Monsieur Djibril Agne Le démon de Socrate. Un masque de liberté In: Dialogues d

Monsieur Djibril Agne Le démon de Socrate. Un masque de liberté In: Dialogues d'histoire ancienne. Vol. 19 N°1, 1993. pp. 275-285. Citer ce document / Cite this document : Agne Djibril. Le démon de Socrate. Un masque de liberté. In: Dialogues d'histoire ancienne. Vol. 19 N°1, 1993. pp. 275-285. doi : 10.3406/dha.1993.2087 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/dha_0755-7256_1993_num_19_1_2087 DHA 19,1 1993 275-285 LE DÉMON DE SOCRATE i. UN MASQUE DE LIBERTE Djibril AGNE Université Cheikh Anta Diop - Dakar Parmi les ouvrages et les articles qui traitent de la question, nous pouvons citer des textes anciens tels que : Plutarque, Flepî rov Ecůxpárovc Saifiovfov (Le démon de Socrate), texte et trad. André Corlu, Paris, Klincksieck, 1970 ; Cicéron, De divinatione, I, trad. Charles Appuhn, Paris, Garnier, 1937 : chap. LVI, p. 104-109 ; Apulée, De deo Socratis (ouvrage que nous n'avons pu consulter) ; Maxime de Tyr, Philosophumena edidit H. Hobein, Lipsiae, MCMX (1910) : ilepi той ZuxpaTovç Saifiovťov (Dueb. XV vulg. 27B 12K9, p. 56), p. 199-210 ; Proclus Diadochus, Commentary on the First Alcibiades of Plato, Amsterdam, 1954 ; Sur le Premier Alcibiade de Platon, I, texte et trad. A. Ph. Segonds, Paris, Belles lettres, 1985 ; Olympiodore, In Primům Alcibiade (ouvrage que nous n'avons pu consulter).. Des commentaires plus ou moins généraux : A. WILLING, "De Socratis daemonio quae antiquis temporibus fuerint opiniones" in Comm. philol. Jenens, VIII, 2, Leipzig, 1909, p. 125-183 ; Fr. SCHLEIERMACHER, Platons Werke, Uber setzung und Einleitung, I, 2, Berlin, 1804-1810, p. 226-316 ; ZELLER, "Philosophie der Griechen", in Ihver geschichtlichen Entwicklung, II, 1, 1889 (= 1922), p. 74 sq. ; Th. GOMPERZ, Griechichen, Denker, II, Leipzig, 1912, p. 70 sq. ; A. FOUILLÉE, La philosophie de Socrate, II, Paris, 1874, p. 226-316 ; J. BUCKER, Historia philosophiae, I, Leipzig (sans date), p. 543 sq. ; P. KLOSSOWSKI, Les méditations bibliques de Hermann, Paris, 1948, p. 225-226 ; GIGON, Sokrates, Bern, 1947, p. 110-112 ; 163-178. 276 Djibril Agne INTRODUCTION Les relations de Socrate avec les citoyens athéniens 2 et les hommes illustres 3 de son époque ont été décrites, souvent jusque dans leur intimité, par Platon et Xénophon 4. Peut-être le dernier fut-il plus réaliste que le premier, mais leurs témoignages à tous deux ont permis à la postérité de connaître la vie philosophique, religieuse, sociale et politique de Socrate. C'est par les mêmes occasions qu'ils révèlent, avec un respect complice, l'existence du démon qui a tissé une relation intime avec leur vieux maître, et cela dès sa plus jeune enfance 5. Cette intimité, seul Socrate la vivait, bien qu'il rendît souvent compte à ses interlocuteurs des visites et des conseils de son daimonion. La question de savoir s'il a suivi les instructions du démon pour se décider à taire ou à dire son opinion, à agir ou à ne pas agir selon sa volonté (alternatives différemment appréciées par Platon et Xénophon) ne saurait rester sans soulever diverses interrogations sur sa personnalité. Autrement dit, le vieux maître a-t-il été, lors de leur contact, une "marionnette" du démon, ou utilisait-il cet alibi pour mieux asseoir sa liberté de pensée et d'action 6, dans une société dont le poids se faisait encore ressentir au sein des institutions de l'Etat ? En tous cas, face à certaines situations, il a fait croire à ses interlocuteurs que ses prises de position lui étaient dictées par son daimonion. 2. Xénophon montre (Mem. I, 1, § 10) en une phrase que Socrate rencontre quotidiennement ses concitoyens et qu'il ne faisait pas de distinctions dans ses relations. Tout sujet était bon à débattre, pourvu qu'à la fin on en tirât une leçon. 3. Le séjour à Athènes des hommes illustres, tels les sophistes, a été très souvent des occasions de discussion pour Socrate. En témoignent les dialogues de Platon qui relatent très largement des débats opposant Socrate à des savants étrangers défenseurs d'une méthode ou d'une pensée philosophique. 4. Nous avons circonscrit notre étude autour de Platon et Xénophon pour la simple raison qu'ils furent des témoins directs - en tant que disciples du maître - de la vie de Socrate. 