Yvon PESQUEUX C.N.A.M. Professeur titulaire de la Chaire “ Développement des Sy

Yvon PESQUEUX C.N.A.M. Professeur titulaire de la Chaire “ Développement des Systèmes d’Organisation ” 292 rue Saint Martin 75 141 Paris Cédex 03 FRANCE Téléphone 33 (0)1 40 27 21 63 FAX 33 (0)1 40 27 26 55 E-mail pesqueux@cnam.fr site web www.cnam.fr/lipsor LA NOTION DE PERFORMANCE GLOBALE Remarques introductives Il s’agit de montrer ici toute l’ambiguïté de la notion de performance globale comme matérialisation de la performance organisationnelle du fait de l’adjonction à une notion floue – “ performance ”, d’un qualificatif tout aussi “ flou ” – “ globale ”. La performance globale marquerait ainsi une forme de retour aux dérives de la systémique “ floue ” comme fondement supposé d’une sorte de “ substance ” attribuée à la performance. Il suffit, pour ce qualificatif, de rappeler la polysémie de “ global ”, qui signifie aujourd’hui à la fois “ tout ” et “ dans le monde entier ” et d’en coter le projet universaliste derrière un discours généraliste. Il suffit aussi de mentionner combien, au travers de la vulgate de la “ Responsabilité Sociale de l’Entreprise ”, on trouve ici la production idéologique d’une bourgeoise qui peut d’autant plus aisément avancer masquée qu’elle anéantit ce qui permettrait de dire qu’elle exploite à son profit ressources naturelles et ressources humaines. Au nom de l’abandon de l’exploitation des ressources naturelles considérées comme épuisables, elle pourrait, au motif de la performance globale, d’autant mieux exploiter l’inépuisable ressource humaine. Il serait alors question, avec le recours à la notion de performance globale, de fonder un projet d’obéissance au regard d’une convention venant elle-même masquer une demande d’obéissance par réflexe. Il y est donc question de loyauté. Se référer à la notion de “ performance globale ”, c’est exprimer une volonté de construire rationnellement une loyauté dont nous rappellerons Yvon PESQUEUX 1 ici quelques aspects qui est, comme le souligne G. P. Flechter1 un moyen d’entrer dans ce qui différencie “ morale partiale ”, de “ morale impartiale ”. La loyauté est en effet partiale par nature et indique la justification d’un traitement différencié des proches et des étrangers. Elle légitime ce traitement différencié entre des êtres humains. Que la loyauté vise les proches ou bien les principes, un pays, un parti, une organisation, elle n’est donc ni bonne ni mauvaise par nature. On distingue les théories dyadiques (être loyal ou pas) des théories triadiques. Dans le premier cas, la loyauté est vue comme un type d’engagement volontaire en exagérant l’aspect dévotion de soi par rapport aux autres. La dévotion, terme associé, contient toute la distance qui peut s’établir entre le fait d’être dévoué et la dévotion qui constitue l’autre extrême avec, par exemple, la dimension de croyance que l’on retrouve dans l’acception religieuse du terme. Cette ambiguïté se retrouve bien lorsqu’au travers du thème du service rendu au client, il est question de lui être dévoué et que cette dévotion-là est aussi celle de la dévotion à l’organisation, ses buts et ses dirigeants. La conception triadique (soi, les autres, un référentiel) se contente de fixer une dimension minimale à la loyauté (l’abstention de tel ou tel acte). C’est ainsi que le sentiment de loyauté va venir se distinguer du devoir de loyauté. C’est ce second aspect de devoir moral qui conduit à l’aspect féodal du terme. Le sentiment de loyauté induit le principe (réel) ou factice dans la soumission liée à la réciprocité, perspective féodale, en somme. La culture juridique moderne fonde la loyauté sur la réciprocité transcrite dans le contrat mais dont la disjonction actuelle entre le périmètre économique et le périmètre social de l’activité organisationnelle pose problème. Si le fondement en est l’histoire partagée comme, par exmple, dans la référence à la volonté de construire une “ culture de la qualité ”, on va alors associer loyauté et identité : la loyauté est facteur d’identité. Mais le risque de la loyauté est celui de l’attachement excessif et de l’aveuglement idéologique. Il existe d’ailleurs des conflits entre des niveaux de loyauté. La loyauté comprend donc une dimension éthique et politique là où la fidélité, autre terme associé, va prendre une dimension psychologique. La confusion des deux termes, en particulier l’utilisation du second pour le premier, conduit surtout à occulter la dimension politique de la loyauté. La fidélité attendue du client en échange des services qui lui ont été rendus est en fait bien une attente de loyauté car rien ne garantit quelque élément que ce soit de la position psychologique du client. La fidélité attendue du client recouvre en fait surtout la loyauté attendue des agents2 de l’organisation, cette loyauté 1 Article “ loyauté ”, Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, P.U.F. Paris, 1996, pp. 874-878 2 Cette acception du terme “ agent ” n’a rien à voir avec son usage dans la théorie de l’agence. Elle est sociologique. A ce titre, l’agent se distingue de l’acteur qui, pour sa part, est ancré dans une sociologie du pouvoir. L’agent se caractérise par sa nature de sujet autonome mais soumis à des injonctions hétéronomes du fait des hiérarchies dans lesquelles il se situe. Yvon PESQUEUX 2 se chargeant alors d’une dimension politique et éthique dont celle de la soumission. On en retrouve les éléments dans toutes les tentatives de recouvrir cette dimension politique-là de dimensions psychologiques que l’on constate au travers de termes tels que ceux de motivation, d’implication et de sentiment d’appartenance. L’aspect psycho- identitaire constitue donc à la fois un projet et une occultation. Comme on le soulignait déjà plus haut, la loyauté est exclusion de tous les autres à l’exception de ceux qui sont loyaux. C’est la référence à l’objet de la loyauté qui fixe la dimension de l’exclusion. La loyauté à des principes généraux atténue la portée de l’exclusion encore que de nombreuses exactions aient été ainsi justifiées – de celles du projet colonial à la liberté du marché mise aujourd’hui en avant. La puissance du terme dans sa dimension d’exclusion se retrouve aujourd’hui dans le continuum demandé et qui part de la loyauté pour aller vers les principes de liberté économique, qui va de la mise en œuvre de politiques de qualité au service rendu au client. Cette loyauté-là autorise à traquer les actes qui n’en relèveraient pas. La loyauté attendue de l’agent organisationnel et celle qui s’exprime au travers de la “ liberté économique ” forment système et il devient alors difficile au sujet de pouvoir y échapper. La loyauté comme masque de la domination va donc justifier aussi bien l’obéissance que le “ dressage ” de ceux qui n’obéiraient pas. La loyauté conduira finalement au conformisme, le premier signe tangible en étant de “ faire comme tout le monde ” (la conformité). C’est ce mimétisme-là qui est attendu du comportement des agents organisationnels au point d’en constituer un des éléments de dérive, car exprimé comme étant de la responsabilité, mais aussi, en même temps, le point d’ancrage du postulat d’efficience puisque le jeu de l’autoréférentialité normalisatrice va ainsi pouvoir jouer sans entrave. Le thème de la soumission - domination permet ainsi de mettre en exergue, dans l’autoréférentialité des politiques managériales de gestion de la performance globale (car elle s’applique à tous et à tout), la façon dont le conformisme y joue un rôle important et la dimension politique qui joue en ce sens. Plutôt que de parler directement de ce conformisme-là, la médiation du client et du service qui lui est apporté est donc essentielle. A défaut de cette obéissance obtenue de manière volontaire, au nom de la loyauté, c’est le dressage à la loyauté qui hérite des catégories psychologiques et psychosociologiques du conditionnement qui apparaît ici comme justifié. Cette loyauté-là se réfère à la figuration impossible d’un désir à satisfaire au regard d’un jeu “ don (de soi aux objectifs de l’organisation) – contre-don (la fidélité du client garante de la performance globale) ”, vecteur de performance économique, déchiffrable par tous les agents organisationnels comme susceptible de capter leurs attentes tout comme de celles des clients. Yvon PESQUEUX 3 Une telle référence à la loyauté va aussi de pair avec la contractualisme qui, du fait de la disjonction entre le périmètre juridique, économique et social, tend à se généraliser dans les contours d’une double idéologie contractualitste et propriétariste à partir de l’acception juridique du contrat élargie à une acception managériale. Sans doute s’agit-il ici d’un des signes de l’institutionnalisation de l’entreprise. La notion de performance globale comme matérialisation de la performance organisationnelle comprend donc toute l’ambiguïté des évaluations hétérogènes et des injonctions hétéronomes à l’autonomie. Henri Bouquin a d’ailleurs déclaré, à son propos, qu’il s’agit bien “ d’une notion ambiguë maniée par des personnages ambigus ”3. Sa dimension globale peut être en effet conçue comme provenant aussi bien de l’organisation stricto sensu que de la stratégie et des agents organisationnels (avec une position privilégiée accordée au manager). Il en va de la performance organisationnelle comme de ces éléments comprenant l’attribut “ organisationnel ” (l’apprentissage, l’intelligence etc…). Il n’est, ni de l’ordre de l’individu (l’intelligence humaine, par exemple), ni de l’ordre de l’artificiel (l’intelligence uploads/Management/ performance-tunis.pdf

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  • Publié le Sep 24, 2021
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