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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article par Martin Provencher Spirale : arts • lettres • sciences humaines, n° 211, 2006, p. 28-29. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/16607ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 28 May 2013 07:38 « Le fardeau de la responsabilité » Ouvrage recensé : Responsabilité et jugement de Hannah Arendt. Payot, 316 p. nnSSIFR HANNAH ARENDT = AU-DELA D'UN CENTENAIRE L e fardeau de la responsabilité RESPONSABILITE ET JUGEMENT de Hannah Arenc Payot, 316 p. O > O oc 0. oc < ru Q u'advient-il de la justice quand on a renoncé à la vengeance et que le droit ne peut en appeler aux justifications tradi- tionnelles de la poursuite judiciaire pour juger des crimes qu'il doit pourtant sanctionner? Qu'est-ce que cela nous apprend sur la responsabilité morale, légale et politique? Pour réfléchir à ces questions, Hannah Arendt disposait de deux expériences : le procès de Nuremberg et celui d'Eichmann. En 1945, les Alliés renonçaient à exécuter sommaire- ment les hauts dignitaires nazis, comme le désiraient les Britanniques. À l'instigation de H. Stimson, ils décidaient plutôt de les traduire en justice dans une série de procès destinés à être exemplaires. L'accord de Londres du 8 août 1945 signé par les représen- tants de l'Angleterre, de la France, de l'Union sovié- tique et des États-Unis instituait la Charte du Tribunal militaire de Nuremberg. Cette Charte inno- vait en reconnaissant un nouveau type de crime en droit international, les crimes contre l'humanité (article 6c). Elle défendait également une conception de la responsabilité individuelle très exigeante, puisqu'elle refusait l'argument de l'immunité des chefs d'État (article 7) et celui de la défense des ordres supérieurs pour leurs subordonnés (article 8) et qu'elle tenait les individus, au lieu des États, pour responsables des principaux crimes internationaux. Mais s'il est clair que cette Charte instaurait un pré- cédent, ses fondements philosophiques étaient rien moins qu'assurés. Le premier à réagir fut Karl Jaspers qui tenta de justifier ce procès en saluant l'émergence d'un droit cosmopolitique et en étayant ses fondements éthiques, métaphysiques et légaux {La culpabilité allemande, Éditions de Minuit, 1990). Arendt se mit pour sa part en quête d'une solution plus politique et chercha à établir ce que ce type de crime avait de spécifiquement nouveau'. On pourra prendre la mesure des efforts d'Arendt en parcourant ses premiers écrits rassemblés par Jerome Kohn dans Essays in Understanding, partiellement traduit chez Payot sous le titre La philosophie de l'existence et autres essais1. Les textes rassemblés dans ce volume tournent autour de la deuxième expérience d'Arendt, celle du procès Eichmann, ce fonctionnaire nazi kid- nappé par des agents secrets israéliens en Argentine et ramené en Israël pour y être jugé en 1960. Ils sont répartis en deux catégories. Sous celle de la responsabilité sont regroupés des écrits plus théoriques à vocation pédagogique. On y trou- vera la version longue et, sous cette forme, inédite d'une conférence radiophonique fameuse, « Responsabilité personnelle et régime dictatorial », les cours d'Arendt sur la philosophie morale, qui cir- culaient sous le manteau depuis des décennies, également inédits, un commentaire d'une conférence intitulée « La responsabilité collective » de même que « Pensée et considérations morales ». Sous la catégorie du jugement sont réunis trois essais dans lesquels Arendt s'est elle-même livrée à l'exercice de sa faculté de juger et qui constituent pour cette rai- son le pendant pratique de la partie théorique. Ce sont les « Réflexions sur Little Rock », « Le vicaire? coupable de silence », un compte rendu critique de la pièce de théâtre de Hochhuth portée au cinéma par Costa Gavras en 2002, et « Auschwitz en procès », un compte rendu des procès de 22 membres du personnel du camp d'extermination d'Auschwitz- Birkenau à Francfort du 20 décembre 1963 au 10 août 1965. L'unité for- melle du livre est assurée par deux conférences rédigées par Arendt l'an- née de sa mort et qui servent respectivement d'introduction et de conclusion : la première pour la réception du prix Sonning et la seconde Face à cet effondrement du «jugement personnel », qui balayait du revers de la main l'éducation morale de toute une vie et qu'Arendt interprète comme le prélude à « la désintégration morale » complète à venir de la société allemande, les tribunaux ont un effet salutaire. pour souligner le bicentenaire de la République américaine. Disons tout de suite que l'intérêt de ces textes ne tient pas à leur nouveauté, car on y apprend peu de choses qu'on ne savait déjà. Il est plutôt à chercher dans l'effet produit par leur publication dans un même ouvrage à une époque marquée par le retour des procès pour crimes contre l'humanité avec l'institution des Tribunaux pénaux internationaux ad hoc pour l'ex- Yougoslavie et le Rwanda et la création de la Cour pénale internationale. Leur fonction pédagogique est attestée en ceci qu'ils font figure de pas- sage obligé pour quiconque réfléchit aujourd'hui aux questions morales, légales et politiques soulevées par ces procès. Qui sommes-nous pour juger des événements passés ? Arendt situe d'emblée sa réflexion sur la responsabilité dans le sillage de la polémique engendrée par la publication de son livre Eichmann à Jérusalem et elle s'attaque immédiatement à deux sophismes. À ceux qui soutiennent que juger est en soi injuste, elle rétorque que cette affirma- tion masque une négation de la liberté qu'illustrent la conviction de la culpabilité collective et la propension à faire appel à des tendances his- toriques pour éviter d'avoir à nommer des individus. Quant à ceux qui prétendent que seuls ceux qui étaient présents sont habilités à juger, Arendt leur oppose le fait de la rareté des jugements qui ne sont pas rétrospectifs et montre qu'une telle position rendrait l'écriture de l'his- toire et les procédures judiciaires impossibles. S'il est vrai que l'accusa- tion de superbe que l'on pourrait également opposer à celui qui ose juger 28 le passé est incohérente, puisqu'elle n'implique en aucun cas que la per- sonne qui juge se croit supérieure à ceux qui ont commis une action mauvaise, on doit tout de même remarquer qu'Arendt semble négliger ici la possibilité que ceux qui ont agi l'aient fait sous la contrainte, ce qui lui vaudra la detestation durable de Isaiah Berlin, selon les propos de Michael Ignatieff dans son discours de réception du prix Hannah-Arendt pour la pensée politique, en 2003. Mais en réalité Arendt estime que l'ar- gument de la contrainte n'est rien d'autre qu'une tentation et qu'il ne saurait en aucun cas équivaloir à une justification morale : « Si quelqu'un pointe un revolver sur vous et vous dit : "tue ton ami ou je te tue", il est en train de vous tenter, un point c'est tout » (Ignatieff accuse Arendt de manquer ainsi de compassion envers les membres des conseils juifs qui ont dû collaborer avec l'occupant nazi. On peut certainement débattre de la question qui consiste à savoir si la compassion ou la cohérence est la meilleure vertu d'un juge. Arendt semble avoir cru que la compassion n'était moralement légitime qu'à titre de pensée après coup). De quoi relève donc au bout du compte la faute de ceux qui ont cru en leur devoir de participer ? De la confusion entre l'obéissance et le consentement. Ces précisions faites, Arendt souligne que la question morale dont il s'agit principalement dans ce livre ne provient pas de l'existence du régime nazi, mais plutôt du phénomène de la « coordination », par quoi elle désigne la rapidité avec laquelle des milliers de gens ont changé subi- tement d'opinion et d'amis simplement pour être dans le coup et « ne pas manquer le train de l'Histoire » aux premiers temps de ce régime. Face à cet effondrement du « jugement personnel », qui balayait du revers de la main l'éducation morale de toute une vie et qu'Arendt interprète comme le prélude à « la désintégration morale » complète à venir de la société allemande, les tribunaux ont un effet salutaire : ils présupposent, comme la responsabilité morale, que nous avons tous « le pouvoir personnel de juger ». La question revient donc à savoir comment ceux qui ont osé juger ont pu le faire en partant de zéro, c'est-à-dire sans le secours de règles et de critères préétablis. Le monde et le soi : les deux centres de gravité de la responsabilité La distinction cardinale pour y répondre est celle de la responsabilité morale et de la responsabilité politique qui est uploads/Philosophie/ anna-arendt.pdf

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