CONCOURS D’ADMISSION 2020 Tournez la page s.v.p. 10 CONSIGNES Tous les feuillet

CONCOURS D’ADMISSION 2020 Tournez la page s.v.p. 10 CONSIGNES Tous les feuillets doivent être identifiables et paginés par le candidat. Aucun document n’est permis. Le jury tiendra compte de la correction et de l’orthographe. Conformément au règlement du concours, l’usage d’appareils communiquants ou connectés est formellement interdit durant l’épreuve. Ce document est la propriété d’ECRICOME, le candidat est autorisé à le conserver à l’issue de l’épreuve. Le concours ECRICOME PRÉPA est une marque déposée. Toute reproduction du sujet est interdite. Copyright ©ECRICOME - Tous droits réservés prépa Résumé de texte Options Scientifique et Économique Vendredi 17 avril 2020 de 14h00 à 16h00 Durée : 2 heures Candidats bénéficiant de la mesure « Tiers-temps » : 14h20 - 17h00 Consultez les consignes de l’épreuve en page 4. - 2 - Henry David Thoreau est né et mort à Concord (1817‑1862) dans le Massachusetts. Premier paradoxe : celui qui est considéré comme le chantre du nomadisme, l’apologue de l’errance, le poète des dérives indéfinies, des marches fiévreuses et ivres n’a pratiquement jamais quitté sa ville natale. Sa décision de s’installer dans une cabane construite de ses mains – loin de la société, tout proche des énergies du monde, en ne comptant pour vivre que sur son travail manuel, délaissant donc la compagnie des hommes et le chaos des villes, faisant le choix de la « solitude », de la « pauvreté » – dans l’histoire de la pensée a revêtu la dimension d’un geste philosophique : l’initiation à la vraie vie. Thoreau écrit au moment où le capitalisme industriel en Amérique se déploie dans toute sa puissance. Sa vie et son œuvre représentent la tentation du sauvage, la critique de la technique, la dénonciation des aliénations (économiques, sociales, culturelles) et l’appel à revenir à la vie immédiate, ce que Rimbaud appelait la « vigueur ». Il est devenu pour nous l’icône de la rupture, le symbole de la subversion. Pas étonnant que dans le film Le Cercle des poètes disparus le professeur anti-conformiste (John Keating) cite régulièrement devant ses élèves des fragments de Walden ou la vie dans les bois – par exemple : « Je voulais vivre intensément et sucer la moelle de la vie. Et ne pas, quand je viendrai à mourir, découvrir que je n’aurai pas vécu. » Pas étonnant que Christopher McCandless – ce brillant étudiant promis au plus bel avenir professionnel qui décide, une fois son diplôme en poche, de brûler son destin, de tout abandonner et de partir seul sur la route pour sentir le frisson d’une liberté reconquise (son histoire est reprise dans le film Into the wild) – ait été un lecteur assidu de Thoreau, recopiant dans ses carnets la phrase : « C’est dans la Vie sauvage que repose la sauvegarde du monde. » Pour ses contemporains, Thoreau passait avant tout pour un excentrique, un original. Je reviens à cette matinée du mois de juillet 1846. Au centre-ville, avant d’avoir pu récupérer ses chaussures, Thoreau est interpellé par le fils de l’aubergiste, préposé à la collecte d’impôt, qui lui rappelle qu’il doit à l’État, depuis plusieurs années, la taxe de capitation. Thoreau refuse tout net de payer, clamant son indignation de devoir, en réglant ses impôts, soutenir la guerre, qu’il juge injuste, redéclarée au Mexique après l’annexion du Texas, sans parler du scandale absolu que représentait à ses yeux l’esclavage dans les états du Sud. L’agent fiscal se voit, par la loi et ses fonctions, contraint de conduire Thoreau en prison. Il n’y passera qu’une seule nuit, aux côtés d’un codétenu soupçonné d’avoir incendié une grange. Dès le lendemain, un parent (sa mère, sa tante ?) se précipite pour régler les arriérés d’impôts (et même probablement quelques années d’avance), effrayé par le scandale. Thoreau est invité, ce qu’il fait presque de mauvaise grâce, à sortir de sa cellule. Il récupère ses chaussures, puis grimpe sur les collines pour trouver des airelles. La légende veut qu’il ait reçu pendant ce bref séjour derrière les barreaux la visite de son aîné et maître Emerson qui lui aurait demandé : « Mais enfin, que faites‑vous ici ? »; à quoi Thoreau aurait répondu : « C’est moi qui devrais vous poser la question : comment se fait-il que vous ne soyez pas assis à mes côtés ? » L’anecdote est finalement maigrelette, et l’expérience plutôt paisible paraît au bout du compte peu héroïque : pas de maltraitance, une soirée à écouter les bruits de la ville, un compagnon de cellule bien pacifique. De cette nuit passée en prison, Thoreau tirera la matière d’une conférence qu’il prononcera deux ans après les faits, intitulée « Résistance civile au gouvernement » (1848). C’est seulement au moment