Finance Contrôle Stratégie – Volume 1, N° 3, septembre 1998, p. 57 – 84. Planif
Finance Contrôle Stratégie – Volume 1, N° 3, septembre 1998, p. 57 – 84. Planification, gestion budgétaire et turbulence∗ Michel GERVAIS Gervais THENET Université de Rennes 1 Correspondance : CREREG IAE de Rennes (IGR), 11 rue Jean Macé BP 1997, 35019 Rennes Cedex 7 Tél : 02.99.84.77.77 ; Fax : 02.99.84.78.00 Email : michel.gervais@univ-rennes1.fr Email : gervais.thenet@univ-rennes1.fr ∗ Une première version de ce texte a été présentée au 8 e Congrès mondial de l’International Association for Accounting Education and Research (IAEER), Paris 1997. Résumé : Cet article envisage la planification budgétaire dans un contexte turbulent. Bien que les individus n’intègrent qu’en partie les lois régissant leur environnement et ne réalisent que partiellement leurs projets, la planification garde toute sa pertinence, si elle reste centrée sur l’analyse et si elle permet une réaction rapide. Bien entendu, cette suggestion nécessite de (re)structurer les outils traditionnels, afin d’intégrer mieux les situations de désordre. Mots-clés : planification – budget – environnement turbulent – réactivité. Abstract : This paper suggests a new approach for analyzing budgetary planning in a turbulent context. In such a situation, the classic mechanism of planning remains consistent when the instruments are in phase with the current environment. Keywords : planning – budget – turbulent context – reactive strategy. 58 Planification, gestion budgétaire et turbulence La planification et les budgets se fondent habituellement sur l’idée que les hommes sont susceptibles de mener à bien des projets [M. Gervais 1995], c’est-à-dire qu’ils peuvent dans une certaine mesure prévoir l’avenir et qu’ils ont suffisamment de poids ou d’influence pour faire passer dans la réalité les buts qu’ils se donnent. Cette position suppose d’avoir foi en l’aptitude de l’homme à connaître les lois régissant son environnement et en sa capacité à le modifier. Cependant, les actions des individus ne permettent généralement que de réaliser partiellement leurs projets. Trois raisons expliquent un tel état de fait : • Ils ne perçoivent la réalité qu’à travers leurs représentations qui, par nature, déforment et simplifient (incapacité de notre cerveau à appréhender une situation complexe dans sa totalité). Les décisions sont donc prises au vu d’une perception caricaturante du réel. • Le cerveau humain lorsqu’il anticipe le futur n’est pas capable de faire abstraction de la situation présente. Il en résulte qu’en matière de prévisions, nous ne savons qu’extrapoler. • Dans l’entreprise, la réalisation d’un projet demande la mise en œ uvre d’une action collective, ce qui nécessite un échange d’informations et entraîne de nombreux risques de distorsion dans la compréhension de celle-ci. Quand l’environnement est à peu près stable, l’écart entre le projet et sa réalisation est acceptable, et dans la mesure où il s’agit de processus qui rassurent le personnel (qui donnent l’illusion d’exercer un certain contrôle sur les événements), le plan et la gestion budgétaire sont bien acceptés. Lorsque l’évolution est une suite de ruptures et de crises, l’être humain ne sait plus prévoir le futur, puisqu’il a beaucoup de mal à s’abstraire de ce qu’il vit actuellement. Conduire l’action en ayant pour guide une extrapolation intangible du présent devient vite une attitude inadaptée voire dangereuse, mais l’existence de turbulences rend-elle pour autant la planification et les budgets obsolètes ? Le problème n’est pas forcément de chercher à forcer l’environnement dans un sens prédéfini par un plan [F. Jullien 1996]. On peut utiliser des plans pour analyser une situation, en déceler la cohérence, apprécier son potentiel d’évolution et avoir une parfaite Michel Gervais, Gervais Thenet 59 disponibilité vis-à-vis de tout ce qui peut s’amorcer. Cette analyse associée à un bon système de veille permet de repérer des signaux faibles et d’agir en amont, à un moment où les choses sont encore invisibles, pour créer une tendance qu’il conviendra par la suite de laisser advenir et sur laquelle il suffira de s’appuyer pour être en mesure de gagner [Sun Zi]. Une première section met en évidence que la planification garde, encore aujourd’hui, beaucoup de sa pertinence. D’une part, l’univers n’est jamais totalement turbulent, d’autre part, le recours à l’exaltation et au symbolisme pur pour supporter de nouveaux défis risque de mener à l’hallucination collective. La maîtrise de l’action suppose toujours la recherche d’un équilibre subtil entre l’exigence d’une certaine flexibilité (savoir s’adapter) et l’aptitude à comprendre, prévoir et éventuellement dominer l’environnement. Dans cet ensemble, la planification oblige à un minimum d’analyse et de cohérence ; elle évite que l’expérience ne dérape et que l’intuition ne devienne chimère. Bien évidemment, cette conception n’interdit pas de structurer les outils prévisionnels pour qu’ils intègrent mieux les situations de chaos (section 2). La section 3 montre, à travers des monographies, comment peuvent être combinés des outils de prévision et de contrôle dans un contexte turbulent. 