Mémoire de Master 2 Recherche Année universitaire 2008-2009 Conflits interdidac

Mémoire de Master 2 Recherche Année universitaire 2008-2009 Conflits interdidactiques et problématique de l'éthique : le cas des enseignants natifs de français langue étrangère en universités japonaises INTRODUCTION GÉNÉRALE Depuis une décennie environ, sous la houlette de Jean-Claude Beacco1, de Jean-Michel Robert2 ou de Anne Pauzet3 notamment, la didactique des langues-cultures s’intéresse aux habitudes culturelles d’enseignement-apprentissage ainsi qu’aux diverses cultures éducatives et didactiques avec lesquelles doit composer l’enseignant natif ‒ plus ou moins consciemment ‒ en situation d’enseignement-apprentissage interculturelle. L’ensemble de ces recherches, partant du double constat, d’une part, que le processus d’enseignement-apprentissage est en partie modelé par les cultures éducatives, et d’autre part, que l’enseignant, dans sa pratique quotidienne, ne peut parvenir qu’à une connaissance très partielle de ces particularités culturelles, se donne alors pour principal objectif d’expliciter l’origine de ces habitudes et de ces différences culturelles. Le postulat majeur de telles recherches est que si l’enseignant parvient à mieux comprendre ces habitudes culturelles, alors il pourra les prendre en compte dans sa pratique de cours. Il s’agit donc le plus souvent de sensibiliser les enseignants à la dimension culturelle de l’enseignement-apprentissage des langues-cultures. Mais ‒ et c’est un grand « mais » puisqu’il est en partie à l’origine de mon entrée en recherche ‒, une fois sensibilisé à la dimension culturelle des habitudes d’enseignement- apprentissage, l’enseignant est-il pour autant en mesure de donner des réponses toujours justes et satisfaisantes à la complexité des situations interculturelles dans lesquelles il agit ? Rien n’est moins évident. On a pourtant l’impression que la connaissance de ces différences culturelles est donnée comme l’ultime objectif des recherches actuelles sur l’interdidacticité et que cette connaissance serait en elle-même suffisante pour guider l’action dans un environnement interculturel complexe. Il me semble cependant que cette connaissance ne devrait pas être envisagée comme une fin mais comme un moyen, et que bien souvent, les recherches sur l’interdidacticité s’arrêtent là où elles pourraient commencer. Je citerai ici de manière incrédule ‒ pour illustrer cette problématique ‒ deux exemples extraits de mon contexte d’enseignement-apprentissage (qui est aussi mon terrain de recherche) : est-ce que la connaissance et la compréhension des raisons de la réserve des étudiants japonais permet ipso facto à l’enseignant natif de guider son action lorsqu’il est confronté au mutisme de ses étudiants ? Est-ce que le fait même de connaître les raisons du sommeil des étudiants japonais en classe règle définitivement l’attitude légitime à avoir face à ces étudiants dormeurs ? 1 Cf. notamment : BEACCO, Jean-Claude et al. (dir.), Les cultures éducatives et linguistiques dans l'enseignement des langues, Paris, PUF, 2005. 2 Cf. notamment : ROBERT, Jean-Michel (coord.), Enseignement/apprentissage du français langue étrangère et public asiatique, ÉLA n° 126, 2002. 3 Cf. notamment : PAUZET, Anne (coord.), Des habitudes culturelles d’apprentissage en classe de langue étrangère, ÉLA n° 132, 2003. 2 Mon postulat est que le processus d’enseignement-apprentissage d’une langue-culture en situation interculturelle implique le partage ou la création d’une culture commune d’action à l’intérieur de laquelle enseignant et apprenants vont devoir se créer des conceptions communes4. L’intervention consciente de l’enseignant natif dans ce processus de co-culturation l’oblige à se positionner constamment sur un axe dont les deux pôles extrêmes sont : l’imposition directive de ses propres conceptions et l’acceptation bienveillante de celles de l’Autre. La gestion individuelle par l’enseignant natif de cet antagonisme inhérent à la dialectique de l’identité et de l’altérité, implique ipso facto une prise en compte de la problématique éthique dans la mise en relation de deux cultures d’enseignement -apprentissage. Le choix de cette thématique répond donc d’abord au double constat que j’ai pu faire empiriquement en tant qu’enseignant natif de français au Japon : de la complexité éthique, d’une part, d’un positionnement subjectif dans cette dialectique de l’identité et de l’altérité lors de la mise en relation des cultures d’enseignement-apprentissage française et japonaise ; et de l’insuffisance, d’autre part, des recherches actuelles dans la gestion de cette délicate problématique. Il m’est en effet apparu à plusieurs reprises que ma seule formation à l’approche interculturelle ‒ et le seul recours aux principes éthiques qu’elle sous-tend ‒ n’étaient pas suffisants pour conduire l’action dans un environnement interculturel complexe, et que bien souvent, cette approche, invitant au relativisme culturel et à la neutralité bienveillante, ne me permettait pas de répondre aux exigences de la prise de décisions dans le feu de l’action. Mon hypothèse principale est donc que pour gérer la rencontre