CJAL * RCLA Lavoie Revue canadienne de linguistique appliquée : 18, 1 (2015) :
CJAL * RCLA Lavoie Revue canadienne de linguistique appliquée : 18, 1 (2015) : 1-20 1 Trois stratégies efficaces pour enseigner le vocabulaire : une expérience en contexte scolaire innu Constance Lavoie Université du Québec à Chicoutimi Résumé Puisque le lexique est un ensemble si vaste qu’il serait impossible de tout enseigner, il faut enseigner à l’apprendre. Cette étude a mesuré les retombées de l’enseignement explicite de trois stratégies lexicales. Elle s’est déroulée dans sept écoles primaires innues. Sept enseignants ont implanté, auprès de leurs élèves, trois stratégies d’enseignement du vocabulaire (la famille de mots, le réseau de mots et la carte de mots) durant trois semaines. Pour mesurer les retombées de cette expérimentation, les élèves innus du groupe expérimental (N = 39) et du groupe témoin (N = 15) ont effectué, avant et après l’intervention, trois tâches en utilisant les trois stratégies ciblées. Les résultats ont démontré, en faveur du groupe expérimental, une différence statistiquement significative après l’enseignement des trois stratégies. Ces données ont permis de confirmer l’impact positif de l’enseignement explicite du vocabulaire sur l’emploi de ces stratégies par les élèves innus. Abstract The lexicon is an entity so immense that it would be impossible to teach it in its entirety. Instead, one must teach how to learn it. In this study, seven teachers implemented three vocabulary teaching strategies (word families, word networks and word cards). This study examines the results of the explicit instruction of these three experimental strategies on the usage of these strategies in the learning of vocabulary. In order to measure the results of this study, the Innu students in the experimental group (N = 39) and in the control group (N = 15) did three tasks using the three targeted strategies both before and after the intervention. The results demonstrated a statistically significant difference favouring the experimental group after the three strategies were taught. These data allow the confirmation of a positive effect of explicit instruction of vocabulary on the usage of these strategies by Innu students. CJAL * RCLA Lavoie Revue canadienne de linguistique appliquée : 18, 1 (2015) : 1-20 2 Trois stratégies efficaces pour enseigner le vocabulaire : une expérience en contexte scolaire innu Introduction Dans la plupart des communautés innues, l’apprentissage du français se caractérise par la situation suivante : des élèves parlant une langue autochtone menacée d’extinction et apprenant le français comme langue seconde (L2). Selon Norris (1998), la langue innue serait une langue viable, mais fragile à cause du nombre limité de ses locuteurs. Les dernières données du recensement de 2011 de Statistique Canada permettent d’estimer que des 9 230 Innus, 6 245 déclarent que la langue innue est la langue la plus souvent parlée à la maison. D’autre part, 2 940 Innus déclarent utiliser le français comme langue d’usage à la maison et 390 utilisent l’anglais. Selon Hot et Terraza (2011), la dévitalisation de la langue innue au sein des familles est une des conséquences des pensionnats indiens (1920- 1996). Malheureusement, l’effritement lexical de la langue innue entraine souvent des connaissances lexicales limitées pour les enfants innuophones. La recherche montre que de faibles connaissances lexicales dans sa langue première (L1) complexifient l’apprentissage du lexique d’une L2 (Nation, 2001). En plus, la proximité de certaines communautés avec les villes et villages francophones donne lieu à des situations de bilinguisme. Les formes de bilinguisme varient d’une communauté innue à l’autre. Bien que la langue innue soit une langue d’usage, les Innus sont pratiquement tous bilingues comme le précise Baraby (2011) : « Les pressions de la langue dominante sont très fortes, les Innus étant aujourd’hui presque tous bilingues, avec comme langue seconde le français au Québec, ou l’anglais au Labrador et en partie à Pakuashipi » (p. 52). Dans cette étude, le niveau de connaissances lexicales de la L1 et de la L2 des élèves n’a pas été pris en compte. Un autre facteur limitatif des connaissances lexicales des enfants innus en français est le manque d’accès à la lecture dans leur village et leur famille. Les recherches sont unanimes quant à la corrélation entre la lecture et les connaissances lexicales (Biemiller, 2003 ; Blewitt, Rump, Shealy et Cook, 2009 ; National Early Literacy Panel [NELP], 2008). Par conséquent, l’accès limité à la littératie écrite est un facteur limitatif du développement du vocabulaire de l’enfant innu. Par rapport à ces facteurs complexifiant l’apprentissage du lexique pour les apprenants innus, les enseignants et les orthopédagogues travaillant dans les communautés innues se demandaient comment soutenir leurs élèves dans leur apprentissage lexical du français. De cette problématique, les enseignants, les orthopédagogues et les chercheuses ont mis en place un projet d’enseignement