COLLECTION D'ÉTUDES ANCIENNES publiée sous le patronage de l'ASSOCIATION GUILLA

COLLECTION D'ÉTUDES ANCIENNES publiée sous le patronage de l'ASSOCIATION GUILLAUME BUDÉ L'ARCHITECTURE DU DIVIN MATHÉMATIQUE ET PHILOSOPHIE CHEZ PLOTIN ET PROCLUS PAR ANNICK CHARLES-SAGET Professeur de Philosophie à l'Université de Clermont II PARIS SOCIÉTÉ D'ÉDITION « LES BELLES LETTRES » La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées i l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l'article 40). Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 423 et suivants du Code Pénal. © Société d'édition « LES BELLES LETTRES », Paris, 1982 ISBN 2.251.32603.0 ISSN 0184.7112 AVANT-PROPOS Proclus. Cinquième siècle de notre ère. Premier commentaire continu à Euclide rédigé par un diadoque, successeur et porte- parole de Platon, dans une Athènes où se meurent les dieux. Pour Proclus, cependant, le divin ne s'épuise pas : puissance latente ou source cachée, il est aussi architecture manifestée dans le dessein de tous les êtres. On peut oser en décrire les «éléments». Éléments de Théologie. Platon aurait, semble-t-il, souri de cette insistance, de ce mariage obstinément réaffirmé entre la mathématique et la philosophie. Où la mathématique est susceptible de tant de métamorphoses. Où l'al- liance est en outre fondée sur une commune dépendance à l'égard d'une structure-mère qui, très généralement, se dit Totalité, ou Sys- tème. Platon pensait les liens, les arrangements, les affinités; Pro- clus les intègre : la OVOTOOLÇ, le se-tenir ensemble, cède au aûarrçjua, à l'ensemble accompli. Et cet ensemble fait image, engendre une topologie qui sera vive jusqu'à la Renaissance. Hegel, qui dénonce les fascinations de l'ordre mathématique, louera encore le Néoplato- nisme pour avoir eu ce sens de la totalité — «car le vrai est le tout » —, et de la vie du concept. Nous ne pouvons cependant comprendre le Néoplatonisme et acquiescer à ce partage. Système, Mathématique et Vie, tels sont les personnages quasi allégoriques qui jouent un rôle discontinu sur un espace de huit siècles. Leur mise en communication produit de vas- tes architectoniques que l'on peut parfois traduire en images. Ima- ges d'arbre, de source, de cône ou de plateaux, de niveaux, disait-on. AVANT-PROPOS Réseaux dont les mailles ont été retravaillées, retissées, par plu- sieurs générations de commentateurs, à la fois philosophes inspirés et rhapsodes de la pensée. J'ai tenté de retrouver, en quelques lieux privilégiés, cette double face de l'inspiration et de la rhapsodie, du dessin neuf et de la reprise. Les mathématiques, en leur histoire pro- pre, ont été quelque peu délaissées. J'ai certes été moins attentive à ce qu'elles étaient pour elles-mêmes, qu'à leurs résonances, ailleurs. Que tous ceux qui m'ont aidée en des temps parfois durs, sachent combien mon merci leur est fidèle. Saint-Mandé, mai 1982. INTRODUCTION INTRODUCTION 1. - Proclus et la tradition. 2. - Le modèle mathématique. 3. - Questions de méthode. 1.- PROCLUS ET LA TRADITION Lorsque Proclus reconnaît en Platon non seulement un maître de vérité mais un guide et hiérophante des mystères divins 1 , il fait accomplir aux textes platoniciens leur mutation la plus extrê- me : il les transforme en écrits sacrés. Le néoplatonisme se définit dès lors par son propre excès : tous les philosophes qui ont affirmé leur dépendance à l'égard de Platon deviennent «exégètes de l'époptie platonicienne » 2 , c'est-à-dire de la révélation du divin. Il est impossible de masquer l'effet inéluctablement réducteur d'un tel respect 3. Les Dialogues sont comme projetés dans l'uniformité d'un espace textuel où l'interrogation, l'ironie, la vie même de la parole disparaît. En revanche, libérés de leur dépendance contex- tuelle, ils deviennent les éléments d'un système dans lequel pren- nent place tous les modes de connaissance, et toutes les manifes- tations du principe. Sans doute cette méthode trouve-t-elle dans la Théologie Platonicienne son expression la plus tendue et la plus inspirée. 1. Théologie Platonicienne, éd. S.W. I. 1, p. 5,16 - 6,7 : «l'initiation aux mystères divins eux-mêmes... a été révélée à ceux qui dans la condition temporelle pouvaient en tirer profit, par un seul homme (Si 'ëuàs hvSpôc), celui que l'on n'aurait pas tort d'appeler le guide des mystères véritables... et le hiérophante des apparitions intégrales et immo- biles, auxquelles prennent part les âmes quand elles se sont attachées sérieusement à la vie heureuse et béatifiante». Sur la signification religieuse de ces termes, cf. L. Gernet, Anthropologie de la Grice antique, Paris, 1968, p. 406. l.Ibid, p. 6,16 sq. 3. Cf. H. Joly, Le Renversement platonicien : sur la nécessité d'un repérage « stratigra- phique des différentes couches de la culture et du sens», voir en particulier p. 13 à 19. 