1 Paru dans Pratiques n°129-130, juin 2006, pages 21-34 Texte, contexte et disc
1 Paru dans Pratiques n°129-130, juin 2006, pages 21-34 Texte, contexte et discours en questions. Réponses de Jean-Michel Adam Q1 De quel(s) côté(s) du ou des définitions du « contexte » proposées par Catherine Kerbrat-Orecchioni et Georges Kleiber vous situez-vous en tant que spécialiste du texte et/ou du discours ? Et question annexe à J.-M. Adam : maintenez-vous ou non l’équation « discours = texte – contexte » ? 1.1. « En contexte vs hors contexte » ? Avant de répondre et en préalable à tout ce qui suit, je dois dire clairement que le concept de contexte me pose un problème majeur : une science du contexte est, à mes yeux, tout simplement impossible. J’ai parfois l’impression qu’en reposant la question du contexte, nous rêvons de rendre ce dernier manipulable. Par mesure de prudence, je dirai donc que nous ne pouvons donner que des définitions relatives à un cadre théorique et méthodologique limité. Procéder par couples de concepts comme le propose Pratiques est à comprendre comme un essai de théorisation partielle du concept de contexte, au sein de ce que j’appellerai un système de concepts. C’est à cette réflexion que je me suis employé, en essayant de démêler pas à pas l’écheveau de concepts que les questions de Guy Achard-Bayle mettaient en avant. Ainsi la première question me gêne car j’ai envie de répondre en deux mots : on est toujours « en contexte ». Quand on travaille sur des énoncés, on ne peut travailler « hors contexte » que si on se donne la phrase syntaxiquement définie pour objet ou le phonème phonologiquement délimité. Mais dans ce cas, le système même de la langue considérée n’est-il pas le « contexte » de l’unité (phonèmes ou trait phonologiques, unités morpho-syntaxiques) ? Cependant, je sais bien que, sous la question posée, il y a cette forte interrogation des frontières qui séparent texte et contexte comme interne/externe, texte/discours, co-texte/situation d’énonciation, bref monde des textes/monde social, et au-delà : explication de texte et histoire littéraire, linguistique structurale et socio- linguistique, formalistes et marxistes, etc. Pour répondre donc honnêtement aux 2 présupposés de l’enquête de Pratiques, je dirai donc qu’une partie de mes travaux1 se situe dans le champ restreint (« hors contexte ») de la linguistique transphrastique que je distingue du champ plus large de l’analyse textuelle des discours dans mon dernier livre (Adam 2005a). Étudier des phénomènes transphrastiques, c’est nécessairement travailler « en contexte », mais je crois préférable de commencer par remplacer contexte par co-texte, pour désigner la portée à gauche ou à droite d’unités linguistiques comme les connecteurs argumentatifs, les organisateurs textuels et autres marqueurs de prise en charge énonciative (ou point de vue d’un énonciateur). Des énoncés peuvent être décrits « hors contexte », c’est-à-dire mis en relation avec le système d’une langue donnée. Des textes peuvent également être étudiés en eux-mêmes et pour eux-mêmes. L’intérêt de cette façon de procéder « hors contexte » réside dans la volonté d’essayer de décrire un énoncé ou un texte le plus méthodiquement possible, en le considérant comme une forme-sens structurée. On peut décrire la dernière phrase de Nadja de Breton : « La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas » comme une phrase française assertive. La graphie de « convulsive » en majuscules ne gênera pas beaucoup l’analyse morpho-syntaxique ou lexico-sémantique, elle sera tout simplement narcotisée. On peut même entreprendre une description illocutoire de cette assertion et souligner que, pragmatiquement, l’emploi du futur déclenche un acte prédictif qui fait de cet énoncé plus qu’une phrase de la langue, un énoncé dogmatique d’ailleurs détaché typographiquement du corps de la fin de Nadja, en position de clausule. Mais ces dernières remarques inscrivent la phrase dans le co(n)texte du livre de Breton et ne sont donc déjà plus « hors contexte ». On peut utilement décrire le fonctionnement des majuscules ou d’un adjectif dans l’édition Barbin 1697 des Fées de Perrault et en découvrir ainsi la systématique, liée à la progression de l’histoire et à l’opposition des deux sœurs. Cette démarche structurale permet de distinguer le 1 Je renvoie pour une synthèse sur les travaux actuels de Teun van Dijk sur les « modèles de contexte » et l’idée d’« interface cognitive » très proche de ma position à la synthèse de Raphaël Micheli dans le dernier numéro de Semen (n° 21, avril 2006) 3 système des mêmes unités dans le texte des Fées du manuscrit de 1695 ou dans un autre conte. Ce moment descriptif « hors contexte » de l’analyse d’un texte ou d’un énoncé est un moment que je ne renierai pas sous prétexte qu’il n’est plus à la mode ou politiquement correct de parler