à la création et à la diffusion éventuelles de technologies et de théories mieux appropriées ? La théorie anthropologique du didactique considère que, en dernière instance, toute activité humaine consiste à accomplir une tâche t d’un certain type T, au moyen d’une certaine technique τ, justifiée par une technologie θ qui permet en même temps de la penser, voire de la produire, et qui a son tour est justifiable par une théorie Θ. En bref, toute activité humaine met en œuvre une organisation qu’on peut noter [T/τ/θ/Θ] et qu’on nomme praxéologie, ou organisation praxéologique. Le mot de praxéologie souligne la structure de l’organisation [T/τ/θ/Θ] : le grec praxis, qui signifie « pratique », renvoie au bloc pratico- technique (ou praxique) [T/τ], et le grec logos, qui signifie « raison », « discours raisonné », renvoie au bloc technologico-théorique [θ/Θ]. Ces notions permettent de redéfinir de manière assez réaliste certaines notions courantes : ainsi peut-on considérer que, par savoir-faire, on désigne usuellement un bloc [T/τ], et, par savoir, en un sens restreint, un bloc [θ/Θ] – ou même, mais en un sens large cette fois, une praxéologie [T/τ/θ/Θ] tout entière. Pour cette dernière raison, on pourra désigner aussi une organisation praxéologique comme étant une organisation de savoir – en se résignant alors à ne rencontrer qu’aléatoirement les points de vue institutionnels spontanés, qui font d’ordinaire un usage élitaire et parcimonieux du mot savoir. L’emploi du mot praxéologie a pour mérite de donner à entendre un fait anthropologique banal autant que fondamental : il n’est pas de praxis sans logos ; il n’est pas 2 de logos à jamais innocent d’implications « praxiques ». Ainsi n’est-il pas équivalent de parler d’organiser dans les IUFM, comme le fait l’actuel ministre de l’Éducation nationale1, des « séminaires d’analyse des pratiques d’enseignement des stagiaires qui permettront que s’expriment des demandes d’apports théoriques », ou d’y organiser des séminaires d’analyse des praxéologies d’enseignement de ces professeurs débutants, qui permettent l’émergence, l’analyse et la prise en charge de besoins indissociablement pratico-techniques et technologico-théoriques. À titre d’illustration, on considère d’abord simplement un exemple mathématique. Soit la tâche t1 suivante : Calculer la capacité, en litres, d’un réservoir parallélépipédique de 0,6 m de longueur, 10 cm de largeur, et 50 mm de profondeur. (On prendra : 1 litre = 1 dm3.) La technique concrète τ, aujourd’hui méconnue (Chevallard et Bosch 2001), conduit à écrire : V = L ×  × p = 0,6 m × 10 cm × 50 mm = 0,6 m × 10 cm × 50 mm = 0,6 (10 dm) × 10 (10–1 dm) × 50 (10–2 dm) = 6 dm × 1 dm × 0,5 dm = 3 dm³ = 3 litres. La tâche suivante, t2, appartient au même type de tâches : Déterminer la masse linéique en g/cm d’un barreau d’acier de section constante et de 4 dm de longueur pesant 2,85 kg. La même technique τ conduit à écrire : µ = m  = 2,85 kg 4 dm = 2,85 (1000 g) 4 (10 cm) = 285 4 g/cm = 71,25 g/cm. Le type de tâches T dont relève ces deux tâches particulières – elles en sont deux spécimens – peut être décrit ainsi : Une grandeur g s’exprimant en fonction d’autres grandeurs g1, g2, g3… au moyen d’une formule supposée connue, g = Φ(g1, g2, g3…), calculer g, exprimée dans une unité imposée, pour des valeurs données de g1, g2, g3…, ces grandeurs étant exprimées dans des unités déterminées. La « définition » de T donnée plus haut suppose la disponibilité d’une partie au moins d’un bloc technologico-théorique [θ/Θ] intégrant les notions de grandeur et d’unité. Par contraste, l’absence dans l’enseignement secondaire français actuel d’une notion idoine de grandeur est à cet égard rédhibitoire, et se révèle solidaire de la disparition de notions « transactionnelles » autrefois très actives, telle la distinction des « nombres concrets » (5,2 cm, 45 km/h, etc.) et des « nombres abstraits » (5,2, 45, etc.). La solidarité épistémologique des blocs pratico-technique et technologico-théorique est une exigence didactique clé. Considérons ainsi la tâche t3 suivante : Déterminer la vitesse en mètres par seconde d’une balle de tennis lancée à 95 miles par heure. (On a : 1 mile = 1 mi = 1,609 km.) La mise en œuvre de la technique τ conduit ici à écrire simplement : v = 95 mi/h = 95 mi 1 h = 95 (1609 m) 3600 s ≈ 42,5 m/s. Pourtant, même si elle conduit ainsi à la réussite empirique, et aussi « simple » soit-elle, cette technique risque fort, aujourd’hui, de susciter quelque résistance chez nombre de professeurs de mathématiques, à qui cette manière de faire apparaîtra peut-être comme une simple « recette dépourvue de sens ». C’est poser là une partie du problème technologique, en constatant l’inexistence d’un « discours sur la technique » bien diffusé en cette institution et 1 La citation est extraite de la conférence de presse ministérielle du 27 février 2001. C’est moi qui souligne. 3 qui prenne en charge l’exigence d’intelligibilité et de justification formulée en creux dans la résistance évoquée. On notera à cet égard qu’une telle technologie « manquante » – de même que les éléments théoriques plus ou moins affleurants en elle – ne doit pas être imaginée comme une construction à l’épreuve des dernières exigences de la plus haute science. Comme tous les autres éléments constitutifs des praxéologies, les technologies migrent dans l’espace social par transposition d’institution à institution : toute technologie, toute technique ou toute théorie a donc pour premier mérite d’exister en un cadre institutionnel donné. Ce qui manque, ici, c’est donc un bloc technologico-théorique pour les professeurs et, au-delà, pour l’enseignement secondaire des mathématiques (ce qui n’est pas tout à fait la même chose) Longtemps il exista ainsi, dès les premières années de notre enseignement secondaire, une « théorie des grandeurs », c’est-à-dire une praxéologie relative au calcul des grandeurs, où l’on se contentait de définir les grandeurs comme « tout ce qui peut être augmenté ou diminué, comme la largeur d’une route, la durée d’un trajet, la vitesse d’un véhicule, le nombre des feuillets d’un livre, etc. » (Chevallard et Bosch 2001). À cet égard, l’existence d’une technologie savante idoine ne saurait être qu’un point de départ dans la construction d’une technologie adéquate aux besoins de l’enseignement secondaire, et non un point d’arrivée2. Revenons au problème du professeur : en dernière instance, le type de tâches T auquel celui-ci doit faire face peut être énoncé ainsi : « enseigner un thème mathématique donné ». Ce qu’il faut entendre par « thème mathématique » peut désormais être précisé : il s’agit d’une organisation praxéologique de nature mathématique, soit ce qu’on nommera, pour faire court, une organisation mathématique. Bien entendu, on rencontre avec l’étiquette « mathématique » le même problème qu’avec l’appellation « savoir » : telle institution verra une entité mathématique (ou en très grande partie mathématique) là ou telle autre se refusera absolument à un tel aveu ; et cette ligne de fracture pourra, à tel moment de son histoire, traverser une même institution. Cela noté, on doit un peu retoucher la formulation uploads/Management/ organiser-l-etude-1-2002.pdf

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  • Publié le Apv 11, 2022
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