M Oswald Ducrot Présupposés et sous-entendus In: Langue française. N°4, 1969. p
M Oswald Ducrot Présupposés et sous-entendus In: Langue française. N°4, 1969. pp. 30-43. Citer ce document / Cite this document : Ducrot Oswald. Présupposés et sous-entendus. In: Langue française. N°4, 1969. pp. 30-43. doi : 10.3406/lfr.1969.5456 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1969_num_4_1_5456 Oswald Ducrot, École pratique des Hautes Études, Paris. PRÉSUPPOSÉS ET SOUS-ENTENDUS L'hypothèse d'une sémantique linguistique. Lorsqu'un linguiste pose que tel énoncé de la langue qu'il étudie possède telle signification (décrite à l'aide d'un énoncé synonyme de cette même langue ou d'une autre), il a souvent l'impression d'enregistrer une donnée, de constater un fait. En réalité les seules données que lui fournit l'expérience concernent non pas l'énoncé lui-même, mais les multiples occurrences possibles de cet énoncé dans les diverses situations où on l'utilise : dans la mesure où je comprends une langue, je suis capable d'attribuer une signification, et par suite de trouver des synonymes, aux énoncés prononcés hic et nunc. Mais décider quelle est la signification de l'énoncé hors de ses occurrences possibles, c'est là dépasser le terrain de l'expérience et de la constatation, et faire une hypothèse — peut-être justifiée, mais qui en tout cas a besoin d'être justifiée1. Croire qu'on peut éviter cette difficulté à l'aide d'une espèce d'expérience imaginaire qui consiste à essayer de se représenter l'effet éventuel de l'énoncé s'il était prononcé hors contexte, c'est se tromper soi-même; car ce qu'on appelle une occurrence hors contexte, ce n'est qu'une occurrence dans un contexte artificiellement simplifié, et il n'est nullement nécessaire que la signification constatée dans ces conditions permette de comprendre les significations enregistrées dans les contextes naturels. Mais si la décision d'assigner une description sémantique à chaque énoncé isolé repose sur une hypothèse qui ne saurait se réclamer d'aucune 1. Pour être rigoureux il faudrait préciser que, même dans un contexte défini, la description d'une signification implique bien plus qu'une simple constatation. Gar le choix de la formule à l'aide de laquelle on décrit la signification exige déjà qu'on fasse abstraction de certaines nuances considérées comme non pertinentes, et la validité de cette abstraction constitue une hypothèse, et exige une justification. 30 évidence, il n'en résulte pas que cette hypothèse ne doit pas être faite. Qu'il faille la justifier, cela ne la rend pas nécessairement injustifiable. Nous pensons au contraire que des hypothèses de ce genre sont la condi tion nécessaire à l'existence d'une description sémantique proprement linguistique des langues naturelles. Avant de chercher ce que pourrait être une telle description sémantique linguistique, précisons d'abord ce que l'on doit attendre de la description sémantique d'une langue L. Nous enten dons par là un ensemble de connaissances qui permettent de prévoir, si un énoncé A de L a été prononcé dans des circonstances X, le sens que cette occurrence de A a pris dans ce contexte. Description sémantique deL I sens de A dans X Schéma 1 Que la réalisation de ce programme, pour quelque langue que ce soit, relève pour l'instant de la science-fiction, cela n'empêche pas de la consi dérer comme un objectif légitime et même nécessaire, vers lequel doivent converger toutes les recherches de détail actuellement réalisables. Dire maintenant qu'il y a, pour la langue L, une description sémant ique linguistique possible, c'est faire une hypothèse bien précise sur l'organisation à donner à la description sémantique de L. Si l'on s'en tient au schéma précédent, il va de soi que la description sémantique va constituer un ensemble extrêmement hétérogène, même hétéroclite. On devra y loger en effet, outre les connaissances habituellement appelées linguistiques, un certain nombre de lois d'ordre psychologique, logique ou sociologique, un inventaire des figures de style employées par la collectivité qui parle la langue L, avec leurs conditions d'application, des renseignements enfin sur les différentes utilisations du langage dans cette même collectivité. Comment rendre compte autrement du fait que l'énoncé Quel beau temps! puisse, dans certaines circonstances, avoir à peu près la même valeur que Le mauvais temps!, dans d'autres, être compris comme Nous n'avons pas grand-chose à nous dire..., etc. Devant des faits de ce genre, en s'apercevant que n'importe quelle phrase peut être amenée à véhiculer n'importe quelle signification, des linguistes comme F. Brunot ont renoncé à l'espoir même d'une description séman- 31 tique des langues naturelles. C'est qu'il faudrait, si l'on doit, pour chaque énoncé, prévoir l'infinité des significations que lui donne l'infinité des contextes possibles, accumuler dans le rectangle par lequel nous avons figuré la description sémantique des renseignements empruntés à presque toutes les sciences humaines. Si l'on veut cependant éviter ce pessimisme, et