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Le Cercle de Recherche et d’Action Pédagogiques et les Cahiers pédagogiques http://www.cahiers-pedagogiques.com /spip.php?article1332 • Les dossiers • Articles en ligne Sens du travail et travail du sens à l’école N°429-430 : Dossier : "Cette fameuse motivation" / Par Philippe Perrenoud dimanche, 9 janvier 2005 Paru in Cahiers pédagogiques, 1993, n° 314-315, pp. 23-27. Repris in Chappaz, G. (dir.) La motivation, Paris, CRAP, n° hors série des Cahiers pédagogiques, 1996. p. 19-25. Repris in Perrenoud, Ph., Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 1996, chapitre 10. Si je devais dresser la liste des dix mots que j’aime le moins, « motivation » y figurerait sans doute ! Lorsque je veux dire quelque chose de précis autour des mobiles des élèves, de leur investissement dans le travail scolaire et les apprentissages, de leur rapport au savoir, ce n’est pas le mot qui me vient : 1. Il est creux. Dire de quelqu’un qu’il est motivé suggère qu’il a de bonnes raisons de faire ce qu’il fait. Pourquoi le fait-il ? Le mystère reste entier. « La sociologie de l’intérêt est-elle intéressante ? » se demandait Caillé (1981). Non, parce qu’elle n’explique rien. Sans doute chaque acteur engagé dans une pratique ou une décision y trouve-t-il quelque intérêt. Reiser disait « Quand on sait ce qu’on sait et qu’on voit ce qu’on voit, on ne peut s’empêcher de penser ce qu’on pense » Ni, ajouterai-je, de faire ce qu’on fait. Mais pourquoi sait-on ce qu’on sait et voit-on ce qu’on voit ? Dans une perspective constructiviste, là est l’essentiel. 2. A l’école, et souvent dans la vie, la motivation est généralement invoquée lorsqu’elle fait défaut ; on se trouve dans le registre du manque, des carences, du handicap, de la privation ; il suffit de lire quelques bulletins scolaires pour constater que « le manque de motivation » est un lieu commun qui participe du constat d’échec, de la stigmatisation de l’élève qui ne joue pas le jeu, de la recherche d’une « explication » qui dispense l’école de chercher plus loin, voire du rejet des responsabilités sur les familles. Quand on ne sait pas que dire d’un élève peu actif, on dit qu’il « n’est pas motivé » Que peuvent faire les parents d’un tel message ? Est-ce que ça se soigne, le manque de motivation ? De qui est-ce la faute ? 3. On suggère souvent que la motivation est une caractéristique de la personne ou de la personnalité, quelque chose de durable ; on est « motivé pour les langues étrangères » à la manière dont on aurait « la bosse des maths » comme si on était né comme ça... Je résiste à cette analyse, en plaidant plutôt pour une approche qui lie la motivation, non pas seulement à la personne, mais à la relation, à l’interaction, à la situation. 4. La motivation est un concept qui s’enracine avant tout dans la psychologie. Or les besoins, les désirs, les envies, les intérêts relèvent tout autant d’une approche anthropologique et sociologique, en termes d’appartenance à une communauté, à une culture, à une classe sociale, à une organisation, en termes aussi de stratégies d’acteurs, de rapports de pouvoir, de conformisme. 5. La motivation semble échapper au sujet, il paraît en être le jouet, alors qu’elle relève à mon sens, pour une part, de ses stratégies (Perrenoud, 1988). Tout acteur un peu expérimenté dose son investissement dans l’action, par exemple le travail scolaire, en fonction des besoins qu’il éprouve et des buts qu’il se fixe. Il n’est pas toujours nécessaire d’être « motivé « pour s’en tirer. Certes, être motivé empêche de s’ennuyer, mais c’est en même temps une dépense d’énergie, voire une prise de risques. Chacun pèse avantages et inconvénients. Il peut jusqu’à un certain point « choisir « d’être ou de paraître passif ou actif, ennuyé ou intéressé. Il peut se persuader de faire quelque chose qui le rebutait cinq minutes avant, ou se dégoûter activement de quelque chose qui le passionnait. Chacun navigue à vue, de façon assez opportuniste, en fonction de l’énergie qu’il a et de ce que son attitude peut lui valoir. La paresse et le désintérêt scolaire sont, pour certains élèves, des stratégies parfaitement adéquates, parce qu’être « motivés » ne leur apporterait guère de bénéfices, alors que d’autres « se défoncent » dans n’importe quelle activité juste pour conserver l’estime ou les faveurs de l’enseignant ! Pour ces diverses raisons, je suggère une option de méthode : tenter de se « désengluer « des images toutes faites associées au concept de motivation et essayer de trouver un autre langage et une approche moins normative, plus constructiviste et interdisciplinaire. Je propose de parler du sens du travail, des savoirs, des situations et des apprentissages scolaires, en esquissant trois thèses : Le sens se construit ; il n’est pas donné d’avance ; 1. Il se construit à partir d’une culture, d’un ensemble de valeurs et de représentations ; 2. Il se construit en situation, dans une interaction et une relation. 