Rudolf Steiner, « l’Ami de Dieu du Haut-Pays » Une publication des Cahiers de l

Rudolf Steiner, « l’Ami de Dieu du Haut-Pays » Une publication des Cahiers de l’Île Verte, 2010 RUDOL STEINER, « JEAN TAULER ET L’AMI DE DIEU DE L’OBERLAND » ne tradition nous apprend que c’est par un laïc illuminé, par un « Ami de Dieu du Pays d’en-Haut » (Gottesfreund vom Oberland) qu’il [Jean Tauler] a été amené à cet accomplissement. Il s’agit là d’une histoire mystérieuse. Au sujet de l’endroit où a vécu cet Ami de Dieu, il n’existe que des suppositions ; quant à savoir qui il était, il n’en existe même pas. Cet Ami de Dieu semble avoir souvent entendu parler de la façon dont Tauler prêchait, et c’est à la suite de ces informations qu’il se serait décidé à aller voir Tauler qui était prédicateur à Strasbourg, d’aller le voir pour accomplir une mission auprès de lui. Les rapports entre Tauler et l’Ami de Dieu, puis l’influence de ce dernier sur le premier ont été consignés dans un texte qui a été ajouté aux plus anciennes éditions des sermons de Tauler sous le titre Le livre du Maître. Un Ami de Dieu, en qui l’on croit reconnaître celui qui est entré en rapport avec Tauler, y parle d’un « Maître » dont on pense qu’il s’agit de Tauler lui-même. II raconte comment une conversion, une U Les Cahiers de l’Ile Verte __________________________________________________________________________________ 2 renaissance spirituelle, a été provoquée chez un « Maître », et comment celui-ci, à l’approche de sa mort, a fait venir auprès de lui l’ami et l’a prié d’écrire l’histoire de son « illumination », tout en veillant à ce que jamais personne n’apprenne de qui il est question dans ce livre. Il demande cela parce que toutes les connaissances qui viennent de lui ne sont pourtant pas de lui. « Car sachez bien, Dieu a fait tout en agissant à travers moi, pauvre ver de terre que je suis, et de ce fait tout cela n’est pas de moi mais de Dieu. » Une dispute entre savants s’est déclenchée à la suite de cette affaire, mais elle est sans la moindre importance pour le fond de cette affaire. D’un côté on a essayé de démontrer que l’Ami de Dieu n’a jamais existé, et on a prétendu que son existence relève de l’imaginaire, que les livres qui lui sont attribués on été écrits par un autre personnage (Rulman Merswin). De l’autre côté, Wilhelm Preger1 a avancé de nombreux arguments pour soutenir la thèse en faveur de l’existence, de l’authenticité des écrits ainsi que de l’exactitude des faits qui se rapportent à Tauler. II ne m’incombe pas de donner ici, à partir d’une recherche approfondie, un éclairage sur une relation humaine dont celui qui est en mesure d’étudier les documents en question sait très bien qu’elle doit rester secrète. Lorsqu’on dit de Tauler qu’à une certaine étape de sa vie s’est réalisée une conversion, comme celle que je vais vous décrire, cela suffit amplement. La personnalité qui est spécifique à Tauler importe alors peu ; ce qui compte, c’est une personnalité « en général ». En ce qui concerne Tauler, la seule chose qui nous importe, c’est de comprendre sa propre conversion d’après les points de vue suivants. Lorsque nous faisons une comparaison entre son activité d’après et celle d’avant, la réalité de cette conversion est évidente. Je laisse de côté tous les faits extérieurs et je ne relate que les processus intimes dans l’âme du « Maître » sous « l’influence du laïc ». Ce que mon lecteur entend par « laïc » et par « Maître » dépend entièrement de son état d’esprit ; ce que j’en pense moi-même je ne puis savoir pour qui cela peut encore être intéressant. Un maître instruit ses auditeurs et leur parle des rapports de l’âme avec l’Être universel des choses. Il évoque le fait que l’homme, lorsqu’il regarde dans le tréfonds de son âme, ne ressent plus l’effet des forces naturelles et limitées de la personne individuelle. Là, ce n’est plus l’homme individuel qui parle, mais Dieu. L’homme n’y voit ni Dieu, ni le monde ; là, Dieu se voit Lui-même. L’homme est devenu un avec Dieu. Mais le Maître sait que cet enseignement n’a pas encore entièrement pris vie en lui. Il le pense au moyen de son intelligence, mais il ne vit pas encore entièrement et de toutes les fibres de sa personne dans cet enseignement. Ce qu’il enseigne, c’est un état que lui-même n’a pas encore entièrement éprouvé. La description de cet état est conforme à la vérité, mais cette