1. La planification un outil désuet ? 1.1. Un constat paradoxal Si la turbulence peut mener, par suite de l’anxiété qu’elle crée, à une focalisation sur les croyances, diverses enquêtes montrent que les outils classiques de planification ne sont pas pour autant abandonnés [D. Le Maitre 1993 ; H. Mintzberg 1994 ; M. Alam 1997]. 60 Planification, gestion budgétaire et turbulence 1.2. Le paradoxe n’est qu’une apparence 1.2.1. L’emploi de la prévision est fonction de la perception et du vécu que l’on a de la turbulence La turbulence résulte de l’incertitude des comportements des acteurs (de l’imprévisibilité de leurs actions) et de la complexité d ynamique du système dans lequel ils opèrent (la trop grande variété des composants et des relations entre ceux-ci entraîne des évolutions erratiques) [J. Mélèse 1990]. Mais la turbulence est aussi une affaire de perceptions et de vécus. Si l’on a une vue très extravertie de l’entreprise, en cherchant à casser la complexité de l’environnement, on peut réduire l’instabilité perçue et retrouver des espaces de certitude où l’on est capable de prévoir [H. Mintzberg 1994]. Si la vision est plus introvertie, le fait que l’entreprise trouve l’environnement de plus en plus turbulent, traduit son inquiétude par rapport à sa propre stabilité. Ce n’est pas tellement le désordre extérieur que la firme voit, mais son propre désordre qu’elle projette sur l’extérieur. En adoptant des pratiques plus anxiolytiques, il est possible de réduire cette turbulence et de faire en sorte que les outils traditionnels de prévision restent valables. La turbulence peut aussi être vécue : – négativement (on ne se sent pas capable de faire face à la situation). Dans ce cas, on peut : . soit nier la crise (phénomène de défense perceptive) et continuer à gérer, à prévoir comme avant. Le risque de cette solution est d’accroître le chaos ; . soit s’en remettre à ceux qui savent ou à ceux qui disent savoir. Cette attitude va renforcer le pouvoir des leaders. Au sein d’une organisation, en effet, la capacité de persuader les autres d’adopter une conception de la réalité servant ses intérêts est une source importante de pouvoir ; diriger, c’est notamment être apte à définir la réalité des autres. En gérant les significations attribuées à une situation, le dirigeant va pouvoir influencer la manière dont les autres perçoivent la réalité et Michel Gervais, Gervais Thenet 61 la manière dont ils agissent. Il peut donc avoir intérêt à confirmer que l’environnement est effectivement turbulent, mais que, heureusement, il est là pour régler la crise. Cependant, les capacités de perception d’un leader même inspiré restent pauvres, et si la situation est complexe, les risques d’hallucination collective et de comportements pathologiques sont nombreux ; la gestion fait davantage référence à la foi et à la croyance qu’à l’analyse rationnelle ; – positivement. La perturbation suscite le désir de se surpasser. Elle est l’occasion d’apprendre pour toute l’organisation et de repenser son fonctionnement. Il s’agit de susciter les initiatives, de tolérer l’échec, et de décentraliser la décision pour faire en sorte que les problèmes à traiter soient suffisamment simples et prévisibles. 1.2.2. La réussite de l’action en contexte turbulent suppose toujours de combiner au mieux les diverses modalités permettant de la maîtriser Pour s’adapter à un environnement quel qu’il soit et se perpétuer, une entreprise dispose, en plus de la prévision, des moyens complémentaires qui suivent : – la flexibilité, c’est-à-dire la capacité à s’adapter aux événements, en améliorant les conditions d’information, en développant la polyvalence des actifs et des compétences, la souplesse de la structure et des procédures ; – l’assurance, c’est-à-dire le fait de faire prendre en charge le risque par un tiers, moyennant un dédommagement de celui-ci (le versement d’une prime) ; – la domination, c’est-à-dire le fait d’exercer une influence nette sur ses partenaires et d’avoir ainsi la faculté de transférer (partiellement ou totalement) ses propres problèmes sur d’autres groupes ; – l’usage d’un système d’animation permettant au personnel de garder confiance. C’est la recherche d’un équilibre harmonieux entre ces divers aspects qui permet à l’entreprise d’assurer sa survie. En environnement 62 Planification, gestion budgétaire et turbulence instable, ce principe reste vrai. La flexibilité, l’exercice du pouvoir, l’assurance des risques et la confiance en l’avenir permettent de réduire la turbulence et facilitent la prévision. • La recherche de flexibilité Elle concerne : – le partage du risque avec des uploads/Management/ planification-budget.pdf
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- Publié le Jul 23, 2022
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