de structure… Un texte est pourtant une unité qui fait sens comme forme à condition d’en percevoir la structure systémique. C’est tout le problème que pose une « mauvaise » traduction : le mauvais traducteur peut avoir une mauvaise connaissance du système de la langue de départ et/ou de celui de la langue d’arrivée, mais il est encore plus fréquent que la cohérence systémique du texte à traduire lui échappant sa traduction ne reflète pas des choix cohérents respectant la systémique du texte ou en proposant une nouvelle. Un traducteur mauvais, pressé ou distrait ne traduit que des mots, voire des phrases, mais pas un texte. C’est cette absence de « poétique » que dénonce avec force Henri Meschonnic : « Le principe poétique est celui qui fait du texte entier comme discours, historicité et subjectivité indissociables, l’unité » (1999 : 335). Dit autrement : « L’unité n’est pas le mot, mais le texte » (id.). Je dirai que le moment herméneutique de la compréhension d’un texte comme forme-sens ne va pas sans une prise en compte de sa texticité : il n’y a effet de texte (texticité) que si un lecteur éprouve un sentiment d’unité cohésive et cohérente entre des énoncés co-textuels (je parle, à ce propos, de forces centripètes dans Adam 2005a). La première contextualisation est donc celle du texte comme unité co-textuelle d’énoncés. 1.2. « Discours = contexte + texte » ? Pour aborder le concept de contexte, je dois repartir de la malheureuse reprise (Adam 1990 : 23 & 1999 : 39) de la formule Discours = Texte + Contexte/conditions de production et de réception-interprétation et de son symétrique Texte = Discours – Contexte/conditions de production. Cette formule, en hésitant entre contexte et conditions de production du discours, a manifestement son origine dans l’Analyse de Discours française des années 1960-80. Je dirai donc qu’il faut aujourd’hui l’écarter pour deux raisons. D’abord parce qu’elle laisse 4 entendre une opposition et une complémentarité des concepts de texte et de discours alors qu’il s’agit de dire que ces deux concepts se chevauchent et se recoupent avant tout en fonction de la perspective d’analyse choisie. Ensuite parce qu’il faut tenir compte de ce que Jacques Guilhaumou (1993 & 2002 : 32) décrit comme le passage d’une conception sociolinguistique de l’AD à sa redéfinition comme « discipline herméneutique à part entière ». Ce tournant herméneutique et plus largement d’ouverture de la linguistique à l’interprétation (Cossutta 2004) ne semble possible qu’à condition de commencer par « récuser la notion de conditions de production, et son corollaire, la situation de communication, en situant les sources interprétatives des textes en leur sein » (Guilhaumou 2002 : 32). Pour avancer dans ce sens, il est nécessaire de repartir du fait que l’on confond trop souvent le contexte comme « éléments qui complètent ou qui assurent l’interprétation globale d’un énoncé »!Erreur de syntaxe, « et « les sites d’où proviennent, soit directement, soit indirectement, c’est-à-dire par inférence, ces éléments »!Erreur de syntaxe, « (Kleiber 1994 : 14). Se mêlent alors les données de l’environnement linguistique immédiat (pour moi co-textuelles) et les données de la situation extralinguistique. Il ne faut pas oublier que nous n’avons pas accès au contexte comme donnée extralinguistique objective, mais seulement à des (re)constructions par des sujets parlants et/ou par des analystes (sociologues, historiens, témoins, philologues ou herméneutes). Les informations du contexte sont traitées sur la base des connaissances encyclopédiques des sujets, de leurs préconstruits culturels et autres lieux communs argumentatifs. D’un point de vue linguistique, nous pouvons, dire que le contexte entre dans la construction du sens des énoncés. En effet, tout énoncé, aussi bref ou complexe soit-il, a toujours besoin d’un co(n)texte. Les phrases hors co(n)texte des livres de grammaire, de syntaxe, de sémantique voire même de pragmatique deviennent des énoncés interprétables en faisant appel à un co(n)texte par défaut (Kleiber 1994 : 16). J’écris « co(n)texte » pour bien dire que l’interprétation d’énoncés isolés porte autant sur la (re)construction d’énoncés à gauche et/ou à droite (co-texte) que sur l’opération 5 de contextualisation qui consiste à imaginer une situation d’énonciation qui rende possible l’énoncé considéré. Cette (re)construction d’un co(n)texte pertinent part économiquement du plus directement accessible : le co-texte verbal et/ou le contexte situationnel de l’interaction. Si, dans une interaction orale, il peut y avoir concurrence entre co-texte et contexte de l’énonciation, à l’écrit, le uploads/Philosophie/ adam-j-m-texte-contexte-et-discours-en-questions.pdf
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- Publié le Fev 03, 2022
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