La logistique aval de la firme de distribution : « servir le client » ou « se s
La logistique aval de la firme de distribution : « servir le client » ou « se servir du client » ? Aurélien Rouquet Professeur de logistique à Reims Management School Chercheur affilié au CRET/LOG 59, rue Pierre Taittinger - BP 302 51061 Reims Cedex Tél. : +33 (0)3 26 77 57 46 Fax : +33 (0)3 26 04 69 63 aurélien.rouquet@reims-ms.fr & Kiane Goudarzi Maître de conférences, IAE Aix en Provence, Associate marketing Professor, Reims Management School, 59, rue Pierre Taittinger - BP 302 51061 Reims Cedex Tél. : +33 (0)3 26 77 47 10 Fax : +33 (0)3 26 04 69 63 kiane.goudarzi@reims-ms.fr La logistique aval de la firme de distribution : « servir le client » ou « se servir du client » ? Résumé : S’appuyant sur la littérature en management des services et le cas exemplaire d’IKEA, l’article défend l’idée que les consommateurs peuvent être des acteurs cruciaux dans la distribution finale des produits. Cherchant à mieux conceptualiser les rôles logistiques qu’ont les clients finaux dans la distribution, l’article suggère de considérer ces derniers comme des prestataires de services logistiques « classiques ». Au vu des deux activités qui constituent le cœur de métier d’un prestataire logistique – le transport et l’entreposage – une matrice préliminaire des rôles logistiques possibles du client est introduite, puis utilisée pour analyser le secteur de la grande distribution alimentaire. Mots clés : logistique, prestataire de service, externalisation, client, distribution The outbound logistics of distribution firms: serving or using the customer? Abstract: Based on the service management literature and the exemplary case of IKEA, the article defends the thesis that consumers often are key actors of the final distribution of goods. With the objective of conceptualizing the logistics roles played by final consumers in the distribution of products, the article suggests to think about them as “classical” logistics services providers. Considering the two cores activities of logistics services providers – transport and warehousing – a preliminary matrix of the consumer logistic roles is finally introduced and then used to analyze the case of food retailing. Key Words: logistics, service provider, outsourcing, customer, distribution Résumé managérial L’article part du constat que dans bien des cas, le client se voit transférer par l’entreprise des activités logistiques : IKEA et la grande distribution alimentaire sont deux exemples frappant de ces transferts que l’article se propose notamment d’analyser. L’article cherche ainsi précisément à conceptualiser les différents rôles logistiques que l’on peut faire jouer aux clients et propose pour cela une matrice des rôles logistiques du client (RLC). Celle-ci est composée de deux dimensions : l’intensité du rôle du client dans le transport final des produits et l’intensité du rôle du client dans les activités logistiques de sortie des entrepôts. Cette matrice permet d’identifier 4 types de rôles logistiques extrêmes pour le client : le client logisticien, le client transporteur, le client cariste et enfin le cyber client. La matrice RLC peut alors être utilisée par les entreprises de distribution pour positionner leurs formats de distribution, les comparer à leurs concurrents, voire pour innover en identifiant des nouveaux types de rôles logistiques qu’il est possible de faire jouer à leurs clients (comme l’illustre le cas d’Auchan drive in). Elle peut également permettre de réfléchir aux différentes activités logistiques qui peuvent être transférées aux clients selon les lignes de produits vendus (produits vendus en libre service chez IKEA vs à retirer au retrait marchandises par exemple). Parmi les raisons invoquées pour expliquer le développement en France de la grande distribution alimentaire (GDA) dans la seconde moitié du vingtième siècle, le recours au principe du « libre-service » est très fréquemment invoqué par les théoriciens (19). Instauré pour la première fois en France à Paris par l’entreprise Goulet-Turpin en 1948, le libre-service consiste essentiellement pour un distributeur à laisser ses clients réaliser en magasin les activités logistiques de picking et de manutention. Permettant à un distributeur de se décharger de tâches coûteuses en main d’œuvre, ce principe a largement contribué à la mise en place des politiques de « prix bas », qui ont fondé le succès de la GDA. L’essor de ce modèle de distribution encore aujourd’hui dominant serait donc lié à « l’externalisation » réussie par les distributeurs d’un certain nombre d’activités logistiques auprès de leurs clients. A l’heure actuelle, ce modèle est comme on le sait fortement mis à mal. Sur le plan logistique, la remise en cause tient notamment à l’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui ont rendu possible la création de ce qu’il est convenu