PRÉSENTATION Edgar Morin prône une refonte profonde de l’éducation, centrée sur
PRÉSENTATION Edgar Morin prône une refonte profonde de l’éducation, centrée sur sa mission essentielle telle que l’envisageait Rousseau : enseigner à vivre. Il s’agit de permettre à chacun de s’épanouir individuellement et de vivre solidairement, mais aussi de se préparer aux dangers quotidiens du risque d’erreur et d’illusion, de l’incompréhension d’autrui et de soi-même, d’affronter les incertitudes multiples du destin humain, en somme de le préparer à faire face aux problèmes du “vivre”. Cet opus vient prolonger et développer de façon nouvelle sa réflexion sur la politique de l’éducation effectuée dans ses précédents ouvrages. Edgar Morin est sociologue et philosophe, directeur de recherche émérite au CN RS, président de l’Association pour la pensée complex e. Sa Méthode en six volumes, incontestablement son œ uvre majeure, a été rééditée en 2 0 0 8 (Éditions du Seuil). Auteur de nombreux ouvrages, il est docteur honoris causa dans vingt- sept universités à travers la planè te et ses œ uvres sont traduites dans le monde entier. Dessin de couverture : © David Dellas, 2011 © Actes Sud | Play Bac, 2014 ISBN 978-2-330-03777-2 www.actes-sud.fr DOMAINE DU POSSIBLE La crise profonde que connaissent nos sociétés est patente. Dérèglement écologique, exclusion sociale, exploitation sans limites des ressources naturelles, recherche acharnée et déshumanisante du profit, creusement des inégalités sont au cœur des problématiques contemporaines. Or, partout dans le monde, des hommes et des femmes s’organisent autour d’initiatives originales et innovantes, en vue d’apporter des perspectives nouvelles pour l’avenir. Des solutions existent, des propositions inédites voient le jour aux quatre coins de la planète, souvent à une petite échelle, mais toujours dans le but d’initier un véritable mouvement de transformation des sociétés. ED G AR M O RI N EN S EI G N ER À V I V RE MANIFESTE POUR CHANGER L’ÉDUCATION DO MAI N E DU PO SSI B LE CHAN G ER L' ÉDUCATI O N ACTES SUD | PLAY B AC P RÉF AC E C e livre prolonge une trilogie vouée, non tant à une réforme de notre système d’éducation, mais à son dépassement, terme qui signifie non seulement que ce qui doit être dépassé doit être aussi conservé, mais aussi que tout ce qui doit être conservé doit être revitalisé. Il oblige à repenser non seulement la fonction, je dirais même la mission enseignante, mais aussi ce qui est enseigné. Si enseigner, c’est enseigner à vivre, selon la juste formule de J ean- J acques Rousseau, il est nécessaire de détecter les carences et lacunes de notre enseignement actuel pour affronter des problèmes vitaux comme ceux de l’erreur, de l’illusion, de la partialité, de la compréhension humaine, des incertitudes que rencontre toute existence. Ce nouveau livre ne fait pas que récapituler les idées des précédents, il développe tout ce que signifie enseigner à vivre dans notre temps qui est aussi celui d’Internet, dans notre civilisation où nous sommes si souvent désarmés voire instrumentalisés, dans notre ère à la fois anthropocène du point de vue de l’histoire de la terre, et ère planétaire du point de vue de l’histoire des sociétés humaines. J ’ai entrepris ce travail avec foi et ferveur sous l’impulsion chaleureuse de J érôme Saltet, cofondateur des éditions Play Bac, lui aussi très conscient de la partie anthropologique qui se joue dans l’éducation, et avec la conscience encouragée de savoir que ce livre est le premier d’une série d’ouvrages intitulée Changer l’éducation, à paraître dans la collection Domaine du Possible d’Actes Sud, vouée à la repensée et au traitement de tous les divers et multiples problèmes qui affectent notre système éducatif. J e remercie J ean- Paul Capitani et Françoise Nyssen, qui m’ont permis d’ouvrir cette collection. J e remercie J ean-Paul Dussausse, Didier Moreau, J ean- François Sabouret qui lancent dans le désert français la Fondation Edgar-Morin des savoirs. J e remercie mes fidèles amis qui m’accompagnent sur le chemin non tracé d’avance qui est le mien (caminante no hay camino, camino se hace al andar) J ean-Louis Le Moigne, Mauro Ceruti, Sabah Abouessalam, Gianluca Bocchi, Sergio Manghi, Oscar Nikolaus, Pascal Roggero, Nelson Vallejo, Alfredo Pena Vega, Ceiça Almeida, Emilio Roger Ciurana, Ana Sanchez, Claudia Fadel, Teresa Salinas, Ruben Reynaga, Carlos Delgado et pardon à ceux que j’oublie. J e remercie encore une fois celle dont l’amour, le cœur et le courage me donnent ardeur de vivre, sans qui j’aurais failli ou défailli, ma compagne de vie et épouse Sabah Abouessalam. E.M. Lions inséparablement la formule de Hans J onas sur la planète dégradée que nous laisserons à nos enfants et la formule de J aime Semprun s’inquiétant des carences de notre éducation : Q uelle planè te allons- nous laisser à nos enfants1 ? HANS J ONAS À quels enfants allons- nous laisser le monde2 ? J AIME SEMPRUN 1 Hans J onas, Le Principe de responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, © Éditions du Cerf, 1990. Traduit de l’allemand par J ean Greisch. 