5. Platon, Apol., 31d. 6. L'allusion est faite dans Le Démon de Socrate, 589 E D de Plutarque. DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 277 I. DEUX THÈSES DIFFÉRENTES SUR LE DAIMONION I. 1. Thèse socratique Le problème du démon de Socrate a suscité déjà du vivant du philosophe différentes interprétations. Dans le cercle socratique lui- même, l'idée du démon n'était pas définitivement admise. Ce qui a entraîné souvent le refus de certains des compagnons de Socrate de suivre les conseils émanant du daimonion 7. Cette hésitation ne se manifestait qu'au cours des situations dangereuses où le réflexe de conservation prédominait sur tout raisonnement. Il y a là ceux qui obéissent et ceux qui s'y refusent, bien qu'ils soient disciples du maître. Il est ainsi plus juste de dire qu'ils ne sont pas convaincus par ses conseils que d'affirmer qu'ils nient l'existence du démon ; d'ailleurs ils écoutent religieusement le maître à ce sujet. Socrate avait, après tout, réussi à faire connaître son "dieu" ami et il pouvait ainsi se flatter d'être conseillé par un être supérieur. I. 2. Thèse contraire Hors du cercle socratique ses ennemis ont vu en son compagnon une nouvelle divinité que Socrate cherche à imposer à la société athénienne. En effet le problème du daimonion est l'un des principaux griefs d'accusation dans le procès qui condamna Socrate à boire la ciguë. Cette opposition eut un double caractère politique et idéologique. Ses détracteurs, dont Mélètos et Anytos 8, ont considéré son "dieu" comme une nouvelle divinité que Socrate cherchait à imposer à la société athénienne. Le verdict du tribunal populaire montre que l'Etat athénien était très jaloux de sa "philosophie" religieuse, de son idéologie ; en effet tout dérapage susceptible d'entraîner des conséquences fâcheuses dans l'équilibre spirituel de la cité ne peut et ne doit pas être toléré. Ainsi, lors du procès, Mélètos et ses amis possédaient-ils un atout majeur par rapport à leur célèbre adversaire. L'aspect politique du problème réside en la volonté de ses détracteurs d'éliminer physiquement Socrate qui avait réussi à réunir autour de lui des jeunes aristocrates appelés à gouverner 7. Cf. Plutarque, ibidem, 580 DE. 8. Platon, Eutyphon, 3 a-e. 278 Djibril Ague l'Etat. Mais il professsait que la politique, dans son état présent, contribuait fortement à la corruption des moeurs ; et que l'attitude correcte serait de rester soi-même 9, c'est-à-dire ne pas se mêler des affaires publiques. Cette philosophie a paru à ses accusateurs nuisible à la cité et à ses institutions. Par référence à l'Etat, la liberté de pensée que prône Socrate est désapprouvée et condamnée d'avance. Au demeurant Mélètos et ses amis ont surtout défendu une nouvelle thèse qui diffère de celle de socrate, thèse dont Platon et Xénophon sont les intarissables interprètes. La seule fausse note dans ce débat d'idées a été l'élimination physique de Socrate. Dans son plaidoyer le philosophe laisse voir que son objectif principal a été de refuser l'incompréhension voire une fausse interprétation de l'idée qu'il a de son démon. Paradoxalement il est facile de remarquer qu'il a eu lui-même des difficultés à définir la nature et les fonctions du daimonion. En etttestent les divers termes qu'il utilise pour en parler (exposé et analyse infra). IL L'ÉTAT DE LA QUESTION APRÈS - 399 Socrate disparu, ses disciples et ses proches vont hériter du problème. Les interprétations et les commentaires vont porter alors sur la nature du démon et ses manifestations. Plutarque livre dans son Démon de Socrate les différentes interprétations qui allaient bon train après la mort du philosophe. Qui est-il ? Comment se manifeste-t-il ? Telles sont en général les questions que se posent les personnages réunis chez Simmias 10. A vrai dire Plutarque suit la tradition (qui s'est elle-même imposée aux commentateurs anciens), à savoir se limiter aux exposés des disciples de Socrate et en particulier à ceux de Platon et de Xénophon. Ces derniers n'ont rapporté à ce sujet, dans leurs écrits et au cours de certains enseignements oraux de Platon, que les récits de Socrate. Les termes Geoç et Saijióviov reviennent fréquemment pour dénommer le démon et ot)\leïov, атщ-aívEiv, (jxovi'i, ^avxixťí H pour 9. Platon, Apoll., 31 с-ЗЗа. 10. Cf. Plutarque, Démon de Socrate, 580 С D. 11. Pour Ôeoç, cf. Platon (ApoL, 31d 1, 40b ; Aie, 105d 6, e7 : Rép., 382e) ; Xénophon (Mem., IV, 8, 6-1 ; ApoL, Section 12, 2 ; pour oTifieïov et minaťvEiv, cf. Platon (ApoL, 40b ; Phdr., 242b ; Théag., 128d, 129e 2, e 8 ; 131a 2 ; Euthydème, 272e ; Rép., 496c 4) ; Xénophon (Mem., I, 1, 2-5 ; I, 1, 4-4 ;npoç-, I, 1, 4-6 ; ApoL, Section 12, 2) ; pour фшу^ cf. Platon (Théag., DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 279 décrire ses manifestations. 0eoç / Saifióviov comme отщеюу / <j>g>vtí attestent que le maître et ses disciples ont eu des difficultés pour circonscrire la nature et les fonctions du démon. Les substantifs Geoç et Sai^óviov ont-ils eu le même sens dans uploads/Philosophie/ agne-1993-le-demon-de-socrate 1 .pdf

  • 31
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager