Thierry Maillet 5 rue Auguste Comte Paris 6°- thmaillet@gmail.com LE MARKETING
Thierry Maillet 5 rue Auguste Comte Paris 6°- thmaillet@gmail.com LE MARKETING ET SON HISTOIRE OU LE MYTHE DE SISYPHE REINVENTÉ Le Président de la chaîne de télévision, M6, Nicolas de Tavernost (22 février 2007) : « Je passe ma journée à imaginer comment scotcher les familles devant la télé et je passe mes soirées à gamberger comment en descotcher mes enfants. Un vrai travail de schizophrène1 ». INTRODUCTION GENERALE «Il y a une énigme dans le marketing : c’est l’une des plus vieilles activités de l’homme mais on le considère aujourd’hui comme la discipline la plus récente de la gestion des entreprises 2». La contradiction évoquée par cet auteur universitaire britannique n’est pas anecdotique. La discipline du marketing peut revendiquer une certaine antériorité historique mais son apprentissage et sa pratique relèvent aux yeux du plus grand nombre de la récente discipline très globalisante de la gestion des entreprises. Certes l’énigme, réelle ou perçue du marketing n’a pas empêché la discipline d’évoluer d’une position accessoire dans la gestion des organisations à une responsabilité centrale dans la vie économique des entreprises. Néanmoins il est significatif de constater que la multitude des auteurs n’arrive pas à converger sur la date de création de la discipline et encore moins de la naissance de la terminologie et de son premier emploi. Situé au tournant du XIX° siècle puisqu’un premier cours de marketing sur les produits agricoles est donné dès 1905 à l’université d’Etat de l’Ohio3, son premier emploi par les praticiens de 1 Nicolas de Tavernost in Paris Match 22 février 2007. 2 Michel Baker, Marketing : Theory and Practice, New York, Mac Millan, 1996 in Mercator, Paris, Dunod. page 2. 3 Luc Marco, « L’arborescence de l’histoire du marketing », art.cit, p. 8 2 Th Maillet ––Introduction à l’histoire du marketing – 16/12/10. l’entreprise reste encore à déterminer. Dès lors, la recherche d’une meilleure compréhension de la jeune histoire du marketing soulève la question suivante : est-ce le marketing qui est réellement énigmatique ou l’impression d’énigme provient-elle d’une imparfaite compréhension de son évolution historique ? Une interrogation est aussi à soulever : est-ce que l’inclusion originelle du marketing parmi la discipline plus large de l’économie et des sciences de gestion était pleinement justifiée ou, un regard qui embrasserait plus large eut permis de résoudre plus aisément son énigme initiale et toujours présente ? Né aux Etats-Unis et en Europe Occidentale, le marketing a été le plus souvent pensé dans le cadre de l’évolution du capitalisme de production, le fait économique dominant comme le nota son principal critique, Karl Marx dans sa somme précisément intitulée Le Capital. En situant l’origine du marketing aux débuts de la seconde révolution industrielle ses premiers historiens limitèrent son champ d’application à la gestion de la seule relation entre une offre et une demande dans l’univers marchand. Cet alignement de l’histoire du marketing sur celle de la gestion lui a toutefois peut-être empêché de jouir d’une relative autonomie et d’une vision pluridisciplinaire sur la réalité de son champ d’application4. Un regard plus large semble aujourd’hui souhaitable et il permet de reconsidérer l’écueil d’une datation imposée par la limitation de son champ disciplinaire. D’ailleurs depuis que sa pratique fut enseignée dans les universités américaines à compter du début du XXe siècle puis dans le reste du monde le débat est entier : est-ce une science ou une discipline ?5. Le propos n’est pas de résoudre cette contradiction qui perdure encore et toujours mais bien de chercher à la dépasser. Dans l’hypothèse où la discipline du marketing n’est plus réductible aux seules sciences de la gestion, ses débuts peuvent-ils être recherchés à un moment différent que la seconde révolution industrielle ? Cette perspective différente a été mise à jour par des travaux plus récents sur la consommation de biens d’usages courants et sur celles d’activités dites culturelles6. Ces deux approches récentes permettent de doubler le seul point de vue du producteur industriel endossé de manière traditionnelle par les économistes et les gestionnaires. « Dans un Etat isolé et stationnaire, les besoins égalent les moyens, l’imagination est bornée….Dans l’Etat développé et urbanisé, l’ordre des échanges s’est instauré, la dynamique de toutes les consommations s’anime7 ». 4 Ronald A. Fullerton, « How Modern is Modern Marketing ? Marketing’s Evolution and the Myth of the Production Era », Journal of Marketing 52, N°1, 1988. 5 Isabelle Batch, « L’histoire intellectuelle du marketing : du savoir-faire à la discipline scientifique », Market Management, 2006/2, Volume 2, p 76-108. 6 Luc Marco, « L’arborescence de l’histoire du marketing », Market Management, 2006/2, Volume 2, p 4-19. 7 Daniel Roche, Histoire des choses banales, Naissance de la consommation XVIIe - XIXe, Paris, Fayard, p.247 (2° édition 2007). 3 Th Maillet ––Introduction à l’histoire du marketing – 16/12/10. Une consommation était notable à compter du XVIIe siècle des deux côtés de l’Atlantique. Vue comme une Histoire des choses banales8 en France ou comme le fruit de relations inter-personnelles souvent féminines au cœur de réseaux marchands aux Etats-Unis9 la consommation a bien existé de manière organisée avant la seconde révolution industrielle. Cette organisation pouvait être épisodique en fonction des saisons, dispersée géographiquement car plus présente dans les villes que dans les campagnes ou encore très différente suivant les appartenances sociales, sa réalité n’est plus discutée. Un prestigieux auteur américain évoqua ainsi l’existence de communautés de consommateurs : « certaines habitudes de consommation ont permis l’apparition et la perpétuation de nouvelles communautés invisibles ». Et ajoute « Presque tous les objets, depuis les chapeaux, les vêtements et les chaussures portés par les hommes, jusqu’à leur façon de s’alimenter, sont devenus les symboles et les instruments de ces communautés nouvelles. Les hommes se trouvaient liés désormais moins par ce qu’ils croyaient que par ce qu’ils consommaient »10. Remplacer la croyance par la consommation comme ciment d’une communauté peut paraître excessif bien que ce fût un sentiment fréquent chez certains commentateurs dont l’auteur dans la vague de contestation des années 196011. Néanmoins le propos permet de relier la réalité d’un sentiment de vie en communauté avec la consommation. D’ailleurs bien avant que les biens de consommation ne soient diffusés à grande échelle des évènements culturels mobilisaient un nombre élevé de participants dans les grands centres urbains. Ceux-ci devenaient alors le creuset de nouvelles pratiques émergentes de marketing telles qu’à compter des années 1820 à Paris12. L’histoire du marketing va alors progressivement épouser les changements des sociétés développées, sans jamais les façonner au contraire de l’idée que s’en firent ses pires critiques. L’idée d’échange est généralement acceptée dans un sens plus ou moins large suivant les préférences idéologiques des auteurs sur une échelle qui va d’une compréhension exclusivement utilitariste et marchande à une appréhension sociétale la plus large et dans ce cas la moins commerciale13. Si la majorité des commentateurs s’accorde dorénavant sur la réalité du marketing comme une discipline universitaire à 8 Ibid. 9 E. Hartigan-O’Connor, The ties that buy, women and commerce in revolutionary America, Philadelphia, University of Philadelphia Press, 2009. 10 Daniel J.Boorstin, The Americans : The Democratic Experience, (1973) in Richard Tedlow, L’audace et le marché : l’invention du marketing aux Etats-Unis, Paris, Odile Jacob, 1997. 11 Daniel J.Boorstin, L'Image, ou ce qu'il advint du Rêve américain, Paris, Julliard, Paris, 1963 (1961). 12 Christophe Charle (direction), Le temps des capitales culturelles, Seyssel, Editions Champ Vallon, 2009. 13 Isabelle Batch, « L’histoire intellectuelle du marketing : du savoir-faire à la discipline scientifique », art.cit. 4 Th Maillet ––Introduction à l’histoire du marketing – 16/12/10. part entière, rares sont encore les travaux qui insèrent le marketing dans le temps long des histoires moderne et contemporaine depuis les premières années du XIXe siècle. 1. Les diverses contributions à la construction du marketing « L’histoire du commerce comporte trois éléments : les marchandises, les marchands et les marchés14. Le premier élément conduit à une histoire des flux, le deuxième à une histoire des métiers et le troisième à une histoire des outils». Le commerce a animé les relations humaines depuis l’histoire la plus ancienne et d’aucuns se proposent de puiser à juste titre dans le seul échange marchand l’origine réelle du marketing, quand bien même son terme était aussi inconnu des commerçants du pourtour de la méditerranée que des navigateurs au long cours dans l’Atlantique. Cette vision semble aussi réductrice et les connaissances relatives au commerce et à la gestion ne sont pas suffisantes pour encadrer la discipline nouvelle du marketing mais seulement en constituer un des multiples socles. L’histoire du marketing est ainsi indissociable des deux siècles écoulés et de ses nouvelles disciplines historiques. La matrice de son évolution va croiser de manière dynamique les ingrédients constitutifs les plus marquants de ces deux cent dernières années pour, très souvent, apparaître comme la discipline de la médiation selon la proposition du sociologue Franck Cochoy15. Son approche introduit une dynamique dans le marketing qui lui était jusqu’à présent ignorée. La discipline n’est alors plus considérée strictement comme une technique immédiate de transaction ou d’analyse liée aux échanges entre les organisations et les individus mais au uploads/Marketing/ le-marketing-discipline-de-lacclimatatio-pdf.pdf
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- Publié le Jul 04, 2022
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