19 Identité, dénomination et développement durable Par Farid BENRAMDANE Univers

19 Identité, dénomination et développement durable Par Farid BENRAMDANE Université de Mostaganem (Algérie) fbenramdane2@yahoo.fr Nous proposons d’intervenir sur la dénomination et le développement durable, et à propos de ces grands mouvements de contacts et de métissages culturels et symboliques cristallisés dans les noms propres de lieux, de peuplement et de personnes. S’il y a bien un domaine où les transactions linguistiques et inter- linguistiques recèlent une dimension linguistique et socio-anthropologique évidente, c’est bien celui de la dénomination. Sa problématique dépasse le cadre d’une aire géographique, d’une religion, d’une langue ou famille de langues. La densité des relations historiques et culturelles entre l’Afrique, du Nord et du Sud, et le monde occidental et oriental a tissé, du point de vue diachronique, un usage onomastique, dont la conception est sous-entendue, non pas par l’antinomie des domaines qui caractérise le conflit linguistique, mais par une même représentation mentale, comme les pôles d’une même vérité, dont se réclamaient aussi bien les Orientaux que les Occidentaux1, et quand bien même des contextes historiques belliqueux « intensifs » ont produit une distanciation étrange et étrangère à ces grandes dynamiques de métissages culturels et linguistiques véhiculées par les noms propres. Si l’objectif du concept de « développement durable » est de réconcilier le développement économique et social, la protection de l’environnement et la conservation des ressources naturelles, le volet linguistique de l’environnement humain, dans ses fonctions économiques, mais aussi et surtout dans sa dimension culturelle, doit rejoindre le lieu de la revendication du patrimoine commun immatériel dans l’espace francophone et universel. 1. Dénomination et plurilinguisme Nous soumettons à notre réflexion, dès lors, telle que l’énonce la problématique de ce colloque, les conceptions, les enjeux, les actions liés à la diversité linguistique et culturelle en francophonie et leurs implications sur le développement durable dans nos sociétés, à partir d’un questionnement, en somme tout légitime, sur la réalité ou le degré de réalité d’une modalité linguistique précise (la dé/nomination) qui, pour le moins qu’on puisse dire, relève d’une approche à la fois plurilingue et dialectologique. Il n’est pas exagéré de dire que, eu égard à ses ancrages territoriaux et à sa diversité référentielle culturelle, l’onomastique (noms propres) est à l’extrême bout des usages linguistiques, d’où cette précaution méthodologique de questionner l’interrogation elle-même sur la pertinence de l’objet que nous estimons analyser, d’examiner et de caractériser la position du problème. Il faut encore interroger les concepts usités, leurs ancrages de type anthropologique et leur relative temporalité, et se poser la difficulté de restituer à travers eux un temps spécifiquement historique, à l’effet de réunir deux domaines de connaissance et d’intervention : le développement durable et la dé/nomination, un domaine, pour reprendre la réflexion de Siblot, « Où il n’existe ni données pures, ni données parfaitement objectives. Seul l’examen du cadre épistémologique limite le risque de confusion entre données perceptives et données du problème » 2. Il n’est pas inutile de dire, comme nous l’avons déjà énoncé dans un autre cadre de la francophonie3, que de toute la documentation produite dans le cadre de la francophonie et de son rapport au monde arabe, il n’y a 1 Lire notre article « Arabe - français / Français – arabe et question d’onomastique », in Français/arabe, arabe/français : plurilinguisme et question d’onomastique, colloque international organisé par le ministère des Affaires étrangères (France) et l’Institut du monde Arabe, Paris 13 et 14 Novembre 2003. Beaucoup de noms de la Bible, les principaux, sont usités aussi bien par les Chrétiens, les Musulmans que les Juifs. Elisée/Elyas, Jean/Yahya, Noémie/Naïma, Zacharie/Zakariya, Sadok/Sadek, Anne/Hanna. Il n’est pas inutile de rappeler que les noms d’origine biblique étaient usités en Afrique du Nord avant l’arrivée des Arabes, par le biais du judaïsme et du christianisme. 2 SIBLOT P., Appeler les choses par leur nom. Problématique du nom, de la nomination et des renominations. in Noms et re-noms. La dénomination des personnes, des populations, des langues et des territoires, sous la direction de Salih Akin, Collection Dyalang, publications de l’Université de Rouen-CNRS, 1999, p.14. 3 Colloque international « Arabe/Français, Français/ Arabe. Construire ensemble dans une perspective plurilingue » organisé par le Ministère des Affaires Etrangères (France) et l’Institut du Monde Arabe. Paris 13 et 14 Novembre 2003. 20 aucune trace, dans l’état actuel de nos lectures, d’onomastique, aussi bien dans ses deux domaines de prédilection majeures que sont, de manière générale, la toponymie (noms de lieux) et l’anthroponymie (noms de personnes), que d’autres formes de nomination (noms de produits, noms de marques, titres de films, de chansons, etc.) 4. Cependant, le regard de l’analyste sur les faits ne cadre pas avec la forme et les représentations des phénomènes collectifs, n’existant ni à l’état pur, ni en termes totalement objectifs : la situation d’extrême diversité linguistique et de différenciation en onomastique semble poser problème. 