Le Dictionnaire de l'Académie Française : un modèle lexicographique en évolutio
Le Dictionnaire de l'Académie Française : un modèle lexicographique en évolution Rey, Christophe Université de Picardie Jules Verne – LESCLaP (CERCLL) christophe.rey@u-picardie.fr 1 Introduction La longévité exceptionnelle du Dictionnaire de l'Académie Française, répertoire qui en est aujourd'hui à sa neuvième édition et qui a parcouru pas moins de cinq siècles, ne s'explique pas seulement par la sécurité de publication que lui assure son label de « dictionnaire de l'institution ». Très souvent stigmatisé pour la lenteur de son élaboration, l'ouvrage des Académiciens est doté d'une pérennité qui s'explique selon nous également par le fait qu'il s'agit d'un dictionnaire qui a su évoluer au fil du temps, intégrant à travers son lexique les évolutions linguistiques1 et culturelles2 les plus significatives. L'ouvrage de Bernard Quemada et Jean Pruvost (1997) consacré aux préfaces des huit premières édition de ce dictionnaire constitue à ce titre une référence incontournable pour mesurer ce constat3. Dans cette communication, nous souhaitons revenir sur cette image du Dictionnaire de l'Académie Française (désormais DAF) en tant que modèle lexicographique sans cesse en évolution. Nous nous inscrivons donc à ce titre dans la lignée de la publication récente d'un numéro de la revue Études de Linguistique Appliquée (ÉLA)4 consacré à l'ouvrage. En rebondissant sur certaines analyses récentes (REY, C., PIEROZAK, (À paraître), REY, C., (2012a), SOUFFI, 2009), nous chercherons à montrer ici que cette neuvième livraison du répertoire – toujours en cours de rédaction – présente à travers plusieurs choix lexicographiques majeurs que nous allons détailler un visage considérablement renouvelé. 2 De 1986 à aujourd'hui, une neuvième édition en voie de finalisation La neuvième et dernière édition du DAF se situe dans le sillage d'une longue tradition lexicographique initiée au XVIIe siècle et ponctuée par des publications à chaque siècle, une au XVII e (1694), quatre au XVIIIe (1718, 1740, 1762, 1798), deux au XIXe (1835, 1878) et une au XXe (1932-35). La dernière édition du DAF est publiée presque trois cents ans après la première édition. Si nous exceptons justement cette première édition dont la rédaction particulièrement lente – de 1637 à 1694 - a été vivement critiquée à maintes reprises (Furetière, 1685), cette dernière édition est aussi celle qui paraît avec le plus d'écart avec l'édition qui la précède. Ébauchée durant le mandat de Secrétaire perpétuel de l'Académie Française de Maurice Druon, la neuvième édition du DAF sera pour la première fois publiée sous la forme de fascicules à partir de 1986, puis sous la forme de deux tomes successivement édités chez Fayard en 1992 (articles A à Enzyme) et 2000 (articles Éocène à Mappemonde). Non encore achevée5, cette édition continue de paraître de manière apériodique sous la forme de fascicules dans la liste des Documents administratifs du Journal officiel6. 3 Des innovations À l'image de l'apport scientifique de chacune de ses éditions précédentes (Quemada, 1997), le DAF offre à travers cette neuvième édition un répertoire original, livrant une vision nouvelle de la langue française. SHS Web of Conferences 1 (2012) DOI 10.1051/shsconf/20120100019 © aux auteurs, publié par EDP Sciences, 2012 Congrès Mondial de Linguistique Française – CMLF 2012 SHS Web of Conferences Article en accès libre placé sous licence Creative Commons Attribution 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0) 1031 Article available at http://www.shs-conferences.org or http://dx.doi.org/10.1051/shsconf/20120100019 L'originalité de cette ultime édition se manifeste non seulement à travers l'accroissement particulièrement conséquent de sa nomenclature, mais aussi et surtout à travers l'introduction de nombreuses « innovations » lexicographiques dont les plus significatives7 vont succinctement être décrites ci-dessous. 3.1 Remarques normatives Au rang des premières innovations importantes que propose la neuvième édition du DAF, figure tout d'abord le mécanisme d'introduction de « remarques normatives » : « Le Dictionnaire de l’Académie française, à côté des indications concernant la graphie, la prononciation, le pluriel des mots, la conjugaison des verbes, etc., qui sont nécessaires dans tout dictionnaire de langue, insère dans certains articles des remarques destinées à attirer l’attention sur des modes, des habitudes plus ou moins répandues dans la langue courante et contraires au bon usage. » (Site internet de l'Académie française) Destinées à renforcer la vision du bon usage défendu par l'Académie, ces remarques sont proposées en complément des marques diastratiques : « Il nous est également apparu que nos notations habituelles : familier, populaire, vulgaire, argotique, trivial, avaient de moins en moins d'effet dissuasif, comme si, même assortis de ces mentions, le fait que des mots grossiers soient mentionnés " dans le dictionnaire " autorisait leur emploi sans discernement ni retenue. Que nous ayons dû en faire état, parce qu'ils sont d'un usage parlé, hélas