de sa reprise dans l’édition des Œuvres complètes (1866), après la mort de son auteur donc, que le texte reçoit comme titre « De la désobéissance civile ». Paradoxe donc, quand on sait que cette affaire est régulièrement citée comme le moment d’origine de la désobéissance civile. L’histoire n’a d’une part rien de glorieux ni de dramatique : une petite nuit passée en toute civilité entre quatre murs peints à la chaux, pour six dollars qui seront payés le lendemain par un autre ; d’autre part, quand il l’évoque, Thoreau n’emploie jamais l’expression de désobéissance civile. Alors, ce lien qu’on établit toujours, est-ce de l’imposture, un malentendu, de l’exagération ? Parallèlement, des autorités intellectuelles (Hannah Arendt, John Rawls) affirment que le geste de Thoreau relève uniquement de l’objection de conscience. Si on reprend ce qui a été délimité par les théoriciens politiques comme « désobéissance civile » et qu’on recoupe les analyses, on parvient à peu près à la spécification suivante : la désobéissance civile désigne le mouvement structuré d’un groupe plutôt qu’une contestation personnelle. Elle suppose l’organisation d’un collectif structuré par des règles déterminées de résistance, un credo commun, ordonné à un objectif politique précis : le plus souvent, l’abrogation d’une loi ou d’un décret jugés scandaleux, injustes, intolérables. En revanche, on parlera de dissidence ou d’objection de conscience quand un individu isolé (soit le « lanceur d’alertes ») prend le risque de dénoncer les faillites d’une institution, l’ignominie d’un système. La désobéissance civile suppose au contraire un « désobéir ensemble » qui fait battre le cœur du contrat social, redonne corps, à l’occasion d’une contestation commune, au projet de « faire-société », au-delà des institutions qui s’attachent surtout à se perpétuer elles-mêmes et à pérenniser le confort d’une élite. La contestation commune projette l’ombre du pacte originaire sur une dimension d’avenir : vivre ensemble, mais sur de nouvelles bases, ne pas se laisser gouverner ainsi, ne pas accepter l’inacceptable, réinventer notre avenir. Ce qui fonde le vivre-ensemble, c’est un projet commun d’avenir. Les théoriciens insistent aussi sur la dimension évidemment publique de la désobéissance civile. Il ne s’agit surtout pas de comploter dans l’ombre contre l’État dans le cadre d’organisations secrètes ni de former des groupes d’opposition clandestine pour dynamiter, - 3 - Tournez la page s.v.p. renverser le gouvernement en place, lui substituer d’autres dirigeants, ni de faire avancer secrètement une option politique contre une autre. La désobéissance civile fait de la publicité le ressort de son action : on dénonce l’injustice, on fait éclater aux yeux de tous l’iniquité d’une loi en affichant bruyamment sa désobéissance. Les actes de désobéissance civile s’adressent à l’opinion publique, et plus largement même à la conscience de tous, au sentiment universel de justice. On assure aux actions la publicité maximale pour que l’indignation devienne contagieuse, que le scandale soit partagé. Les actes de désobéissance civile — rappelons-nous la marche du sel de Gandhi — se construisent comme de gigantesques opérations de communication. La transgression est accomplie de manière éclatante et publique, et celui qui désobéit accepte par avance la sanction. Il s’y prépare, il l’anticipe même, l’authenticité de son engagement s’y éprouve. L’emprisonnement, dans le cas de la désobéissance civile, ne signifie pas un moment d’arrêt dans la lutte, mais une intensification supérieure. On peut ajouter encore d’autres critères : le refus de la violence, la référence à des principes supérieurs, le respect de la forme même de la légalité. Retour au texte de Thoreau. Il ne recoupe que partiellement ces déterminations mises au point par H. Arendt, J. Rawls, J. Habermas, R. Dworkin, avant tout parce qu’il est un « essai » : démarche inventive, invitation à transformer soi-même et les autres. Ce texte est avant tout un geste. Il ne s’appuie pas sur le commentaire, ni n’instruit la critique de textes qui le précèdent dans le temps pour construire par différence d’autres concepts et proposer d’autres définitions. Il est un témoignage d’expérience. Il n’est pas né de lectures et n’est pas destiné à entrer dans l’espace feutré d’une bibliothèque pour y prendre indéfiniment écho avec d’autres livres, passés ou à venir. Il incite au contraire à sortir des livres pour se transformer, agir, vivre — il faut passer, disait Thoreau, au moins autant de temps à lire ou écrire qu’à marcher. Ce texte est au sens propre une intervention : il uploads/Philosophie/ 10-p-resume-de-texte-2020.pdf

  • 25
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager