LES PRATIQUES TRANSGRESSIVES DES CONSULTANTS AU SERVICE DE LA FABRIQUE DE LA ST

LES PRATIQUES TRANSGRESSIVES DES CONSULTANTS AU SERVICE DE LA FABRIQUE DE LA STRATÉGIE Olivier Babeau Lavoisier | « Revue française de gestion » 2007/5 n° 174 | pages 43 à 59 ISSN 0338-4551 ISBN 9782746218581 DOI 10.3166/rfg.174.43-59 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2007-5-page-43.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Lavoisier. © Lavoisier. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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L ’existence d’un décalage entre ce que les diri- geants disent et ce qu’ils font en entreprise a été maintes fois constatée (Pager et Quillian, 2005, p. 456). Le fait que les pratiques et les discours des diri- geants sur un même sujet puissent différer doit-il nous faire désespérer de la pertinence des décisions straté- giques? Ce serait surestimer la cohérence globale des processus en organisation: on sait aujourd’hui que l’en- treprise est un lieu où les contradictions et l’ambiguïté sont omniprésentes (Baier et al., 1988; Alter, 1992, 2002; Perret et Josserand, 2003). Il serait étonnant – n’en déplaise à la vision classique de l’organisation comme lieu où cohérence et rationalité dominent – que le processus stratégique fasse exception. Des travaux récents ont montré que la fabrique de la stratégie passait par le détournement des discours, autrement dit une mise en scène où le décalage entre actions et paroles est une caractéristique intrinsèque du fonctionnement du système (Babeau, 2006). Notre travail s’inscrit dans la perspective « pratique » qui considère que la stratégie prend place dans les interactions entre les acteurs, que ces derniers appar- I N F O R M AT I O N / S T R AT É G I E PAR OLIVIER BABEAU Les pratiques transgressives des consultants au service de la fabrique de la stratégie DOI:10.3166/RFG.174.43-59© 2007 Lavoisier, Paris. © Lavoisier | Téléchargé le 25/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.203.229.147) © Lavoisier | Téléchargé le 25/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.203.229.147) tiennent à l’organisation ou à l’environne- ment (Jarzabkowski, 2004, 2005; Golsorkhi, 2006). En tant qu’acteurs dont la raison d’être est d’assurer l’interface entre une organisation et son environnement, les consultants constituent une dimension importante de la pratique. La perspective pratique conduit également à s’intéresser aux dimensions tacites de la pratique, aux significations qu’elles portent (Brown et Duguid, 1991 ; Wenger, 1998) et aux connaissances qu’elle contribue à élaborer. Cet article est précisément une tentative de mise en évidence d’un mécanisme caché d’élaboration des décisions stratégiques, mécanisme dont l’efficace réside dans la position d’intermédiaire occupée par les consultants. Cherchant à progresser dans la compréhen- sion de la manière dont se construit en effet – et non pas idéalement – la stratégie, nous allons prolonger cette approche en mon- trant que l’acquisition d’une certaine part de l’information nécessaire à la décision stratégique est le produit d’un processus pervers – au sens propre de « voie détour- née ». Plus précisément, il s’agira de mettre en évidence dans cet article la manière dont les pratiques transgressives quotidiennes des consultants en management permettent, en favorisant la circulation d’informations censées être confidentielles, d’améliorer la prise de décision stratégique des managers. Notre thèse, dans les lignes qui vont suivre, est que par les transgressions à la marge 44 Revue française de gestion – N° 174/2007 MÉTHODOLOGIE Nous avons mené une démarche qualitative abductive telle que définie par Koenig (1993). Sans espérer induire de nos observations des régularités indiscutables, nous avons échafaudé des conjectures sur les relations entre différents phénomènes, puis nous avons cherché des faits observables, rendant ces conjectures plausibles (Desclés, 2000). Notre étude repose sur l’étude de la littérature concernant le métier du conseil, sur une année d’observation participante en cabinet de conseil, et sur cinquante entretiens semi- directifs centrés (Merton et al., 1990) d’une durée de deux à trois heures réalisés auprès de consultants et de clients. Tous les grades et tous les niveaux d’ancienneté ont été représentés dans l’échantillon interrogé. L’ensemble des verbatim représente plus de 650 pages de retranscription. Le codage des données a suivi les prescriptions d’Allard-Poesi, Drucker-Godard et Ehlinger (2003, p. 455) : découpage du texte en unité d’analyse, puis dans un second temps réalisation de