10 INTRODUCTION Mais l'excès de dévotion qui anime l'exorde de cette gigantesque somme se fonde sur une herméneutique présente dans tous les textes de Proclus. Car la mise en place des Dialogues repose sur deux axiomes fondamentaux : le premier assure que la multipli- cité des Dialogues exprime un unique souci, celui de reconnaître toutes les formes du divin et leur ordre hiérarchique; le second interprète la pluralité des modes du discours — inspiré, dialectique, symbolique ou imagé — comme simple diversité dans l'exposition de la même doctrine. Bref, l'herméneutique proclienne se présente comme une application stricte d'une des tâches de la dialectique platonicienne : rassembler le multiple en un. Aussi pouvons-nous lire au début de la Théologie Platonicienne : «C'est assurément dans tous les dialogues de Platon... que la vérité concernant les dieux se trouve répandue, et en tous ont été semés, plus obscurément dans les uns, plus clairement dans les autres, les concepts vénérables, lumineux et surnaturels de la philosophie toute première, qui éveillent l'esprit de ceux qui sont tant soit peu capables de les comprendre, à l'ordre d'existence immatériel et transcendant des dieux. Oui, de même que le créateur de tout ce que contient le monde a établi dans chaque partie de l'univers et dans chaque type d'être des similitudes de l'existence inconnais- sable des dieux afin que toutes choses se convertissent vers la divinité selon leur degré de parenté avec elle, de même, je pense, l'esprit de Platon aussi, inspiré des dieux, a introduit en toutes ses œuvres les pensées qu'il avait au sujet des dieux et n'en a laissé aucune sans une part du souvenir de la divinité, pour qu'il soit possible aux vrais amoureux des réalités divines à partir de toutes de s'élever et de se donner les moyens de parvenir à une réminis- cence des principes universels » 4 . On voit dès lors combien Proclus est loin de la prudence mo- derne qui faisait dire à V. Goldschmidt que «l'esprit de système» est «la subtile tentation de toute exégèse de Platon» 5 . Pour Proclus, au contraire, l'exégèse authentique exige la reconstitution de la totalité du système. Toutefois, cette totalité est bien pro- clienne, et l'herméneutique qui la supporte apparaît alors comme le résultat d'un compromis : compromis entre une exigence philo- sophique propre, et un souci de fidélité à l'égard de Platon. Aussi, tout lecteur des écrits néoplatoniciens ne peut-il que découvrir en eux, dans leur manière de se rapporter à Platon, certains traits contradictoires : Platon est le maître de vérité et toute pensée vraie s'enracine nécessairement en sa pensée; mais 4. Théol. Plat., IJS p. 23, 22 - 24,10. 5. V. Goldschmidt, Les Dialogues de Platon, p. IX. & 11 INTRODUCTION il est en fait impossible de continuer strictement la direction que Platon a tracée; on peut, au plus, reprendre ses paroles, rappeler les diverses interprétations, si bien que, lorsque la pensée néoplato- nicienne se déploie selon son exigence propre, les rappels de Platon apparaissent d'autant plus suspects, les textes d'autant plus solli- cités. Et pourtant se maintient toujours aussi ferme, chez les néo- platoniciens, l'assurance d'être fidèles à la doctrine platonicienne. La conjonction de ces deux traits se maintient à travers tous les commentaires de Proclus. Ils témoignent d'une fidélité pour nous d'autant moins convaincante qu'elle sait mieux se justifier. Le problème que pose ici Proclus est original et, nous semble- t-il, unique dans la philosophie occidentale en ce qu'il pose celui de la signification (et de la possibilité) d'une tradition philosophique. Qu'est-ce qu'une philosophie qui ne prend pas son départ dans une radicale mise en question ? Y a-t-il encore philosophie lorsque la parole se donne comme déjà insérée dans un élément de vérité qu'elle a moins à produire qu'à manifester ? En bref, Proclus, diadoque c'est-à-dire successeur de Platon est-il seulement un «professeur de philosophie platonicienne» 6 ? Une telle réduction à une fonction scolaire ferait oublier la dimen- sion religieuse du rôle du diadoque. Elle ne rendrait pas compte non plus de cette tension intérieure à tout écrit proclien uploads/Philosophie/ annick-charles-saget-l-x27-architecture-du-divin-mathematique-et-philosophie-chez-plotin-et-proclus-les-belles-lettres-1982.pdf

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