désormais d’appeler les « cybermarchés ». D’ailleurs, plutôt que de laisser de nouveaux entrants leur grignoter leurs parts de marché, les acteurs de la GDA se sont positionnés ces dernières années sur ces marchés virtuels en devenir. A rebours de ce qui a en partie fait leur succès, les firmes de la GDA cherchent ainsi à « réinternaliser », si l’on reprend le terme proposé par Fréry et Law-Kheng (6), certaines activités logistiques… qu’elles avaient choisi il y a maintenant plus d’un demi-siècle de laisser à leurs clients le soin de réaliser ! Sans préjuger ici de la supériorité de tel ou tel modèle de distribution, l’émergence des cybermarchés a le mérite de mettre à jour une problématique centrale, qui se pose à toute firme de distribution : celle du rôle que les clients peuvent jouer sur le plan logistique dans la distribution finale des produits. Pour utiliser une formule simple, faut- il pour les firmes de distribution servir les clients sur le plan logistique, c’est-à-dire les décharger des diverses activités nécessaires à l’acheminement des produits jusqu’à leurs domiciles ? Ou bien faut-il plutôt se servir des clients pour réaliser la logistique, c’est-à- dire s’attacher à les faire participer à la manutention et au transport des produits ? Étonnamment, cette question des rôles qu’une firme de distribution peut possiblement faire jouer à ses clients sur le plan logistique n’a à notre connaissance pas été abordée jusqu’à présent au sein de la littérature sur la logistique de distribution. Celle-ci s’est en effet désintéressée de la logistique du consommateur, adoptant de facto le point de vue des distributeurs en se focalisant sur l’organisation et l’optimisation de leur chaîne logistique. Etonnamment également, cette thématique de la logistique du consommateur n’a jusqu’à présent été évoquée qu’en de rares occasions par la littérature marketing (9). En vue de combler ce vide théorique, nous souhaitons donc dans cet article contribuer à une meilleure conceptualisation de la logistique du consommateur final. Précisément, nous nous proposons d’introduire un construit théorique permettant d’identifier les différents types de rôles logistiques que les entreprises de distribution peuvent faire jouer à leurs clients, ainsi que les modèles de distribution qui sont associés à ces rôles. Dans cette optique, notre propos s’organisera en trois parties. Dans un premier temps, à partir notamment de la littérature en management des services et du cas exemplaire d’IKEA, nous montrerons que le client peut effectivement être vu comme un acteur de la logistique de distribution. Afin d’identifier les rôles possibles du client final dans une telle logistique, nous proposerons alors dans une seconde partie de considérer celui-ci comme un prestataire de service logistique « classique », et introduirons sur cette base une matrice bidimensionnelle des rôles logistiques du client. Enfin, en vue d’apprécier la pertinence de ce construit théorique préliminaire, nous l’utiliserons pour analyser les rôles logistiques joués par les clients au sein des entreprises de la GDA. Le client, acteur de la logistique de distribution S’intéresser aux rôles logistiques que peuvent jouer les clients finaux dans la distribution des produits repose par nature sur un postulat : celui que ces clients jouent effectivement un rôle dans cette logistique de distribution ! Or, si l’on suit la littérature logistique, cela n’est en rien évident. Implicitement en effet, cette littérature (4) soutient que l’objectif du management logistique est de servir les clients, les considérant ainsi comme des membres extérieurs de la chaîne logistique. Si la littérature logistique s’avère donc de peu de poids pour défendre l’idée que le client est un acteur de la logistique de distribution, il existe toutefois dans la littérature en marketing des services de solides arguments en appui de cette thèse. Depuis plusieurs années, celle-ci souligne en effet que le client peut être vu comme un membre de l’organisation, qui joue un rôle essentiel dans la production des services. Le client final : un membre de l’organisation Historiquement, c’est l’un des pères fondateurs des théories des organisations, Barnard (1), qui a le premier défendu l’idée que le client pouvait et devait être vu comme un membre de l’organisation. Selon lui en effet, « les rôles des investisseurs, des fournisseurs et des clients entrent tous dans les limites de l’organisation1 » (1, p112), et « les rôles des clients et des employés résultent du fait que tous deux sont membres de la même organisation » (1, pp118-119). Cette perspective fondatrice a logiquement été approfondie au sein de la littérature en management des services. La participation du client uploads/Management/2009-rouquet-goudarzi.pdf
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- Publié le Nov 09, 2021
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