Doxographies et manuels dans la formation philosophique de saint Augustin « Mul

Doxographies et manuels dans la formation philosophique de saint Augustin « Multa philosophorum, legeram, memoriaeque mandata retinebam... » (Com /., V, 3, 3). Cette phrase des Confessions n’a pas obtenu des historiens, l’attention qu'elle méritait1 . Augustin l’écrit au moment où il expose l’évolution intellectuelle de sa vingt-neuvième année. Adepte des Manichéens depuis huit ans environ, il se sent de plus en plus mal à l’aise dans les doctrines de la secte, à mesure que s’affirme sa personnalité intellectuelle. La décep­ tion des entretiens avec Fautus va donner le coup de grâce à ses convic­ tions. C’est que, depuis la lecture de YHortensius, qui date maintenant de dix ans, il s’est intéressé aux opinions des philosophes ; une compa­ raison s'est dès lors établie dans son esprit entre leurs positions et celles du Manichéisme, au net désavantage de celui-ci : Comme j’avais fait de nombreuses lectures sur les philosophes et les conservais en mémoire, je comparais certaines de leurs doctrines avec ces interminables fictions des Manichéens, et je trouvais plus de proba­ bilité aux affirmations de ceux dont l’ intelligence fut assez puissante pour mesurer le cours du monde, malgré l’ignorance de celui qui en est le Seigneur (Com/., V, 3, 3, Labr., p. 94, trad, retouchée). De quels philosophes s’agit-il et quel était l’objet de ces lectures soigneu­ sement retenues ? A cette question une première réponse est fournie 1. P. A l f a r iC , L'évolution intellectuelle de saint Augustin, I. Du Manichéisme au Néoplato­ nisme, Paris, Nourry, 1918, p. 231, cite ce texte et ajoute : « On aurait tort pourtant de prendre cette déclaration à la lettre et d’en conclure qu’il s’ était familiarisé avec tous les grands penseurs de l’antiquité classique * . P. Alfaric a raison dans ce sens, mais cela ne veut pas dire qu’Augustin ignorait tout de ces grands penseurs. Sauf distraction de notre part, ce passage n’ a pas été signalé par H.-I. M a r r o u, Saint Augustin et la fin de la culture antique, Paris, de Boccard, 1938. pas plus que dans la « Retractatio » parue en 1949 chez le même éditeur. S A IM É SOLIGNAC par le contexte : Augustin s’est particulièrement intéressé aux recherches sur le cours des astres, leurs éclipses et la prévision de ces éclipses. L’exac­ titude de ces calculs, bien antérieurs à l’événement, atteste que leurs auteurs ont réellement atteint le nombre qui mesure l’univers, bien qu’ils soient restés dans l’ignorance du Verbe par lequel le Père a créé toutes choses qu’ils nombrent et eux-mêmes qui nombrent (Conf., v, 3, 4-5, Labr., p. 94-95). Philosophes est donc l’équivalent de savants ; ailleurs Augustin parlera des mathematici-, Il convient pourtant de ne pas trop restreindre le sens du mot « philosophorum » . Si Augustin pense ici plus spécialement aux astronomes, c'est sans doute que la certitude de leur science accentue le contraste avec les rêveries manichéennes. Lui qui possède un sens si aigu de la précision des mots entend bien celui de philosophe dans sa signification habituelle. Il importe donc de rechercher dans quelle mesure ses ouvrages, et tout particulièrement ceux de la première époque, portent la trace de lectures philosophiques antérieures qu’il serait utile de déterminer avec précision. Disons tout de suite que cette recherche se révèle malaisée. Double est la raison de cette difficulté : la multiplicité des sources d’abord et leur mauvais état de conservation ; la méthode de travail et de réflexion d’Augustin ensuite. Sur ce dernier point, on nous permettra d’insister. Tous ceux qui se sont livrés à la Quellen/orschung augustinienne, quelles que soient leurs intentions au départ et la rigueur plus ou moins scientifique de leur méthode, parviennent aux mêmes résultats, même s’ils ne le notent pas expressément : c’est que. mis à part quelques cita­ tions explicites, les « sources » signalées s’appuient toujours sur des rapprochements textuels d'une extrême brièveté : une incise, une formule, un ternie technique2 3. Ces parallèles sont d’ailleurs rarement concluants parce qu’ils laissent possibles d’autres rapprochements également auto­ risés. Et lorsque, par exception, on se trouve en présence d’emprunts plus larges, le texte source est utilisé avec beaucoup de liberté, vraiment « recomposé » . Ces diverses constatations conduisent à mettre en relief le caractère personnel des rédactions d’Augustin. Doué d’un esprit méditatif et original, d’une mémoire qui retient en égale proportion les mots et les idées, d’une expression précise, nuancée et variée, il