1 Segmental vs suprasegmental, linguistique (ou : verbal) vs paralinguistique (
1 Segmental vs suprasegmental, linguistique (ou : verbal) vs paralinguistique (ou : para-verbal) Ce qui suit représente une (longue) parenthèse visant à préciser la notion de marqueur suprasegmental, puisque ce type de marqueurs interviennent dans l’expression des modalités. Vous avez appris toutes ces choses en première année, pendant vos cours de phonétique française. Si ces notions vous sont claires d’entrée de jeu, vous pouvez ignorer cette section. La notion de segment est en quelque sorte liée à celle de constituant de l’ACI (Analyse en constituants immédiats) que nous venons d’évoquer, mais se rapporte de manière spécifique à l’analyse de la chaîne sonore (analyse du signifiant saussurien). On entend ainsi par segment une unité discrète qui résulte du découpage de la chaîne verbale (entendue) en séquences de plus en plus petites (grossièrement, et pour éviter dans un premier temps la surcharge métalinguistique : groupes de syllabes, syllabes, sons). Les mots perdent en pratique leur identité de forme, au niveau de la chaîne sonore entendue, aussi est-il plus juste de parler de regroupements de syllabes, qui seront ensuite catégorisés/ ré-analysés comme formes sonores associées à des signifiés spécifiques – morphèmes liés ou mots (morphèmes libres) selon le cas – pendant le processus de reconnaissance. Les « formes sonores » (ou : signifiants) des mots, ainsi que celles des morphèmes liés sont évidemment engrangées en lexique mental du locuteur d’une langue donnée, mais il faudra un certain effort de traitement pour les identifier, à partir de l’analyse de la chaîne verbale entendue – une chaîne linéaire (qui se déroule dans le temps) relativement continue (pauses à part). Dans la littérature, il y a une seconde acception du terme de segment qui est assez courante, et qui procède de la première, par restriction de sens : on appelle alors segments (2°) seulement les unités discrètes les plus petites, issues de la découpe d’une chaîne sonore – les sons perçus comme différents les uns des autres. Ces sons (consonnes et voyelles, semi-consonnes ou semi-voyelles) sont décrits en phonétique sous l’angle de leurs propriétés d’articulation, acoustiques (physiques) et d’audition (pour faire plus technique, on parlera alors de phones), et en phonologie, sous l’angle de leur aptitude à distinguer des signifiés (pour plus de précision, on parlera alors de phonèmes). Les phonèmes sont des unités linguistiques segmentales, qui contribuent à différencier des sens, sans en être elles-mêmes pourvues : père vs1 mère, vin vs fin, pas vs bas sont distingués par leurs consonnes initiales, mère /mεR/ vs mûr /myR/ vs mort /mɔR/, par leurs voyelles. Tous les phones que discrimine l’analyse phonétique n’ont pas de pertinence sémantique, ne contribuent pas à différencier de sens (lexicaux ou grammaticaux). Si, en substituant à la seconde occurrence de la consonne « r » dans l’adjectif rare, un « z » ([z], écrit <s>), on obtient un autre mot (on change de sens : rase2), que rare soit prononcé avec deux « r » roulés comme en roumain (prononciation fréquente en France méridionale, au Québec, en Belgique) ou avec des « r » grasseyés (français standard parisien), cela n’influera pas du tout sur son sens3. Les deux variantes de prononciation [r] (roulé)/ [R] (grasseyé) constituent des allophones (phones différents) d’un seul et même phonème. 1 Abréviation du latin versus. Comme il en va en général des abréviations, si la dernière lettre de l’abréviation coïncide avec la dernière du mot abrégé (dernière lettre de la forme entière), on ne mettra pas de point final. 2 Tête rase (cheveux coupés près de la peau) ; rase campagne (campagne plate), (faire) table rase… 3 C’est l’un des exemples de variation phonétique en français les plus commentés, à commencer déjà par la Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure (de Saussure 1995/1916 : 164). De Saussure, Ferdinand (1995/ 1916) – Cours de linguistique générale, publié par Charles Bally et Albert Séchehaye, avec la collaboration de Albert Riedlinger, édition critique préparée par Tullio di Mauro, postface de Jean-Louis Calvet, Paris : Payot & Rivages. 2 Les représentations phonétiques sont notées entre crochets, les représentations phonologiques, entre barres obliques, qu’il s’agisse d’un seul « son »4 ou d’une séquence de sons (par exemple, le signifiant d’une certaine unité lexicale). La fonction distinctive des phonèmes, mise en évidence, comme nous venons de le voir, par le test de la commutation (substitution), joue sur l’axe paradigmatique (oppositions in absentia), mais les phonèmes peuvent également remplir une fonction démarcative, importante elle aussi, dans le processus de reconnaissance. Cette fonction joue sur l’axe syntagmatique (oppositions in praesentia), et consiste à « isoler chaque élément sémantique d’une chaîne parlée » (Anderson 1967 : 185, n. tr.), ce qui passe par l’identification des frontières de morphèmes. La fonction démarcative est mise en évidence par l’épreuve de la permutation : /õ/ + /m/ est un signal de frontière de morphème, en français (exemple analysé dans ces termes dans l’article cité ci-avant), tandis que l’inverse (/m/ + /õ/) n’est pas vrai. Comparer On mange (exemple emprunté à Anderson, ibid.), et Mon ange (exemple de ma main). Cela dit, de simples phones peuvent eux aussi jouer un rôle démarcatif (sans pour autant avoir de fonction distinctive5) : dans la chaîne on ronfle, après la voyelle nasale /õ/, [r] peut tout aussi bien indiquer la frontière de morphème que [R], et, corrélativement, tant [r]/+ [õfl] que [R] + [õfl]6 (dans le verbe ronfle) vont fonctionner comme signaux démarcatifs négatifs (frontière de morphème exclue). Ce pourquoi seule la propriété [+distinctif] est retenue comme caractère essentiel du concept de phonème. Les phones et les phonèmes se laissent à leur tour analyser comme des ensembles d’instructions d’articulation discrètes, ou : traits articulatoires, regroupés en systèmes structurés par des oppositions binaires (voyelle/ consonne ; voyelle orale/ nasale, etc.) ou graduelles (voyelles antérieures/ centrale/ postérieures, très fermées/ fermées/ moyenne(ment fermées)/ ouvertes/ très ouvertes). Certains de ces traits ont pertinence sémantique (fonction distinctive), d’autres pas. La différence de prononciation entre les deux « r » des locuteurs francophones se laisse expliciter (décrire) en termes plus précis de mode et de lieu d’articulation : l’opposition entre (paquets de) traits articulatoires {vibrante- uvulaire} vs {latérale-alvéolaire} n’est donc pas distinctive en français : - le « r » roulé est une consonne {orale (vs nasale) constrictive (vs occlusive), voisée (vs non- voisée), latérale (vs vibrante), alvéolaire (vs uvulaire)} ; - le « r » grasseyé est une consonne {orale (vs nasale) constrictive (vs occlusive), voisée (vs non- voisée), vibrante (vs latérale), uvulaire (vs alvéolaire)}. Par contre, l’opposition de voisement entre [p] et [b] (que nous noterons en première approximation comme des phones, avant d’en vérifier, par commutation, la fonction distinctive) si. En effet, pas (/pA:/7) désigne un mouvement des pieds, et bas (/bA:/) désigne un article vestimentaire ou bien (alternativement) 4 Phones donc, entre crochets, mais phonèmes ressortissant à l’inventaire disponible pour une certaine langue, entre barres obliques. 5 Pour un classement des signaux de fonction démarcative (simples vs complexes, positifs vs négatifs et phonématiques vs non-), voir Anderson, art. cit., p. 185 et suiv. Anderson, James M. (1965) – « The demarcative function », Lingua 13, Amsterdam: North-Holland Publishing Company, p. 185-188. 6 Noter la prise en compte de toute la syllabe, puisque /Rõ/ (et il en va de même de la séquence non grasseyée [rõ]) en finale de syllabe peut représenter, en français, deux morphèmes grammaticaux distincts, de futur et de personne-nombre, dans la conjugaison verbale (nous lirons, ils liront ; nous prendrons, ils prendront). 7 La distinction a postérieur (long – durée notée par le deux-points dans la transcription)/ a antérieur (court) ne jouerait plus en français standard contemporain, et les voyelles finales seraient uniformément courtes dans tous les cas. Il n’en va pas ainsi dans mon idiolecte, sans doute grâce à (ou à cause de ?) mon prof de phonétique à l’Université de Bucarest (Monsieur Claude Dignoire). Sous cette analyse, l’adverbe de négation pas n’est pas homophone du nom (dont étymologiquement parlant il provient) : /pa/ (a antérieur et court, comme il en va de tous les mots-outils : la, ma, ta, sa). Voir encadré 1 infra pour une brève présentation de la durée (ou : longueur) comme trait prosodique 3 une propriété liée à la dimension verticale. Le phonème /p/ de /pA:/ (pas n.m.) est décrit en termes articulatoires comme une {consonne (vs voyelle) occlusive (vs constrictive), orale (vs nasale : passage de l’air par la bouche plutôt que par le nez), non-voisée (vs voisée : sans vibration des cordes vocales8), bilabiale (c’est-à-dire : prononcée à l’aide des deux lèvres)} ; /b/ de bas sera une {consonne occlusive, orale, bilabiale}, comme /p/, mais une consonne voisée. Les traits d’articulation ne sont pas eux-mêmes des segments, mais, comme ce sont des propriétés de segments (des segments les plus petits : phones ou phonèmes selon le cas) – on les appelle, en phonétique (et en phonologie) des traits segmentaux. La question se pose de savoir maintenant quelle est la définition exacte de la propriété que désigne l’adjectif suprasegmental. Que sont au juste les phénomènes décrits dans la littérature comme « suprasegmentaux » uploads/Management/ phrase-modalisee-segmental-vs-suprasegmental 1 .pdf
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- Publié le Dec 10, 2022
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- Langue French
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