3. Face à la machine scolaire, à l’omniprésente intention des adultes d’instruire les enfants et les adolescents pour leur bien Imprimer : Sens du travail et travail du sens à l'école http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?page=imprimir_... 1 sur 6 14/12/10 22:43 (Perrenoud, 1984, 1986), les élèves n’ont pas la vie facile. Dans un système aussi contraignant que l’éducation obligatoire, ils sont condamnés à des stratégies d’acteurs dominés, face à un système qui leur laisse extrêmement peu de choix, qui leur impose un nombre impressionnant de choses absurdes, incompréhensibles ou pénibles, ou qui, en tous les cas, ne correspondent pas à leurs envies du moment. Dans l’institution scolaire, on apprend à jouer avec les normes et les apparences, même si les professeurs ont du mal à l’accepter ! C’est pourquoi la construction du sens est à la fois vitale - pour survivre d’aussi longues années - et difficile. Elle passe par un véritable travail mental, que nul ne peut faire à la place de l’élève, car le sens tient à sa vision de la réalité, à sa définition de ce qui est cohérent, utile, amusant, juste, ennuyeux, supportable, nécessaire, arbitraire... Ce travail, on peut cependant tenter de le faciliter, en laissant à l’apprenant un espace d’initiative, d’autonomie, de négociation, d’indécision, de rêve. Qu’elles le sachent ou non, les pédagogies actives, coopératives, différenciées n’ont de force que si elles permettent une autre construction du sens dans l’esprit des élèves, et peut-être dans celui des maîtres... I. Le sens se construit Peu d’êtres humains se résignent volontiers au non-sens. Chacun tente de dire et de faire en priorité ce qui a le plus de sens pour lui ; lorsqu’il est pris dans une situation dont il n’est pas maître, il cherche à fuir, ou à s’impliquer le moins possible. S’il n’y parvient pas, il essaye de construire du sens, en justifiant à ses propres yeux sa soumission ou sa révolte. Face à l’école, l’élève est rarement maître du jeu et il ne lui est guère facile de se soustraire aux situations dans lesquels on le place. Il est donc souvent contraint à s’engager dans un travail, la recherche d’un compromis entre ses préférences et les contraintes qu’il subit. On ne peut enfermer le sens du travail et le travail du sens dans un seul registre disciplinaire, qu’il soit psychanalytique, psychopédagogique ou sociologique, ou dans un seul type d’explication. Le sens des savoirs, des situations, des apprentissages scolaires a de multiples sources, qui se conjuguent ou se compensent diversement d’une situation ou d’une personne à une autre. Le sens dépend des envies qu’il satisfait, des besoins qu’il comble, des projets qu’il sert, des obligations qu’il honore. Chacun cherche à allier nécessité et vertu, raison et sentiments, devoir et envie. Le travail du sens participe à la fois des tactiques à court terme et des stratégies de longue haleine, du principe de plaisir et du principe de réalité. Dans l’espèce humaine, la plupart des envies, des désirs, des besoins sont construits, certains à partir d’une base biologique, voire génétique, d’autres en fonction de la seule histoire de vie du sujet, donc notamment de son appartenance à une famille et diverses communautés, avec leurs cultures. D’où une extrême variabilité, un grand arbitraire et une certaine instabilité des besoins et des intérêts. C’est ainsi qu’il n’y a guère de raison de postuler chez les enfants ou les adolescents l’existence d’un besoin permanent et général d’apprendre. Chacun n’a que des envies et des besoins singuliers, souvent flous ou éphémères : l’envie ou le besoin d’apprendre ceci ou cela à tel moment de sa vie, pour des raisons qui peuvent disparaître ou se renforcer. Plutôt que de voir dans la « motivation à apprendre » la manifestation d’un appétit de savoir indifférencié, il vaudrait mieux essayer de saisir les investissements dans le travail scolaire dans une perspective constructiviste et stratégique. Pourquoi un individu particulier s’intéresse-t-il au football à un certain moment de sa vie ? Il ne suffit pas de connaître son sexe et sa classe sociale pour uploads/Management/ perrenoud-1993-sens-du-travail.pdf
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- Publié le Aoû 03, 2021
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