tenter de mettre un peu d'ordre dans la description sémant ique, une hypothèse semble avantageuse, qui nous paraît, implicitement ou explicitement, celle de toute sémantique linguistique. Il s'agit de penser que le rectangle dessiné plus haut doit être divisé en deux compartiments principaux. Un premier composant, c'est-à-dire un premier ensemble de connaissances (nous l'appellerons description sémantique linguistique de L, ou, par abréviation, composant linguis tique), assignerait à chaque énoncé, indépendamment de tout contexte, une certaine signification, et, par exemple, à A, la signification A'. Et un deuxième composant (le composant rhétorique) aurait pour tâche, étant donné la signification A' attachée à A, et les circonstances X dans les quelles A est prononcé, de prévoir la signification effective de A dans la situation X. composant 1 : description sémantique linguistique composant 2 : composant rhétorique sens de A dans le contexte X Schéma 2 L'hypothèse incorporée dans ce schéma est que les circonstances de l'élo- cution n'entrent en jeu, pour expliquer le sens réel d'une occurrence 32 particulière d'un énoncé, qu'après qu'une signification a été attribuée, indépendamment de tout contexte, à l'énoncé lui-même. Pour justifier cette hypothèse d'une façon définitive, il faudrait d'abord construire effectivement les deux composants (pour au moins une langue), et nous n'en sommes pas là. Mais il est possible, dès main tenant, de lui conférer une certaine vraisemblance, si l'on peut montrer qu'une description sémantique organisée selon le deuxième schéma risque d'être plus satisfaisante que si l'on s'en tient au premier. Nous entendons par là à la fois qu'elle s'approcherait davantage du résultat final recherché (l'explication des effets de sens constatés en fait), et en même temps qu'elle s'en approcherait d'une façon plus naturelle. Pour rendre sensible ce second point, il faudrait faire voir qu'on peut donner au composant linguistique une allure relativement systématique — en y intégrant un petit nombre de règles générales susceptibles d'interférer et de combiner leurs effets selon des rapports prévisibles; et, d'autre part, qu'on pourra n'utiliser dans le composant rhétorique que des lois justifiables ind épendamment de leur emploi dans la description sémantique, et qui pour raient être authentifiées par exemple par la psychologie générale, la logique, la critique littéraire..., etc. C'est seulement par des démonstrat ions de ce genre que l'on rendra plausible l'hypothèse — par elle-même tout à fait arbitraire — d'une description sémantique linguistique des langues naturelles. Distinction du présupposé et du sous-entendu. Nous tenterons d'esquisser une telle démonstration en nous main tenant à l'intérieur d'un domaine très limité. Il s'agira pour nous de distinguer deux types particuliers d'effets de sens, et de montrer qu'il y a intérêt à rendre compte de l'un dès le niveau du composant linguistique, alors que l'autre exige l'intervention du composant rhétorique. Que l'on considère les énoncés suivants : 1) Si Pierre vient, Jacques partira. 2) Jacques ne déteste pas le vin. 3) Jacques continue à fumer. 4) Pierre a donné peu de vin à Jacques. Dans la plupart des contextes imaginables la personne qui entend 1) conclut non seulement que la venue de Pierre entraîne le départ de Jacques, qu'elle en est la condition suffisante, mais aussi qu'elle en est la condition nécessaire, que le départ de Jacques est subordonné à la venue de Pierre. Il serait considéré en effet comme peu normal, voire comme mensonger, d'énoncer 1) si l'on ne pense pas : la) Si Pierre ne vient pas, Jacques ne partira pas. Ou, sinon, il faudrait explicitement préciser que Jacques risque, de toute façon, de partir. C'est sans doute cette habitude linguistique qui 33 rend si difficile aux apprentis mathématiciens de distinguer les condi tions nécessaires des conditions suffisantes. En ce qui concerne l'énoncé 2), d'autre part, il est très difficile de ne pas trouver en lui l'affirmation : 2a) Jacques aime beaucoup le vin. Pour éviter que l'auditeur ne tire cette conclusion, le locuteur serait contraint de prendre de très encombrantes précautions, dont la lourdeur même aurait d'ailleurs pour résultat habituel d'accentuer l'effet de sens qu'elles cherchent à supprimer. De l'énoncé 3), maintenant, il est presque inévitable de conclure — non seulement que Jacques fume actuellement — mais qu'autrefois déjà il fumait. Posons donc dans le contenu de 3) l'indication : 3a) Jacques fumait auparavant. Enfin l'énoncé 4) indique à la fois que Pierre a donné du vin à Jacques, et qu'il n'a guère été généreux. Nous justifierons par la suite la distinction de ces deux éléments sémantiques, et, pour l'instant, nous nous contenterons de noter le premier : 4a) Pierre a donné du vin à Jacques. La thèse qui va être défendue maintenant est qu'il uploads/Philosophie/ article-lfr-0023-8368-1969-num-4-1-5456.pdf
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- Publié le Mar 22, 2022
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