2. Dénomination et mondialisation Deux ensembles d’hypothèses peuvent aiguiller notre réflexion : la première hypothèse est que nous fonctionnons toujours à l’intérieur d’une forme de matrice universelle uniforme induite par une démarche volontaire de type essentialiste liée à des facteurs mondiaux de normalisation des pratiques, d’optimisation des échanges, d’évolution des services et des réseaux, lesquels facteurs sont tellement abstraits qu’on ne les voit plus ; ils deviennent invisibles, s’installent dans la durée, et par conséquent s’érigent comme l’évidence. La deuxième hypothèse est liée aux représentations mentales et au mode de conceptualisation des faits de culture et de langue. Pour reprendre Gruzinsky, il n’est pas exagéré de dire qu’on « se heurte à la rigidité de nos catégories, mais aussi de notre conception courante du temps, de l’ordre et de la causalité »5. Aussi, avons-nous intérêt, dans le cadre du développement durable, à prendre en charge cette diversité et à observer ses diverses formes d’expression, articulation et production de sens. Il importe, par conséquent, de distinguer les règles de production, de réception, de compréhension du nom propre et de s’imprégner de ses ancrages géographiques, historiques, culturels, sociaux et idéologiques, quand bien même le sémantisme des vocables échappe aux « locuteurs – universels » et même, parfois, aux usagers eux-mêmes.6 A cet égard, il faut, nous semble-t-il, inverser la perception des choses et la perspective de travail en considérant l’hétérogénéité comme étant la norme, et la singularité − l’infiniment petit − des formes d’expression linguistique et inter-linguistique comme étant le prélude à l’universalité. Pour Gruzinsky, les phénomènes de mélange et de rejet » que nous observons à présent partout à l’échelle du globe n’ont plus guère la nouveauté qu’on leur prête habituellement. Dès la Renaissance, l’expansion occidentale n’a cessé de susciter des métissages aux quatre coins du monde et des réactions de rejet, dont la fermeture du Japon, au début du XVIe°siècle, un siècle qui, vu d’Europe, d’Amérique ou d’Asie, fut, par excellence, le siècle ibérique, comme le nôtre est devenu le siècle américain »7. Les actions, dès lors, sur la diversité culturelle et linguistique et sur sa mise en œuvre dans le contexte de mondialisation relèvent de l’évolution actuelle du marché des concepts et de leurs adoptions par la communauté internationale : » Cet idiome planétaire est aussi l’expression d’une rhétorique plus élaborée qui se veut post-moderne ou post-coloniale, où l’hybride permettrait de s’émanciper d’une modernité condamnée parce qu’elle est occidentale et unidimensionnelle. Ses porte-paroles repèrent dans des espaces intermédiaires situés entre l’Occident et ses anciennes possessions l’émergence de cadres conceptuels hybrides » Comme processus permanent, la dénomination des lieux, des personnes, des groupes et établissements humains, des entités culturelles et linguistiques est l’expression, puis la verbalisation, dans un contexte plus général, de « restructurations géopolitiques et de repositionnements identitaires dans lesquels les noms interviennent en étant de puissants moyens d’identification et de reconnaissance sociale » 8. 4 Excepté le remarquable travail réalisé, depuis quelques années, par la Commission nationale de toponymie sur la base de données des exonymes français dans le cadre de la division francophone du GENUG (ONU). Travail sur lequel nous insisterons plus bas. 5 GRUZINSKI (Serge), La Pensée métissée. Ed. Fayard, Paris, 1999, p.12 6 Il est très intéressant d’observer la catégorisation théorique en toponymie élaborée par Albert Dauzat et d’autres spécialistes dans la sphère culturelle occidentale, et son degré d’opérationnalité dans une société à tradition orale, où les usagers ont opposé et opposent toujours leurs propres stratégies de verbalisation identitaire. DAUZAT (A.), Les noms de lieux. Origine et évolution (1957). La toponymie française (1939). 7 GRUZINSKI (Serge), La Pensée métissée. Ed. Fayard, Paris 1999, p.12 8 SIBLOT P., Appeler les choses par leur nom. Problématique du nom, de la nomination et des renominations. In Noms et re-noms : la dénomination des personnes, des populations, des langues et des territoires. Sous la direction de Salih Akin. Collection Dyalang. Publications de l’Université de Rouen. CNRS, 1999, p.12 21 S’il y a bien un domaine de la vie culturelle qui ne peut être appréhendé de manière essentialiste ou carrément fonctionnaliste, et qui est pourtant une des voies d’accès au plurilinguisme et à la diversité dans ses dimensions culturelles et interculturelles les plus fécondes, c’est bien celui de l’environnement, mais dans son volet linguistique, c’est-à-dire toponymique et même uploads/Philosophie/ identite-denomination-et-developpement-durable.pdf

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