ne retrans­ crit jamais sa source ; on peut rarement affirmer qu'il a sous les yeux les j 1 4 (2) /)'• divertis quacstionibiis LXXX1ITf q. 46 , P.L,., 40, 28-29. (3) C’est ce qui me paraît résulter des études récentes sur ce sujet : P. Hen r y, La vision d'Ostic, Paris, Vrin, 1938 ; P. C our cki.l e, Recherches sur les Confessions de saint Augustin, Paris, de Boccard, 1930 ; J. Pépin . « Primitiac spirims »... dans Revue de V Histoire des religions, t. CXI. (1051), p. 155-201, etc... Sur ce sujet, on doit lire aussi L a communication d’A . M a ndouze au Cône rés aueustinien de 1954 • L'extase d'Ostie, possibilités e * . limites de la méthode des paral­ lèles U viucis, dans Auguslinus Mugister I, p. 6/-8a. Nous avons touché pl» sieurs fois cette question clans notre étude sur les travaux de ce Congrès parue dans Archives de Philosophie, t. XIX. nouvelle série cahier I (10^5). p. 88 ss. écrits dont il s’inspire, sauf quand il le dit ou le laisse entendre. A la rigueur, comme l’a suggéré M . Mandouze, on pourrait cesser de parler de « sources » et préférer le terme « réminiscences » ; nous n’irons pas pourtant dans cette voie : il nous semble meilleur de conserver le mot « sources » , à condition d’en assouplir la signification selon les réserves que nous venons d’énoncer. Le propos de la présente étude est d’ailleurs limité. Après avoir recher­ ché les traces des doxographies et informations d’origine cicéronienne, varonienne et pythagoricienne dans les premiers écrits, nous tenterons une analyse précise du document doxographique qui figure au livre VIII du De Civitate Dei. DOXOGRAPHIES E T MANUELS CHEZ S. AUGUSTIN II5 § 1. DOXOGRAPHIES ET RÉSUMÉS HISTORIQUES CICÉRONIENS Augustin avait d’abord à sa disposition les nombreux passages doxo- graphiques transmis par les écrits de Cicéron. Il pouvait ainsi lire dans le Lucullus (36, 116 sv.) un rapide exposé des positions sur les trois parties de la philosophie : physique (principes constitutifs des choses), morale (principes du souverain bien), dialectique (critères de la vérité) ; dans le De finibus (V, 6, 16-8, 23) un développement sur le souverain bien ; dans les Tusculanes (I, 9, 18-11, 22) une revue des diverses opinions sur la mort et la nature de l’âme humaine ; dans le De natura deorum (I, 10, 25-15, 41) une longue énumération des doctrines des grands philosophes sur les principes et la nature de la divinité4. En plus des doxographies, Cicéron lui offrait encore une série de rensei­ gnements historiques sur lesquels aucune étude d’ensemble n’a été publiée jusqu’ici, du moins à notre connaissance. La source de ces informations est à chercher dans les Successions de Sotion, contemporain de Chrysippe : c’est par cet auteur ou par un des résumés qui en furent composés dans 4. Ou trouvera un excellent relevé des textes doxographiques cicéroniens, avec une étude critique qui résume les travaux antérieurs dans A. D. Fest ugiêr e, La révélation d'Hermès Trismégiste, II. Le Dieu cosmique, Paris, Lecoffre-Gabalda, 1949, p. 350-369, et aussi t. III. Les doctrines de l'âme, même éditeur, 1953, Appendice I, § VI, p. 261-262. A ce relevé du R. P. Festugière, il convient encore d’ ajouter : De divin. 1, 3, 5-6 sur la possibilité de la divination, qui dépend sans doute d’un ouvrage du même nom de Posidonius ; De fato, 17, 39-18, 42 qui montre comment Chrysippe a choisi une voie moyenne entre les philosophes qui soumettaient toutes closes au destin (Démocrite, Héradite, Empédode, Aristote) et ceux qui soustrayaient à la fatalité les mouvements volontaires de l’âme (aucun nom 1 1 ’est id donné, mais Cicéron songe certainement aux Platoniciens) ; enfin, après le ch. xxxvi du livre I De republica se situait certainement une doxographie sur le gouvernement du monde qui a été transmise par I .a c tan ce, Epit., IV, 3 et plus longuement Inst, div., I, 2,3,5 (Platon, Aristote, Antisthênc, Thalès, Pytlia- gore, Anaximène, Cléanthe, Zénon, Chrysippe). ix6 A IM É SO LIGNAC la suite que Cicéron semble avoir connu de façon assez remarquable les événements marquants de la vie des philosophes et surtout leurs influences réciproques. D’autres détails, d’ordre chronologique, viennent de la Chronique d’Apollodore, qui fut écrite vers 144 avant Jésus-Christ5 6 . Sans prétendre à une énumération complète, voici une première liste des passages de ce genre : — Répuhl. I, X : objet de la philosophie selon Socrate ; influence conjuguée de Socrate et des Pythagoriciens sur Platon. II, XV : dates uploads/Philosophie/ a-solignac-quot-doxographies-et-manuels-dans-la-formation-de-augustin-x27.pdf

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