Tracés. Revue de Sciences humaines Numéro 15 (2008) Pragmatismes ..............

Tracés. Revue de Sciences humaines Numéro 15 (2008) Pragmatismes ............................................................................................................................................................................................................................................................................................... Morton White Le pragmatisme, le holisme épistémologique et la portée de la science ............................................................................................................................................................................................................................................................................................... Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Morton White, « Le pragmatisme, le holisme épistémologique et la portée de la science », Tracés. Revue de Sciences humaines [en ligne], 15 | 2008, mis en ligne le 01 décembre 2010. URL : http://traces.revues.org/ index853.html DOI : en cours d'attribution Éditeur : ENS Éditions http://traces.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne à l'adresse suivante : http://traces.revues.org/index853.html Ce document est le fac-similé de l'édition papier. © ENS Éditions TRACÉS 15 2008/2 PAGES 229-240 Le pragmatisme, le holisme épistémologique et la portée de la science MORTON WHITE TRADUIT DE L’ANGLAIS (AMÉRICAIN¹) ET PRÉSENTÉ PAR GAËL KERVOAS Encore peu connu en France, Morton White (né en 1917) est une fi gure importante de la tradition de pensée américaine qu’on désigne commo- dément sous le nom de « pragmatisme », et ses écrits ont indéniablement contribué à la redécouverte et au renouveau de ce courant philosophique aux États-Unis. Auteur d’une vingtaine de livres dans divers domaines de la philosophie et de l’histoire de la philosophie américaine, il a aussi été pen- dant plus de vingt ans le collègue éminent de Willard V. O. Quine et de Nelson Goodman et l’un de leurs interlocuteurs privilégiés. Parmi ses œuvres se démarquent Toward Reunion in Philosophy (Har- vard, 1956), Foundations of Historical Knowledge (New York, 1965), What Is and What Ought to Be Done : An Essay on Ethics and Epistemology (New York, 1981) et Th e Question of Free Will : A Holistic View (Princeton, 1993). Signalons également qu’il existe une sélection de ses meilleurs articles, publiée sous le titre From a Philosophical Point of View (Princeton, 2004), ainsi qu’une autobiographie où l’auteur retrace son parcours intellectuel et ses rencontres avec les plus grands philosophes américains de la seconde moitié du xxe siècle (A Philosopher’s Story, Penn State, 1999). En français, son tout premier livre, Social Th ought in America : Th e Revolt against For- malism (New York, 1949) a fait l’objet d’une traduction par Mario Lévi en 1963, aux Presses universitaires de France (La pensée sociale en Amérique). Enfi n, A Philosophy of Culture, publié à l’origine en 2002, a été récemment traduit aux éditions Vrin (Une philosophie de la culture). 1 Texte remanié d’une première version « Pragmatism and the scope of science », Paths of American Th ought, A. Schlesinger et M. White éd., p. 190-202. Nous remercions Morton White d’avoir donné son accord à la traduction française de ce texte inédit. MORTON WHITE 230 Cette dernière œuvre est sans aucun doute l’une des plus représentatives de la pensée de Morton White, car elle constitue le point de convergence des recherches qu’il a pu mener tout au long de sa carrière de professeur à Harvard, puis à l’Institute for Advanced Study de Princeton. C’est en eff et là qu’il articule explicitement sa propre position philosophique, le « prag- matisme holiste », c’est-à-dire une forme de pragmatisme qui s’applique à toutes les dimensions de l’expérience humaine et de la culture, conçues comme un tout. C’est également dans cette œuvre que White revendique une forme de réconciliation entre la philosophie analytique et l’héritage des penseurs pragmatistes. L’article que nous proposons résulte en partie du remaniement d’un article plus ancien, auquel la cinquième section a été ajoutée (White, 1970). Morton White y reprend certaines idées phares d’Une philosophie de la culture en examinant quelle est la portée de la science et comment le sta- tut de scientifi cité peut s’ancrer au sein de l’expérience et des pratiques humaines dans leur ensemble. Il illustre ainsi le pragmatisme holiste dont il se réclame : un pragmatisme qui se voudrait plus cohérent et radical que celui de Peirce, James et Dewey, mais aussi plus étendu que celui prôné par Quine, puisqu’il conduirait à rapprocher l’éthique et les