catégories et intégration de ces unités dans ces mêmes catégories. Le dictionnaire des thèmes a été constitué tant de codes émergents que de codes issus de la littérature. La stabilité (Allard-Poesi et al., 2003, p. 456) a été testée par la répétition à trois reprises du codage, qui a montré un taux de correspondance de 98 % des thèmes. Ces derniers ont fait apparaître la diversité des rôles remplis en réalité par les consultants, leur caractère officieux et leur efficace propre. En d’autres termes, nous avons pu iden- tifier les pratiques transgressives des consultants concernant l’information et appréhen- der leur logique de production. © Lavoisier | Téléchargé le 25/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.203.229.147) © Lavoisier | Téléchargé le 25/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.203.229.147) qu’ils réalisent (entorses aux règles de confidentialités notamment), les consul- tants agissent comme des véritables inter- médiaires d’échanges souterrains entre les entreprises d’un même secteur. Ils permet- tent ainsi une fécondation croisée des pra- tiques managériales qui ne pourrait avoir lieu au grand jour. I. – UN PRODUCTEUR D’INFORMATIONS AU STATUT AMBIGU Précisons d’emblée ce que nous entendons par « conseil en management ». Il s’agit en fait de l’amalgame de ce qui est habituelle- ment désigné sous les vocables « straté- gie », « organisation », « recrutement » et « systèmes d’information ». L’Association américaine des consultants en manage- ment en donne la définition suivante: « un service fourni en échange d’honoraires par des personnes extérieures et objectives qui aident les dirigeants à améliorer le manage- ment, les opérations et la performance éco- nomique des institutions » (Villette, 2003, p. 8). Quelle est exactement la fonction d’un consultant? Qu’est-ce qui justifie le verse- ment d’honoraires parfois si faramineux? Après avoir examiné les demandes aux- quelles les cabinets sont amenés à répondre, nous verrons qu’une part importante de leur rôle est d’être des apporteurs d’informa- tions au statut ambigu. 1. Quelle est la valeur ajoutée des consultants? Les réponses classiques La liste des demandes explicites des clients est somme toute assez courte. Ces demandes se retrouvent sous des formes très proches dans la plupart des ouvrages sur le conseil (Kinard, 1995; Mreiden, 2000). Puissance de réflexion, apport d’un œil externe et neutre, force ponctuelle de travail, catalyseur d’énergie et expertise sont les thèmes revenant constamment dès lors qu’il est question des apports du conseil. Un personnel de haut niveau, neutre et catalyseur d’énergies Le consultant déclare volontiers se distin- guer des autres métiers par sa puissance de réflexion. Leurs parcours d’études supé- rieures, passant en France dans la quasi- totalité des cas par une grande école de commerce ou d’ingénieur, voire par un MBA d’une université américaine, sem- blent légitimer cette prétention. Le consul- tant est demandé pour sa vivacité d’esprit, sa capacité à appréhender la complexité, à traiter seul une masse impressionnante de données, à élaborer très vite des synthèses. La prépondérance des ingénieurs de forma- tion dans les cabinets s’explique par la mise en valeur toute particulière des capacités mathématiques. L’aptitude à la formalisa- tion est un élément essentiel du savoir-faire d’un consultant. C’est en intégrant cette formalisation à une présentation synthé- tique qu’il pourra produire les transparents lumineux qu’attendent les clients. De plus, n’appartenant pas à l’entreprise et travaillant pour plusieurs clients à la fois, le consultant possède cette extériorité qui garantit l’originalité du regard porté sur le fonctionnement d’une organisation. En tant qu’intervenant extérieur, le consultant est mieux à même de jouer le rôle « d’agent de feed-back » (Lescarbeau et al., 2004, p. 24). Il va en effet pouvoir aller recueillir des informations contenues dans l’organisation cliente qu’elle ne parvenait pas à faire Les pratiques transgressives des consultants 45 © Lavoisier | Téléchargé le 25/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.203.229.147) © Lavoisier | Téléchargé le 25/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.203.229.147) émerger parce qu’elles lui paraissaient trop évidentes par exemple. Dire l’évidence, formuler les routines inconscientes sont autant de préalables au renvoi (« feed- back ») enrichi vers le client des informa- tions uploads/Management/ rfg-174-0043.pdf

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  • Publié le Mar 02, 2022
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