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Tous droits réservés © Société de philosophie du Québec, 2006 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 02/19/2021 6:49 a.m. Philosophiques Imaginaires sociaux et modernités multiples Thomas McCarthy Volume 33, Number 2, automne 2006 URI: https://id.erudit.org/iderudit/013895ar DOI: https://doi.org/10.7202/013895ar See table of contents Publisher(s) Société de philosophie du Québec ISSN 0316-2923 (print) 1492-1391 (digital) Explore this journal Cite this document McCarthy, T. (2006). Imaginaires sociaux et modernités multiples. Philosophiques, 33 (2), 485–491. https://doi.org/10.7202/013895ar Imaginaires sociaux et modernités multiples THOMAS MCCARTHY Northwerstern University t-mccarthy@northwestern.edu La récente étude de Charles Taylor sur les « imaginaires sociaux modernes » fait suite à une série d’essais antérieurs traitant de thèmes connexes1. Précédemment, lors d’une discussion sur l’unité cosmopolite et la diversité nationale, je me suis brièvement penché sur une des principales considérations de ces essais, à savoir la possibilité de modernités « alternatives » ou « mul- tiples », et j’ai soutenu que le champ des différentes modernités pourrait être plus restreint que ne le conçoit Taylor2. J’aimerais poursuivre ici cette discus- sion, dont la difficulté est que le livre recensé ici se concentre entièrement sur la modernité européenne. Mais lors d’un bref épilogue sur la « provinciali- sation de l’Europe », Taylor suggère que son analyse des imaginaires sociaux modernes permet à leurs « particularités locales » d’émerger plus clairement et nous aide ainsi à « dépasser notre vision de la modernité comme un processus unitaire dont l’Europe est le paradigme3». C’est cette suggestion que je souhaite examiner. Mes remarques porteront généralement sur le fait que son analyse se con- sacre trop exclusivement à l’herméneutique culturelle pour pouvoir nous assurer d’une telle chose, que le côté « matérialiste » des choses — qu’il admet à plusieurs reprises sans toutefois le discuter — devrait être reconnu à sa juste valeur avant que nous puissions risquer un tel jugement, et que lorsque cet aspect est mis de l’avant, la nature essentiellement politique de la tâche consistant à développer, soutenir et réconcilier de multiples modernités émerge plus clairement qu’elle ne le fait dans l’étude de Taylor. 1. L’analyse de la modernité européenne par Taylor se concentre, dans cet ouvrage, sur la famille d’« imaginaires sociaux » qui en sont venus à imprégner les sociétés nord-atlantiques durant la période moderne et à 1. Modern Social Imaginaries, Durham, NC, Duke University Press, 2004. Dans les travaux antérieurs, voir tout spécialement : « Nationalism and Modernity », in R. McKim & J. McMahon, dir., The Morality of Nationalism, Oxford, Oxford University Press, 1997, pp. 31- 55 ; « Conditions of an Unforced Consensus on Human Rights », in J. Bauer & D. Bell, dir., The East Asian Challenge for Human Rights, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, pp. 124- 144 ; et « Two Theories of Modernity », in D. Gaonkar, dir., Alternative Modernities, Durham, NC, Duke University Press, 2001, pp. 172-196. 2. « On Reconciling Cosmopolitan Unity and National Diversity », in D. Goankar, dir., Alternative Modernities, pp. 197-235, esp. pp. 228-235.3. 3. Modern Social Imaginaries, pp. 195-196. Ci-après, les références à cet ouvrage seront insérées dans le texte, avec les numéros de pages, entre parenthèses. PHILOSOPHIQUES 33/2 — Automne 2006, p. 485-491 animer leurs pratiques caractéristiques et leurs institutions. Bien que l’on dise que ces imaginaires sociaux existent d’abord sous le mode d’un arrière-plan de compréhension partagée des situations et des pratiques sociales (24-5), ils sont typiquement informés par des conceptions de l’ordre moral de la société qui apparaissent d’abord sous la forme d’idées, lesquelles sont d’abord adoptées par quelques penseurs influents, infiltrent ensuite l’imaginaire social de strates plus larges et en viennent éventuellement à transmuer celui de la société entière (2, 24, 109). Les nouvelles théories de la loi naturelle de Grotius et de Locke en sont le principal exemple. Cette façon de représenter le changement historique semble inviter le genre de critiques que Marx a formulées contre l’idéa- lisme allemand. Taylor insiste donc dès le début sur le fait que son approche n’en est pas une qui oppose les « idées » aux « institutions » puisque les imaginaires sociaux sont en fait ce qui rend possible, en leur donnant un sens, les pratiques sociales et les institutions. Je crois que ce genre d’objections est basé sur une fausse dichotomie, celle qui existe entre les idées et les facteurs matériels en tant qu’entités causales rivales. En fait, ce que l’on voit dans l’histoire humaine, ce sont des champs de pratiques humaines qui sont les deux à la fois, c’est-à-dire des pratiques matérielles [...] [et des] modes de raisonnement [...]. Ceux- ci sont souvent inséparables [...] parce que les autocompréhensions sont la condition essentielle pour que la pratique ait le sens qu’elle a pour les par- ticipants (31-2). Je trouve frappante la similarité avec l’argument « ontologique » soulevé par Gadamer aux dépends d’Habermas lors de leurs débats des années soixante : les compréhensions sont internes aux pratiques. Et la réponse d’Habermas semble également à sa place ici : « d’accord, toute- fois il ne s’agit pas ici d’ontologie, mais de méthodologie, c’est-à-dire de savoir comment procéder pour analyser et expliquer le changement social. » Sur ce point, Taylor soutient qu’il n’y a pas qu’une seule sorte d’explication à donner — c’est-à-dire, pas de théorie générale du changement social — mais plutôt une myriade d’histoires causales complexes à raconter, dans lesquelles toutes sortes de facteurs jouent des rôles changeants (33, 41). Néanmoins, et cela est peut-être dû à la nature de cette étude particulière, le langage de Taylor donne souvent l’impression que les idées — sous la forme de conceptions de l’ordre moral — et les cultures — sous la forme des imaginaires sociaux — font la majeure partie du travail. Ainsi, certaines formes d’imaginaire social « sous-tendaient la montée de la modernité occidentale », et une nou- velle conception de l’ordre moral de la société était centrale à cette moder- nité, conception dont la « mutation [...] dans notre imaginaire social est l’avènement de certaines formes sociales [...] qui caractérisent essentielle- ment la modernité occidentale » (2, italique ajouté). Par exemple, que l’on en vienne à voir la société comme une économie est un déplacement 486 . Philosophiques / Automne 2006 dans l’imaginaire social « forgé par » ou « dérivé de » cette nouvelle idée de l’ordre moral (76-7). De plus, la Révolution française et ses contre- coups faisaient intervenir de nouvelles formes et pratiques politiques « engendrées par » (spawned by) des théories de la souveraineté popu- laire (126). Peut-être est-ce bien ce que Taylor avait en tête, mais je tends à penser qu’il s’agit d’un artéfact de l’approche herméneutique propre à la pers- pective culturelle qu’il adopte ici. Et ce qui m’encourage à en faire cette lecture, c’est non seulement les essais précédents, mentionnés ci- dessus, mais aussi la discussion de Taylor, dans cet ouvrage, sur les deux perspectives complémentaires à partir desquelles on voit la société moderne : comme un système de processus interconnectés, dotés de leurs propres lois — c.-à-d. comme une économie —, et comme un peuple auto- gouverné, avec un espace de communication — par ex. une entité poli- tique démocratique avec une sphère publique. La première est une perspective « objectifiante » de la vie sociale, la seconde nous imagine comme un agent collectif. «Les deux sont liées comme parties d’un même lot [...] La compréhension moderne de la société est irrémédiablement bifocale » (77). En conséquence, le politique est pensé comme « limité par l’extrapolitique, par différents domaines de la vie ayant leur propre intégrité et leur propre finalité », de telle façon que l’action collective éclairée requiert normalement une solide analyse objective (164-7). Dans cet ouvrage, toutefois, Taylor n’offre pas une telle vision bifocale ; la perspective objectifiante de la société moderne est largement laissée pour compte. Je n’y vois aucun problème en principe, pour autant qu’il soit clair qu’aucune conclusion concernant les changements sociaux ne peut être tirée de son étude herméneutique avant qu’une analyse objective com- plémentaire ne soit mise simultanément de l’avant. Ainsi, je résisterais à la suggestion que les « particularités locales », sur lesquelles l’explica- tion herméneutique attire notre attention, soient suffisantes pour écarter l’explication de « procédé unique » qui est avancée par les théoriciens sociaux classiques. Il ne s’agit pas que d’un autre désaccord théorique abstrait, puisque la question des modernités multiples est centrale pour le diagnostic de la conjecture mondiale actuelle et des chemins possibles allant au-delà de celle-ci. La lecture unidimensionnelle que fait Taylor de la modernité pourrait bien inciter ses lecteurs à adopter une perspec- tive exagérément « culturaliste » sur ce qui est, selon moi, un problème politique impliquant des contraintes « matérialistes » significatives. uploads/Philosophie/ imaginaires-sociaux-et-modernites-multiples-thomas-mccarthy.pdf
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- Publié le Nov 06, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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