JEAN-NOËL KAPFERER LES MARQUES, CAPITAL DE L’ENTREPRISE Créer et développer des
JEAN-NOËL KAPFERER LES MARQUES, CAPITAL DE L’ENTREPRISE Créer et développer des marques fortes Quatrième édition © Groupe Eyrolles, 2007 ISBN : 978-2-212-53908-0 © Groupe Eyrolles Chapitre 2 La logique de marque Qu’est-ce qu’une démarche de marque ? En quoi cela affecte-t-il toutes les fonctions de l’entreprise ? À quoi cela engage-t-il ? Qu’en attendre ? Quels obsta- cles trouve-t-on typiquement pour empê- cher la réalisation pleine de la politique de marque et donc l’obtention de ses fruits ? Maintes entreprises ont oublié le pourquoi de leurs marques. Une attention considérable est portée à l’activité de marquage elle-même, faisant appel aux designers, aux graphistes, aux agences de publicité. Cette activité devient une fin en soi et reçoit l’essentiel de l’attention. Ce faisant, on oublie qu’elle n’est qu’un moyen. On fait du marquage l’apanage exclusif du marketing et de la communication, sous-estimant le rôle des autres fonctions de l’entreprise dans la réussite de la démarche de marque. Or le marquage, s’il est indispensable, est la phase terminale d’un processus, impli- quant et focalisant les ressources de l’entre- prise et toutes ses fonctions au service d’une intention stratégique : créer une différence, seule façon pour l’entreprise de se démar- quer des concurrents, en mobilisant toutes ses sources internes de valeur ajoutée et acquérir une réputation d’excellence sur cette différence, attachée à un nom. QU’EST-CE QUE MARQUER ? Marquer va bien au-delà du seul marquage, ce dernier signalant extérieurement qu’un produit ou service a reçu la marque, l’empreinte d’une organisation. Marquer est une démarche rigoureuse, continue, exigeante, dans le but de créer de la valeur. Nous en détaillons ici les facettes. Marquer c’est transformer la catégorie du produit Différencier l’offre La marque s’inscrit dans une logique de différenciation de l’offre. L’entreprise a l’ambition de mieux coller aux attentes d’une certaine clientèle et se focalise pour lui fournir de façon constante et répétée la combinaison idéale d’attributs tangibles et intangibles, fonctionnels et hédonistes, visibles et invisibles, dans des conditions viables économiquement pour elle-même. L’entreprise veut marquer le secteur de son empreinte, imprimer sa marque au pro- 38 COMPRENDRE LA MARQUE © Groupe Eyrolles duit. Ce n’est pas un hasard si l’équivalent anglais de marque est « brand » : dérivé de brandon, ce mot renvoie à un acte qui pénétrait la chair de l’animal ainsi marqué en même temps qu’il en signalait l’appro- priation. Parler d’un micro-ordinateur Apple c’est en fait dire qu’il y a du Apple dans ce micro-ordinateur. Le premier travail de réflexion sur la marque consiste précisément à définir ce que la marque injecte dans le produit (ou le service), en quoi elle le transforme : • quels attributs s’y matérialisent ? • quels avantages s’y incorporent ? • quels bénéfices s’y déposent ? • quelles obsessions s’y inscrivent ? • quelle mission s’y dessine ? Ce sens profond de la marque est souvent oublié ou volontairement omis. Ainsi, il est fréquent d’entendre dire par certains distributeurs : « Pour nous, la marque c’est secondaire, pas besoin de mettre quelque chose sur le produit. » C’est réduire la marque à la superficie, à l’étiquette : marquer ce n’est pas être dessus, mais dedans. Le produit ou service ainsi augmenté doit bien être signalé si l’on veut qu’il soit repéré par l’acheteur potentiel et si l’entreprise veut récupérer les fruits de sa démarche avant qu’elle ne soit copiée par d’autres, c’est-à- dire les distributeurs eux-mêmes. Il est d’ailleurs hautement significatif que l’objet démarqué conserve une valeur supé- rieure à celle du produit sans marque. Dans une logique assimilant marque à étiquette, à superficialité, il ne devrait plus rien valoir, car il ne porte plus de marque sur lui. Mais il continue de la porter en lui : une marque est passée et l’a transformé intimement. D’où la valeur des Lacoste sans le crocodile, des Adidas sans le trèfle. Elles valent plus que les contrefaçons, car même invisible la marque est présente. Dans la contrefaçon au contraire, bien que visible, la marque est absente. La marque, ordonnatrice du marché Certaines marques témoignent par leur slogan qu’elles ont bien compris cette mis- sion profonde : transformer la catégorie de produit. La marque n’est pas simplement un acteur du marché, elle doit en être un ordonnateur, mû par une vision, une mis- sion, une conception de ce que doit devenir la catégorie. Ainsi en 1993 Candia, marque de lait, catégorie ô combien banalisée, abandonnait sa signature « Candia, rien que toi », nombriliste et gratuite, pour une signature exprimant sa raison d’être profonde : « Candia fait du bien au lait. » Cette signature exprime bien que la mar- que n’est pas le produit, mais une mise à distance par rapport au produit (Attali, 1993). L’erreur eût été d’opter pour des signatures du type « Candia, les bienfaits du lait » où l’apport de la marque à la caté- gorie, sa valeur ajoutée disparaissent. Trop de marques veulent absolument se confon- dre avec la catégorie de produit, croyant ainsi se l’approprier alors qu’en fait elles s’y dissolvent : Frigidaire, Klaxon, Cumulus, Caddie, Scotch, Kleenex sont ainsi devenus des noms génériques. À force d’être « Lesieur, l’huile d’arachide », où est la valeur ajoutée Lesieur ? Carrefour ou La logique de marque 39 © Groupe Eyrolles Casino aussi peuvent promouvoir une huile d’arachide. La transformation de la catégorie selon la mission que la marque se donne passe par une prise de distance par rapport au pro- duit. Concrètement, cela signifie que la marque est faible lorsque le produit est transparent. Parler « d’huile d’olive de Grèce, première pression » par exemple, c’est rendre le produit transparent, prati- quement défini dans son intégralité, et résumé dans ces seuls attributs. Or, il existe des dizaines de marques pouvant mettre sur le marché une telle huile. À l’inverse, il est significatif que le succès de Fruidor s’est accompagné d’une perte de contact avec le produit : l’emballage jaune opaque protège l’huile de la lumière, mais crée structurelle- ment cette distance vitale avec le produit. Le passage du vrac à l’emballage est symp- tomatique aussi de ce phénomène. La faiblesse des marques dans les produits frais sous vide tient pour partie à ce que, pour appâter, leur conditionnement présente par exemple toute la choucroute en bar- quette sous cellophane, recréant de la trans- parence. Dans le marché du verre correcteur, c’est structurellement la cause de la faiblesse de la marque Essilor aux yeux des consommateurs. Ceux-ci ne visualisent pas comment Essilor transforme le produit, son apport, sa valeur ajoutée. Pour eux, du verre c’est du verre auquel on peut, à l’ins- tar de l’automobile, ajouter des options (anti reflet, incassable, etc.). La valeur ajou- tée semble ne résider que dans le style de la monture (d’où la floraison de griffes dans les lunettes) ou dans le service, palpable et tangible au magasin (d’où les réputations d’enseigne telles Afflelou, Krys, Optic 2000). Ce qui est invisible n’est pas perçu, donc n’existe pas à leurs yeux. Néanmoins, l’exemple des eaux minérales est là pour rappeler que l’on peut toujours rendre opaque un produit transparent et ainsi le débanaliser. Les grandes marques d’eau minérale n’ont pu naître, croître et prospé- rer que parce qu’elles ont rendu visible l’invisible. On ne pouvait plus choisir son eau au hasard : l’équilibre et l’innocuité étaient apportés par Évian, la minceur par Contrex et la vitalité par Vittel. La compo- sition différente et invisible de ces eaux fondait ces positionnements. D’une façon générale, tout ce qui complexifie la compo- sition contribue aussi à créer de la distance avec le produit. De ce point de vue, Coca- Cola a raison de maintenir secrète sa composition. La reprise d’Orangina s’est accompagnée d’une recomplexification de l’extrait. Antoine Riboud traduisait la même préoccupation lorsqu’il déclara : « Je ne fabrique pas des yaourts mais des Danone. » La mission de la marque La marque est un point de vue sur la catégorie de produit. Les grandes marques ont plus qu’un positionnement ou une position dominante dans le marché : elles ont une certaine position sur la catégorie de produit. C’est cette position, cette concep- tion, qui donne l’énergie à la marque et nourrit les transformations qu’elle opère sur les produits pour les rendre conformes à son idéal. C’est cette conception qui justifie l’existence de la marque, sa raison 40 COMPRENDRE LA MARQUE © Groupe Eyrolles d’être sur le marché et fournit un fil direc- teur à son évolution dans le temps. Or, combien de marques sont aujourd’hui capables de répondre à la question cruciale suivante : que manquerait-il au marché si nous n’existions pas ? La finalité de l’entre- prise est de générer des profits, des emplois. Mais la mission de marque est d’un autre registre. Trop souvent, l’on confond projet d’entreprise et projet de marque. Le pre- mier aboutit le plus souvent à des truismes du type « mieux satisfaire les clients ». Spé- cifier la mission de la marque consiste à (re)définir la raison d’être de celle-ci, son impérieuse nécessité. La notion de mission de marque est absente de la uploads/Marketing/ les-marques-capital-entreprises.pdf
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- Publié le Nov 23, 2022
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