explicite du vocabulaire afin de favoriser la réussite scolaire des élèves innus. Comme le précise Chiappone (2006), l’enseignement explicite du vocabulaire est requis pour que les élèves puissent exceller dans toutes les matières scolaires. Dans cet article, il sera d’abord question des aspects théoriques relatifs aux trois stratégies d’apprentissage du vocabulaire expérimentées dans le cadre de la recherche : la famille de mots, le réseau de mots et la carte de mots. Après avoir formulé la question de recherche, la méthodologie et les résultats obtenus par les élèves participant au prétest et au post-test pour chacune des trois stratégies d’enseignement-apprentissage du vocabulaire seront présentés. La discussion des résultats obtenus et les recommandations pédagogiques seront fournies avant de clôturer avec les limites de la recherche. CJAL * RCLA Lavoie Revue canadienne de linguistique appliquée : 18, 1 (2015) : 1-20 3 Contexte théorique Les sections qui suivent exposent les fondements théoriques de l’apprentissage lexical, des facteurs intervenant dans l’apprentissage lexical et des stratégies d’apprentissage du vocabulaire. L’apprentissage lexical Il faut enseigner les mots non pas comme des unités isolées, mais comme un réseau de termes reliés entre eux par diverses relations de sens, car le lexique est un ensemble structuré où chaque mot entre dans une relation de sens plus ou moins complexe avec les autres (Tremblay, 2009). Ces relations peuvent être de synonymie, d’antonymie, des parties d’un tout, d’ordre d’intensité, de hiérarchie, de champ lexical, de forme, et ainsi de suite. En outre, selon les données de la psycholinguistique à propos des mécanismes d’apprentissage du vocabulaire, l’acquisition de nouveaux éléments lexicaux et leur rétention dans la mémoire active seraient conditionnées par la création de liens associatifs (Aitchison, 2012). Bogaards (1994), quant à lui, a souligné à juste titre que l’enseignement lexical doit viser à établir des liens multiples entre les items nouveaux et les connaissances antérieures de l’élève. Les facteurs influençant l’apprentissage du lexique Le premier facteur favorisant l’apprentissage du vocabulaire est la motivation à apprendre des mots nouveaux (Graves, 2009). L’environnement familial ainsi que l’enseignant contribuent à donner le goût d’apprendre de nouveaux mots (Biemiller, 2005 ; Chenu et Jisa, 2005 ; Hoff et Naigles, 2002). Rell (2005) a souligné que l’utilisation des connaissances de la L1 motive les élèves dans l’apprentissage de la L2. Un projet de recherche d’enseignement du vocabulaire de la langue française intégrant les ainés et la langue innue a également mené au constat que la motivation à apprendre des mots nouveaux augmente lorsque les jeunes débutent par leur langue et leur culture premières (Lavoie, Mark et Jenniss, 2014). Un autre facteur influençant l’apprentissage du lexique est la fréquence de l’exposition au mot dans des contextes variés. Beck, McKeown et Kucan (2002) suggèrent, pour des élèves du deuxième et du troisième cycle du primaire, de présenter 10 mots par semaine et de les travailler tous les jours. Sachant que l’apprentissage du vocabulaire est une tâche infinie, réversible et graduelle (Théophanous, 2001), il est préférable d’enseigner explicitement les mots les plus fréquents et utiles qui reviennent souvent tant à l’oral qu’à l’écrit (Cobb et Horst, 2004). Parmi les théories pouvant expliquer les mécanismes d’acquisition du vocabulaire, il est important de souligner celle des niveaux de traitement des unités lexicales. Selon Craik et Lockhart (1972) et Nation (2001), il existe des niveaux de traitement durant le processus d’apprentissage s’étendant de peu profond à profond. Le traitement peu profond, lui, implique uniquement la forme des éléments à traiter comme le son, l’orthographe ou des dispositifs physiques tels que le nombre de lignes verticales dans un mot. Le traitement profond nécessite de se concentrer sur la signification du terme à se rappeler. Plus la signification attachée à un élément à se rappeler est riche, plus le traitement est profond et plus cet élément est facile à retenir. Craik et Lockhart admettent que les tâches qui CJAL * RCLA Lavoie Revue canadienne de linguistique appliquée : 18, 1 (2015) : 1-20 4 nécessitent un traitement profond mènent à des traces mémorielles mieux établies que les tâches faciles. Par conséquent, les tâches impliquant le raisonnement et les manipulations facilitent davantage l’apprentissage que les tâches de répétitions. Plus la trace mémorielle est riche, détaillée et précise, plus elle a la chance d’être retrouvée et réutilisée. Une autre théorie appuyée par plusieurs recherches est celle du double codage (Paivio, 1971). Selon l’idée de base de cette théorie, les informations sont mémorisées selon deux uploads/Management/ strategies-pour-enseigner-le-vocabulaire.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 02, 2023
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- Langue French
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