Voyage au coeur de la décharge de Médiouna : une jungle aux portes de Casablanc
Voyage au coeur de la décharge de Médiouna : une jungle aux portes de Casablanca Que deviennent nos déchets après que le « camiou d’zbel » les ait embarqués ? Pour savoir, rien de mieux que d’aller visiter une décharge ! Et pourquoi ne pas aller voir la plus grande décharge du Maroc, qui n’est qu’à 20 minutes en voiture du centre de Casablanca. Je suis donc allé à la décharge de Médiouna… et je peux vous assurer qu’on en revient pas indemne ! Vous verrez, les photos sont parfois floues. C’est presque de la « caméra cachée » car on m’a averti que si les agents de sécurité me repéraient je risquais de me faire prendre mon appareil et de me faire jeter de la décharge avec peu de délicatesse Mais bon, y’a quand même de quoi avoir un bon aperçu ! Fiche d’identité de la plus grande décharge du Maroc Vu de l’extérieur, la décharge de Médiouna est une montagne de déchets qui s’élève à près de 10m au-dessus du sol et s’étend sur plusieurs dizaines d’hectares. La décharge répand aussi une odeur infecte à plusieurs kilomètres à la ronde, je l’ai senti en voiture au moins 3 à 4 minutes avant d’arriver à la décharge. L’organisation officielle de la décharge Officiellement, la décharge est un espace dédié où les camions poubelles des entreprises de collecte de déchets ménagers viennent quotidiennement déverser leur cargaison. Tous les camions-poubelle sont pesés à leur entrée et à leur sortie de la décharge pour évaluer la quantité précise de déchets apportés. Va et vient de camions-poubelle venant déverser leur cargaison Par ailleurs, l’entreprise de gestion de la décharge a des équipes et des machines (bulldozers, trucks…) pour entretenir la décharge, répartir et tasser les déchets, entretenir la piste d’accès des camions-poubelle, surveiller l’enceinte… Normalement, seuls les employés de cette entreprise et les chauffeurs de camion-poubelle ont le droit d’entrer dans la décharge. Comme vous pouvez l’imaginer, ces règles officielles ne traduisent aucunement la réalité de l’organisation de la décharge de Médiouna. Ci-dessous un aperçu de la vie de cette grande décharge où finissent les déchets ménagers des casablancais. Les lois informelles et le fonctionnement interne de la décharge de Médiouna Je suis arrivé à la porte de la décharge de Médiouna en milieu de journée. N’ayant normalement pas le droit d’entrer et n’étant pas une « tête connue » des agents de sécurité, l’on m’a conseillé d’entrer en montant dans l’un des camions-poubelle qui venaient vider leur collecte de la matinée. J’en ai donc vite trouvé un qui m’a « pris en stop » pour me faire entrer et traverser les 500 à 600 mètres de piste boueuse qui mènent au cœur de la décharge, là où les ordures sont déversées. Depuis le camion-poubelle qui m’a fait entrer, vue sur la piste qui mène vers le coeur de la décharge Premier aperçu de la décharge depuis le camion-poubelle Une fois arrivé, un « contact » qui travaille au sein de la décharge m’attendait pour me faire une petite visite guidée. Toutes les infos données ci-dessous sont donc issues des témoignages de mon « contact » et des personnes qu’il m’a présentées. Aucune info n’est vérifiée, ni vérifiable, car tout ce qui se passe dans la décharge est à 100% informel. Avant d’entrer dans les détails, je dois vous présenter les différents corps de métiers présents au sein de la décharge : • Les collecteurs informels, appelés « Be3ara », sont les plus nombreux (plus de 300 personnes qui travaillent «au black»). Ils sont les fourmis ouvrières de la décharge, et les plus jeunes que j’ai vus n’avaient pas plus de 15 ans. Issus des douars alentours, mais aussi venus pour certains de villes éloignées telles que Khouribga ou Ben Hmed, ils sillonnent la décharge à la recherche de déchets qu’ils pourraient revendre pour gagner leur pain. La plupart revendent leur collecte directement au sein de la décharge. Collecteurs à l’oeuvre au beau milieu des déchets • Les conducteurs de charrettes, appelés tout simplement « Karroussa », sont des taxis internes. Pour 5 à 10 dhs, ils transportent les déchets des uns et des autres vers un « Moul el Mizane » ou vers un grossiste Les charrettes : taxis internes de la décharge • Les intermédiaires, appelés « Moul El Mizane », seraient une quinzaine environ. Ils ont chacun leur propre balance et achètent au poids les déchets collectés et triés par les « Be3ara ». Ensuite, ils revendent chaque type de déchet séparément à des grossistes, sous