Revue française de pédagogie Sociologie de l'expérience lycéenne Mr François Du
Revue française de pédagogie Sociologie de l'expérience lycéenne Mr François Dubet, Mr Olivier Cousin, Jean-Philippe Guillemet Abstract The sociology of students experience. - Students experience is reviewed among eight senior high schools with differing social environment in Paris and its suburbs. About a hundred students and fourty teachers were interviewed. Though this population is not technically representative, we may say that it helps us to elaborate an image of students experience. Résumé Cet article présente de manière succincte une étude sur l'expérience lycéenne menée à la demande de la Direction des Etudes et de la Prospective du Ministère de l'Education nationale. Il s'agit d'une intervention sociologique conduite auprès de huit groupes dans huit lycées hiérarchisés entre un « grand lycée » du VIe arrondissement parisien et des LEP de banlieue. Nous avons aussi réalisé une centaine d'entretiens auprès d'élèves et une quarantaine auprès d'enseignants. Cette population n'est nullement représentative, mais on peut considérer qu'elle permet de construire une image assez vraisemblable de l'expérience des élèves. Citer ce document / Cite this document : Dubet François, Cousin Olivier, Guillemet Jean-Philippe. Sociologie de l'expérience lycéenne. In: Revue française de pédagogie, volume 94, 1991. pp. 5-12; doi : 10.3406/rfp.1991.1361 http://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1991_num_94_1_1361 Document généré le 07/06/2016 REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE N° 94 janvier-février-mars 1991, 5-12 SOCIOLOGIE DE L'EXPÉRIENCE LYCÉENNE par François DUBET, Olivier COUSIN, Jean-Philippe GUILLEMET Cet article présente de manière succincte une étude sur l'expérience lycéenne menée à la demande de la Direction des Etudes et de la Prospective du Ministère de l'Education nationale. Il s'agit d'une intervention sociologique conduite auprès de huit groupes dans huit lycées hiérarchisés entre un « grand lycée » du VIe arrondissement parisien et des LEP de banlieue. Nous avons aussi réalisé une centaine d'entretiens auprès d'élèves et une quarantaine auprès d'enseignants. Cette population n'est nullement représentative, mais on peut considérer qu'elle permet de construire une image assez vraisemblable de l'expérience des élèves. Longtemps en France, l'essentiel de la sociologie de l'éducation fut une sociologie sans acteurs. Les travaux fondateurs et majeurs portaient sur des flux, sur les effets agrégés des conduites, sur les fonctions de l'école, sur les « lois » du système sélectif, beaucoup plus que sur la manière dont les acteurs scolaires construisaient leur expérience, que sur leur « conscience », aurait-on dit dans le vieux langage de la sociologie du travail. Un peu à la manière de ceux qui déduisaient la conscience ouvrière de la « condition » imposée par le capitalisme, l'expérience des élèves était inférée des logiques du système. Parce que le problème de l'inégalité des chances a été et reste encore le thème central de la sociologie de l'éducation française, l'élève a souvent été réduit à sa carrière et aux facteurs qui la fixaient. Il ne peut être question, bien sûr, de rejeter ces travaux et les questions qui les fondent, mais ils supposent une sorte de conformité et d'adéquation des acteurs au système, de part aveugle des conduites réduisant la subjectivité des élèves soit aux ruses de la raison, soit à la consolation ou à l'insignifiance. Le rôle proprement éducatif et socialisant de l'école peut être alors ignoré, ramené à l'acquisition d'une position, soit encore à l'intériorisation, plus ou moins heureuse, d'une culture scolaire conçue comme un ensemble organisé et stable. Dans la mesure où le système scolaire se diversifie et se massifie, où il accroît son emprise sur l'adolescence et la jeunesse, dans la mesure aussi où les stratégies et les projets sont multiples, il importe d'étudier l'expérience scolaire des élèves eux-mêmes, de rechercher les orientations culturelles et les relations qui la fondent afin de savoir non pas quel acteur social fabrique l'école, mais quel acteur se fabrique dans l'école et comment. I. - QU'EST-CE QUE L'EXPÉRIENCE LYCÉENNE ? 1. La sociologie de l'éducation est tentée de concevoir les conduites des élèves à la lumière de modèles théoriques dérivant des représentations générales du système scolaire, et notamment de la production et de la reproduction des inégalités. L'expérience scolaire est alors réduite au principe central d'explication et d'analyse de ce modèle. De manière dominante, les conduites des élèves, leurs choix, leurs subjectivités, leurs sociabilités, leurs modes d'adaptation, sont conçus comme l'expression d'une socialisation attachée à une position sociale. L'élève est porteur d'un « habitus » de classe plus ou moins proche des attentes culturelles et des modèles de rôle latents proposés par l'institution scolaire. L'espace de l'expérience scolaire est défini comme la rencontre d'une culture sociale, d'une culture de classe et d'une culture scolaire. Les attitudes des élèves dérivent de la distance de ces deux cultures et des systèmes de dispositions qu'elles engendrent et qu'elles requièrent. Les héritière décrivent tout le jeu de connivences et de sous- entendus qui organise l'expérience des élèves prédisposés à gérer la rencontre de deux cultures proches. A contrario, l'échec scolaire est expliqué par la distance de ces cultures et par l'intériorisation de la difficulté de réussir provoquée par cette distance, si forte parfois que les sociologues britanniques ont pu opposer la culture scolaire et la sous-culture déviante des élèves issus des classes populaires (1). Ici, le problème de la massif ication relative du public des lycées se ramène principalement à la confrontation de nouvelles attentes et dispositions avec le modèle culturel scolaire proche de celui des classes dominantes. Mais pouvons-nous réellement, dans ce cadre, considérer l'élève comme un acteur social ? Il ne semble pas, dans la mesure où les conduites des sujets paraissent totalement déterminées par le jeu des positions sociales. Plus exactement, tout se résume dans ce jeu des positions où les conduites des acteurs semblent nécessaires, où l'expérience scolaire n'a pas de logique propre, où la subjectivité n'est qu'un effet des positions sociales. Contre cette représentation de l'élève, le courant de l'individualisme méthodologique considère l'élève comme le sujet d'un marché où se croisent les biens scolaires et les ressources des acteurs perçus alors comme des stratèges et des consommateurs. Au lieu d'être le support d'attitudes culturelles déjà là, l'élève est un stratège qui optimise ses investissements et ses coûts, choisit la meilleure solution à chacun des carrefours que lui impose le système scolaire (2). L'expérience de l'élève est celle d'un agent économique face à la rareté relative des biens offerts, des diplômes et des positions sociales, des jeux d'inflation et de concurrence qui fixent les hiérarchies et les filières. Si l'acteur social existe ici, il est réduit à une position de stratège, et la fonction proprement socialisa- trice et éducative de l'école est ramenée à un principe d'intérêt ou, plus souvent, passée sous silence. Il est bien évident que ces deux modèles correspondent à deux cadres théoriques antinomiques, à deux représentations de l'école. Mais elles sont aussi peut-être associées à deux « âges » de l'institution scolaire en France. La première considère l'école comme une institution organisée autour d'un modèle culturel central et dominant, proche de l'image « classique » du lycée, la seconde conçoit l'école comme une série de filières, de carrefours ; plus sensible à l'état actuel du système scolaire, l'école y est moins perçue comme une institution de socialisation à la manière de Durkheim, que comme un marché de biens scolaires, l'étude des rapports de concurrence efface celle des biens objets de cette concurrence (3). De l'institution au marché, il n'y a pas seulement deux cadres théoriques, mais aussi deux définitions du rôle de l'école. Il faut dire un mot de ce que l'on a appelé « la nouvelle sociologie » anglaise de l'éducation, inspirée par l'interactionnisme symbolique et l'ethnométhodologie, et qui est plus sensible à l'idée d'expérience scolaire (4). Le point original de cette perspective, pour peu qu'on lui accorde une unité, est l'analyse des interactions dans la classe et notamment des relations entre les maîtres et les élèves. Les travaux montrent comment les enseignants attribuent des rôles, étiquetent les élèves et comment ceux-ci résistent et réagissent à ces diverses interactions. Mais conçue comme une série de relations, l'expérience scolaire semble ne plus avoir d'unité propre et de principes centraux et, la plupart du temps, cette sociologie a considéré l'expérience des élèves comme un sous-système de la première perspective évoquée ici, celle de la rencontre culturelle. 2. L'idée d'expérience scolaire suppose que l'on ne considère pas seulement l'élève comme un individu face à une situation et des contraintes, mais comme un acteur construisant son expérience à travers des choix culturels et des orientations, élaborant des stratégies et les significations de ses stratégies dans un système de relations sociales. Il importe de dégager les dimensions centrales de cette expérience, celles que l'acteur doit gérer et articuler. La première de ces dimensions est celle du projet. Chaque élève entretient nécessairement avec l'école un rapport d'utilité lié à un projet. Il faut que les études et le travail aient un sens par rapport à l'image qu'il se fait de son avenir ; ce projet peut avoir une dimension professionnelle, il peut au contraire se limiter à une carrière scolaire, passer dans la classe supérieure. Ce projet peut être vécu par l'élève comme étant le sien propre, ou bien comme celui d'un uploads/Management/dubet-cousin-et-guillemet-sociologie-de-l-x27-experience-lyceenne.pdf
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- Publié le Jan 16, 2022
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