croyances morales des pratiques de la recherche et de l’expérimentation scientifi ques. Gaël Kervoas Le problème consistant à défi nir le domaine et la portée de la science a été plus tenace que n’importe quel autre problème en philosophie moderne. La méthode de vérifi cation des énoncés au moyen de l’observation et de l’expérience est-elle la seule méthode pour parvenir à la connaissance de la vérité, ou bien en existe-t-il d’autres ? Certaines disciplines établissent- elles la vérité par des moyens fondamentalement diff érents de ceux qu’on emploie dans les sciences empiriques ? Existe-t-il quelque chose comme une connaissance de certaines vérités, que l’on pourrait atteindre sans recourir à l’expérience ? Comme leurs prédécesseurs et leurs contemporains euro- péens, les philosophes américains ont débattu de toutes ces questions, sans toutefois leur apporter une réponse unique. Ni la philosophie américaine dans son ensemble, ni le pragmatisme – le mouvement philosophique le plus typiquement américain – n’ont déterminé la portée de la science de façon uniforme. Il serait faux d’affi rmer que, pour tous les pragmatistes, toute connaissance est scientifi que, au sens où l’on qualifi e de scientifi ques la physique, la chimie et la biologie. PORTÉE DE LA SCIENCE 231 Bien entendu, à l’instar des philosophies les plus modernes, le prag- matisme a lui aussi proclamé son grand respect pour la science et sa sym- pathie pour l’utilisation des méthodes scientifi ques. Ainsi, son fondateur, Charles S. Peirce, a parfois parlé du pragmatisme comme si ce n’était rien de plus qu’une théorie sur la signifi cation des termes scientifi ques. Celui qui l’a popularisé, William James, considérait sa théorie de l’esprit comme un corollaire à la biologie darwinienne. Et John Dewey, le plus jeune membre de ce trio pragmatiste originel, a consacré la plus grande partie de sa longue vie à chanter les louanges de l’intelligence scientifi que et à encourager son application aux problèmes politiques, sociaux et moraux de son temps. L’Amérique du xixe siècle, qui n’a pas vraiment engendré de penseurs scien- tifi ques de premier ordre, a néanmoins donné au monde trois des apolo- gistes les plus enthousiastes de la science – si enthousiastes qu’ils ont pu suggérer l’idée erronée que tous les pragmatistes vouent un culte à une sorte de « scientisme », selon lequel seule la méthode scientifi que doit gouverner toutes les branches de la pensée humaine. Cependant, si l’on identifi e le pragmatisme à la doctrine initiée par Peirce, popularisée par James et appliquée par Dewey ainsi que, dans une certaine mesure, par C. I. Lewis et W. V. O. Quine, on ne peut affi rmer que tous les pragmatistes sont des monistes méthodologiques. Le pragmatisme, tout autant que d’autres mouvements en philosophie, a été déchiré par des désaccords sur des questions épistémologiques fondamentales. Dans cet article, je présenterai donc d’abord les idées de quelques penseurs d’obé- dience ou d’orientation pragmatiste, mais qui n’ont pas épousé le monisme méthodologique. J’esquisserai ensuite un point de vue pragmatiste qui l’épouse explicitement et conçoit l’éthique et le raisonnement moral dans une certaine continuité avec l’expérimentation de type scientifi que. Science et métaphysique Le pragmatisme de Peirce était une théorie sur la signifi cation des affi rma- tions scientifi ques comprenant des termes de laboratoire comme « dur », « lourd » ou « lithium », pour reprendre ses propres exemples. Pour lui, un scientifi que doit être capable de traduire ces affi rmations en énoncés de pratique. Peirce soutient qu’un énoncé scientifi que sur la dureté ou le poids d’un objet est traduisible en une myriade d’autres énoncés, mais que seul un certain type de traduction revêt une importance particulière pour le scien- tifi que : celui qui spécifi e les expériences qu’un observateur pourrait faire MORTON WHITE 232 s’il devait réaliser certaines opérations sur un objet donné. Si l’on ne peut donner d’équivalent à un énoncé, c’est qu’il n’a pas (ou peu) de signifi ca- tion scientifi que ou pragmatique. En revanche, deux énoncés, si diff érents puissent-ils paraître, ont la même signifi cation si leurs traductions prag- matiques sont les mêmes. Un des buts d’une telle traduction, dit Peirce, consiste à éliminer ce qu’il appelle avec moquerie la « métaphysique onto- logique » – l’ironie de l’histoire voudra que sa propre maxime pragmatique le conduise à des conclusions qui sont elles-mêmes ontologiques. Car si un énoncé de laboratoire concernant un objet particulier est un énoncé sur uploads/Philosophie/ article-epistemologique-et-la-portee-de-la-science.pdf

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