forme de ballots d’un mètre cube environ. Deux balances de « Moul el Mizane » qui servent à peser les déchets collectés par les « Be3ara » • Les grossistes, eux, seraient 4 ou 5 seulement au niveau de la décharge. Ils possèdent un ou plusieurs camions qu’ils chargent de déchets triés et empaquetés en ballots. Ils vendent ces déchets directement à des entreprises de recyclage qui ont leurs usines à Casablanca. Photo de gauche : le camion d’un grossiste chargé et prêt à quitter la décharge ; Photo de droite : Des ballots de déchets triés et prêts à être embarqués dans un pick-up • Le chauffeur de Bulldozer est en charge d’entretenir la décharge en aplanissant certaines zones pour dégager le passage, en repoussant les déchets çà et là quand ils dérangent… • Le Monsieur « Sicuriti », vêtu d’une casquette verte, est le chef de la décharge. C’est lui qui attribue aux «Moul El Mizane » leurs places, qui aiguille les différents camions- poubelle vers tel ou tel coin de la décharge, etc. C’est en quelque sorte le chef d’orchestre de ce grand chaos organisé. Il a aussi des « indics » parmi les collecteurs qui l’aident à mieux gérer son « territoire ». Comment tout ce beau monde travaille ? et quelles relations entretiennent ces différents acteurs entre eux? Pour vous retracer toute l’organisation qui existe autour de notre zbel, il faut commencer au niveau des camions-poubelles. De fait, les chauffeurs de camions- poubelle, en tant que principale source d’approvisionnement de la décharge, ont un rôle crucial ! Il faut savoir qu’ils sont payés par les Moul El Mizane de la décharge pour venir vider le contenu de leur camion à côté d’eux. De la sorte, ils vident leur cargaison près de l’emplacement du Moul El Mizane le plus offrant, et les Be3ara qui travaillent pour lui ont donc un accès prioritaire aux déchets pour pouvoir y récupérer un maximum de « marchandises ». A noter que les camions-poubelle n’ont pas tous la même valeur ! Les camions en provenance des quartiers riches (Anfa, Californie, l’Oasis ou encore le C.I.L) sont les plus prisés et se monnayent à prix d’or. Ils contiennent plus de bouteilles plastiques, plus de canettes, plus de conserves, plus de verre etc… et parfois même des surprises tombées par hasard dans la poubelle. A l’inverse, les camions des quartiers populaires sont moins appréciés, et des Be3aram’ont même dit à leur sujet : « Hadouk m3adyin 3lina ! » (Traduction : « Ceux-là [les quartiers populaires], ils nous malmènent ! »). Ils y passent plus de temps à fouiller pour un butin de moindre valeur… Etant donné l’importance de la provenance des camions-poubelle, on peut aisément imaginer que les chauffeurs eux-mêmes doivent sûrement acheter auprès de « je-ne- sais-qui » leur affectation dans les quartiers riches… bref, sachez que vos poubelles s’achètent dès qu’elles passent la porte de votre maison. Une fois que le camion-poubelle a livré sa cargaison au sein de la décharge, un autre circuit commence. Les Be3ara se jettent littéralement sur les déchets avant même que le camion-poubelle ait fini de les déverser. Ils fouillent pendant une bonne heure chaque livraison, récupèrent dans un grand sac en plastique ce qui leur parait avoir une valeur, puis vont faire le tri un peu plus loin avant de revendre séparément chaque type de déchet à un Moul El Mizane. Selon différents témoignages, les Be3ara gagnent 50 à 200 Dh par jour « 3la 7assab ça dépend ». Collecteurs triant les déchets fraîchement déposés par les camions-poubelle Moul El Mizane est quant à lui un intermédiaire. Le matin, il va voir son grossiste habituel et lui demande de lui prêter 20 000 à 30 000 Dhs avec lesquels il va racheter des déchets auprès des Be3ara. En fin de journée, le grossiste récupère sa cargaison en laissant une marge à Moul El Mizane pour rémunérer son travail. Moul El Mizane doit également acheter quotidiennement sa place auprès d’un « responsable » (peut-être auprès de Monsieur « Sicuriti », mais je n’en suis pas sûr), et il doit payer chaque jour au moins 100 DH au chauffeur de Bulldozer pour qu’il dégage la voie aux camions-poubelle pour que ces derniers puissent venir décharger près de son Mizane. Le Moul el Mizane le plus offrant a même le droit à ce que le Bulldozer fasse passer la route principale près de lui. A l’inverse, celui qui ne payerait pas uploads/Management/ voyage-au-coeur-de-la-decharge-de-mediouna.pdf
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- Publié le Jui 23, 2022
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