2 J aime Semprun, L’abî me se repeuple, © Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 1997. I V I V RE ! 1. Q u’est- ce que v iv re ? Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard. ARAGON1 J ean-J acques Rousseau a formulé le sens de l’éducation dans l’Émile où l’éducateur dit de son élève : “Vivre est le métier que je lui veux apprendre2.” La formule est excessive, car on peut seulement aider à apprendre à vivre. Vivre s’apprend par ses propres expériences avec l’aide d’abord des parents, puis des éducateurs, mais aussi par les livres, la poésie, les rencontres. Vivre, c’est vivre en tant qu’individu affrontant les problèmes de sa vie personnelle, c’est vivre en tant que citoyen de sa nation, c’est vivre aussi dans son appartenance à l’humain. Bien sû r, lire, écrire, compter sont nécessaires au vivre. L’enseignement de la littérature, de l’histoire, des mathématiques, des sciences, contribue à l’insertion dans la vie sociale ; l’enseignement de la littérature est d’autant plus utile qu’il développe en même temps sensibilité et connaissance ; l’enseignement de la philosophie stimule en chaque esprit réceptif la capacité réflexive, et bien sû r, les enseignements spécialisés sont nécessaires à la vie professionnelle. Mais il manque de plus en plus la possibilité d’affronter les problèmes fondamentaux et globaux de l’individu, du citoyen, de l’être humain. Vivre est une aventure. Chaque être humain, dès l’enfance, dès l’école, à l’adolescence, âge des grandes aspirations et des grandes révoltes, au moment de faire des grands choix de vie, amour, famille, travail, et à tout âge et jusqu’à la fin de vie, rencontre le risque d’erreur et d’illusion, de connaissance partielle ou partiale. L’école et l’université enseignent des connaissances, mais non la nature de la connaissance qui porte en elle-même le risque d’erreur et d’illusion, car toute connaissance, à commencer par la connaissance perceptive jusqu’à la connaissance par mots, idées, théories, croyances, est à la fois une traduction et une reconstruction du réel. Dans toute traduction il y a risque d’erreur (traduttore traditore) ainsi que dans toute reconstruction. Nous sommes sans cesse menacés de nous tromper sans le savoir. Nous sommes condamnés à l’interprétation, et nous avons besoin de méthodes pour que nos perceptions, idées, visions du monde soient les plus fiables possibles. Du reste quand nous considérons les certitudes, y compris scientifiques, des siècles passés et quand nous considérons les certitudes du XXe siècle, nous voyons erreurs et illusions dont nous nous croyons guéris. Mais rien ne dit que nous sommes immunisés de nouvelles certitudes vaines, de nouvelles erreurs et illusions indétectées. De plus, la raréfaction de la reconnaissance des problèmes complexes, la surabondance des savoirs séparés et dispersés, partiaux et partiels dont la dispersion et la partialité sont elles-mêmes sources d’erreur, tout cela nous confirme qu’un problème clé de notre vie d’individu, de citoyen, d’être humain à l’ère planétaire, est celui de la connaissance. Partout on enseigne des connaissances, nulle part on n’enseigne ce qu’est la connaissance alors que de plus en plus d’investigations commencent à pénétrer dans cette zone mystérieuse entre toutes, celle du cerveau/ esprit humain. D’où la nécessité vitale d’introduire, dès les premières classes jusqu’à l’université incluse, la connaissance de la connaissance. Du coup, enseigner à vivre n’est pas seulement enseigner à lire, écrire, compter, ni seulement enseigner les connaissances basiques utiles de l’histoire, de la géographie, des sciences sociales, des sciences naturelles. Ce n’est pas se concentrer sur les savoirs quantitatifs ni privilégier les formations professionnelles spécialisées, c’est introduire une culture de base qui comporte la connaissance de la connaissance. La question de la vérité, qui est celle de l’erreur, m’a poursuivi de façon particulière dès les débuts de l’adolescence. J e n’héritais pas d’une culture transmise par ma famille. Dès lors les idées opposées avaient pour moi chacune quelque chose de convaincant. Faut-il réformer ou révolutionner la société ? La réforme me semblait plus pacifique et humaine mais insuffisante, la révolution plus radicalement transformatrice, mais dangereuse. Il me semblait au début de la guerre être totalement immunisé à l’égard de l’Union soviétique, c’est-à-dire du uploads/Philosophie/ 4-5857207859749587144.pdf
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- Publié le Aoû 20, 2022
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