entre deux cultures d’enseignement-apprentissage et pour répondre à la complexité éthique de leur action, les enseignants natifs « experts » ‒ en milieu exolingue et homogène ‒ mettent probablement en œuvre des principes et un questionnement éthiques plus complexes que ceux ordinairement envisagés et préconisés dans l’approche interculturelle. Parmi les différentes perspectives éthiques à partir desquelles l’enseignant natif oriente son action en contexte, il est probable en effet que dans le cadre d’une éthique de la conviction, le conflit ‒ même provisoirement ‒ soit reconnu, accepté et développé, et que l’action de l’enseignant natif ne soit donc pas strictement orientée vers l’évitement du conflit culturel. Il est probable aussi que, dans une perspective co-culturelle, l’action de cet enseignant soit orientée selon des principes et un questionnement relevant de l’éthique de la discussion et s’appuyant, de fait, sur une métacommunication. Le choix de cette thématique sur l’interdidacticité m’a par ailleurs été fortement inspiré par le projet scientifique du CEDICLEC (Centre d'Études en Didactique Comparée des Langues et des Cultures) et par son orientation comparatiste. Cette recherche reprendra par conséquent la conception de la didactique des langues-cultures élaborée par Christian Puren depuis une vingtaine d’années dans ses diverses publications et travaux universitaires 5, et s’inscrira de fait, dans le cadre de l’épistémologie complexe développée par Edgar Morin6. Je reproduis ci-dessous la présentation faite par Christian Puren du projet scientifique du CEDICLEC en y soulignant le passage dans lequel s’inscrit plus précisément ma thématique de recherche : Ce projet se définit par l'application de la démarche comparatiste à l'objet de la discipline, à savoir le processus conjoint d'enseignement et apprentissage des langues- cultures : on comparera par exemple les didactiques de différentes langues ou s'adressant à des publics différents, (…) ou encore les phénomènes de contact entre 4 Ce postulat s’appuie sur le concept de « co-culture » introduit en didactique des langues-cultures par Christian Puren et présenté notamment dans un article de 2002 : Perspectives actionnelles et perspectives culturelles en didactique des langues-cultures : vers une perspective co-actionnelle co- culturelle, Les langues modernes, n°3, pp. 55-71, Paris, APLV. 5 Cf. notamment : PUREN Christian, 1999, La didactique des langues-cultures étrangères entre méthodologie et didactologie, Les Langues modernes n° 3, pp. 26-41, Paris, APLV. 6 Voir par exemple : MORIN Edgar, 2005, Introduction à la pensée complexe, Paris, Le Seuil. 3 cultures collectives, profils individuels, formations et expériences d'enseignement et d'apprentissage.7 Au cours de ces recherches, je me suis donc intéressé aux phénomènes de contact entre les cultures d’enseignement-apprentissage française et japonaise en me centrant principalement sur la problématique de l’éthique, c’est-à-dire sur l’action des acteurs de l’enseignement-apprentissage et plus précisément sur le sens que ces acteurs donnent à leur action. L’éthique en effet s’éprouve dans l’action puisqu’elle est un questionnement critique qui permet de la guider. Il est de coutume lorsque l’on parle d’« éthique » de définir le sens de ce concept en référence à son concept voisin de « morale ». Comme nous l’explique Brigitte Bouquet ci- dessous, l’étymologie ne nous est d’aucun recours dans la mesure où ces deux termes apparaissent synonymes l’un de l’autre : Leur étymologie remonte indifféremment aux sources de l’Antiquité grecque ou romaine. Au strict sens étymologique, « éthique » et « morale » ont la même signification et sont interchangeables. Les deux mots ‒ ethos et mores ‒, qui donnent « éthique » et « morale », sont en effet la traduction l’un de l’autre en grec ou en latin. Morale vient de l’adjectif moralis qui est la traduction du mot grec ethicos. (…). Les dictionnaires usuels confirment cette synonymie et pour définir morale renvoient à éthique et vice versa.8 Cependant, au cours de l’histoire, l’usage a progressivement construit une distinction entre ces deux termes ; distinction qui d’ailleurs continue de faire débat chez les théoriciens de la philosophie morale et qui n’est pas universellement reconnue. Reprenant toutefois à mon compte les traits saillants de cette distinction, je définirai le concept d’ « éthique » en l’opposant à celui de « morale » : alors que la morale se situe davantage du côté du produit, de l’universel et de la réponse ; l’éthique, quant à elle, peut être inversement située du côté du processus, du particulier et du questionnement. C’est ce que nous explique, Clotilde Leguil, spécialiste de philosophie morale, dans le passage suivant : Le terme d’éthique se distingue de celui de morale au sens où la morale renvoie davantage à un corps constitué de normes alors que l’éthique implique un questionnement sur la norme elle-même. L’éthique s’interroge sur les fondements de ces normes et du même coup se confronte à l’absence de critères uploads/Philosophie/ annexe-3-1-introd-gen-memoire.pdf

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