fréquent, ne saurait constituer un encouragement à s'en servir en aucune occasion qui commande, oralement ou dans l'écrit, un langage correct. Aussi avons-nous introduit de place en place des remarques normatives, bien visibles, qui proscrivent les expressions, constructions ou utilisations le plus agressivement fautives et dont on peut craindre qu'elles ne s'installent dans le mauvais usage. » (Avertissement, 1992) Contestant l'efficacité dissuasive des marques de registres traditionnelles, les académiciens ont introduit les remarques normatives dans le but de proscrire "les expressions, constructions ou utilisations le plus agressivement fautives et dont on peut craindre qu'elles ne s'installent dans le mauvais usage"8. Résolument normatives, ces remarques permettent de mieux éclairer le rôle également normatif attribué aux marques de registres au sein de ce dictionnaire du bon usage. La lecture de l'ouvrage de J.-P. Caput (1986) nous informe que la mise en place du dispositif des remarques normatives ne constitue pas un phénomène totalement nouveau. Certaines recommandations linguistiques ont effectivement fait l'objet de publications sous la forme de feuillets séparés du dictionnaire. J.-P. Caput évoque avec précision l'existence de ces « Mises en garde » : « Cette dénomination aux apparences menaçantes cache tout simplement des conseils que l'Académie, comme c'est sa mission, donne au public sur le plan linguistique. Sans que soit précisé à qui elles s'adressent plutôt, elles valent, sinon toutes du moins telle ou telle partie d'entre elles, pour un peu tout le monde. D'ailleurs, les ouvrages ou les simples opuscules, fort nombreux, qui vont dans le même sens se vendent très bien en librairie. Il s'agit de quelques feuillets, actuellement encore ronéotypés, consignant des remarques placées dans l'ordre alphabétique et se présentant ainsi : en marge, le terme ou les termes, la tournure grammaticale incriminés; en face, un bref développement expliquant en quoi consiste l'erreur, apportant un ou plusieurs exemples et proposant souvent plusieurs solutions pour éviter l'écueil. La périodicité de ces Mises en garde est variable, mais en général, il en paraît au moins une par an. Malheureusement, leur diffusion est encore restreinte; sans doute le fait qu'à partir de décembre 1985 elles soient imprimées leur permettra d'obtenir une plus large diffusion dans le public. » J.-P. Caput poursuit plus loin la présentation de ces remarques : SHS Web of Conferences 1 (2012) DOI 10.1051/shsconf/20120100019 © aux auteurs, publié par EDP Sciences, 2012 Congrès Mondial de Linguistique Française – CMLF 2012 SHS Web of Conferences Article en accès libre placé sous licence Creative Commons Attribution 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0) 1032 « Afin de donner un exemple à la fois concret et récent, nous allons étudier celles du 7 février et du 13 juin 1985. On peut ranger ces 62 remarques sous quatre rubriques dont chacune admet des subdivisions; [...] Problèmes grammaticaux [...] Vocabulaire [...] Registres [...] Orthoépie (prononciation correcte) [...] Cette liste appelle quelques commentaires. D'abord sur le plan quantitatif, on peut constater l'importance privilégiée accordée au vocabulaire : 37 remarques sur un total de 62 – près des deux tiers; dans cette rubrique, ce qui bénéficie de la plus grande attention, c'est, dans l'ordre : les anglicismes (11 attestations, dont 6 concernant des mots anglais ou américains); viennent ensuite les problèmes de sens : en général (10), mais ceux-ci prédominent si on les regroupe (13 en tout); enfin, les néologismes préoccupent l'Académie : 7 cas. La grammaire vient en deuxième place, avec 11 remarques; il est intéressant de noter que près de la moitié se rapportent à des faits de syntaxe. Enfin, outre une rectification portant sur la prononciation du mot "antienne", nous trouvons un souci tout à fait justifié actuellement pour les registres de langue et les registres d'emploi; si ces derniers mettent en cause l'intrusion d'un vocabulaire technique ou scientifique spécialisé dans la langue commune, les premiers ne sont autres que ce que l'on appelait autrefois "les niveaux de langue. » (populaire, familier, etc.) [...] (Caput, 1986 : 93) Les statistiques de J.-P. Caput sur la répartition par grands domaines des remarques proposées dans les feuillets nous semblent tout à fait intéressantes et mériteraient – chose que nous ne pourrons faire ici faute de temps – d'être examinées en fonction du corpus que nous avons établi pour la présente étude. Parues depuis un certain nombre d'années sous la forme des feuillets décrits ci-dessus, les remarques normatives livrées par l'Académie ne constituent donc pas un phénomène nouveau mais un phénomène relativement méconnu : « En réalité, le problème réside dans la diffusion; peu de personnes, proportionnellement, connaissent l'existence – a fortiori le contenu – de ces feuillets. uploads/Marketing/ le-dictionnaire-de-lacademie-francaise-un-modele.pdf
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- Publié le Apv 30, 2021
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