vérité n’a aucune valeur tant qu’elle ne devient pas vivante, tant qu’elle ne devient 1 [W. Preger, Geschichte der deutschen Mystik im Mittelalter, Leipzig, 1892]. Les Cahiers de l’Ile Verte __________________________________________________________________________________ 3 pas réalité. Le « laïc » ou « Ami de Dieu » entend parler du Maître et de ses enseignements. Il n’est pas moins pénétré de la vérité dont parle le Maître, que celui-ci lui-même. Mais pour le laïc, cette vérité n’est pas une affaire d'intelligence. Elle est en lui l’entière force de sa vie. Il sait que cette vérité, lorsqu'elle nous parvient du dehors, on peut en parler même sans y conformer, si peu soit-il, sa vie. Dans ce cas on ne dépend toujours que de la connaissance naturelle de l’intelligence. On parle alors de cette connaissance naturelle comme si elle était la plus élevée, comparable à l’action de l’Être universel. Elle ne l’est pas parce qu’elle n’a pas été acquise dans une vie déjà transformée et qui est passée par une renaissance au moment d’approcher cette connaissance. Ce que l’on acquiert en tant qu’homme simplement naturel ne demeurera toujours que naturel, même si ensuite on exprime en paroles le principe fondamental de la connaissance supérieure. La conversion doit s’accomplir à partir de la nature elle-même. La nature qui s’est développée de façon vivante jusqu’à un certain degré doit poursuivre son développement grâce à la vie et par elle. Ce développement doit engendrer quelque chose de nouveau. L’être humain ne doit pas se contenter de regarder en arrière vers le développement déjà accompli ; il ne doit pas considérer que l’image qu’il se fait en esprit de ce développement est ce qu’il y a de plus élevé ; bien au contraire, il doit développer une vision par anticipation pour ce qui n’est pas encore créé. Sa connaissance doit être le commencement d’un contenu nouveau, et non la fin du contenu de l’évolution déjà accomplie. La nature progresse du ver au mammifère, du mammifère à l’homme, non par un processus conceptuel mais par un processus réel. L’être humain n’est pas appelé à simplement répéter en esprit ce processus. La répétition spirituelle n’est que le commencement d’un nouveau développement véritable qui est cependant une réalité spirituelle. L’homme ne reconnaît alors pas seulement ce que la nature a engendré ; il continue la nature, il transforme sa connaissance en activité vivante. Il engendre en lui l’esprit, et dès lors l’esprit progresse dans la connaissance, étape par étape, ainsi que le fait la nature. L’esprit engage un processus naturel à un degré supérieur. Parler d’un Dieu, qui se voit lui-même à l’intérieur de l’homme, prend un tout autre caractère pour celui qui s’en est rendu compte. Il attache peu de valeur au fait qu’une connaissance déjà acquise l’ait conduit dans les profondeurs de l’Être universel ; par contre son aspiration spirituelle reçoit alors une nouvelle empreinte. Il évolue dans la direction que détermine l’Être universel. Un être humain ainsi touché, non seulement observe le monde autrement que celui qui s’en remet simplement à l'entendement ; il vit la vie autrement. Il ne parle pas du sens que la vie a déjà par les forces et les lois du monde, mais c’est lui qui donne à cette vie un nouveau sens. Pas plus que le poisson ne contient déjà en lui ce qui, à une phase Les Cahiers de l’Ile Verte __________________________________________________________________________________ 4 ultérieure de l’évolution, apparaîtra sous la forme de mammifère, l’homme doué de raison ne possède pas déjà ce qui devra naître de lui sous la forme d’un être humain supérieur. Si le poisson pouvait se reconnaître ainsi que les choses alentour, il considérerait que le fait d’être un poisson donne à sa vie un sens suffisant. Il dirait : l’Être universel est identique au poisson ; dans le poisson, l’Être universel se voit lui-même. C’est ainsi que peut parler un poisson tant qu’il ne s’en tient qu’à sa connaissance intellectuelle des choses. En réalité il ne s’y tient pas. Par son activité il va au-delà de sa connaissance. Il devient animal rampant, et plus tard mammifère. Le sens qu’il se donne dans la réalité va au-delà du sens que lui inspire la simple observation. Il doit en être de même chez l’homme. Dans la réalité il se donne un sens; il ne s’en tient pas à ce sens qu’il possède déjà et que l’observation lui indique. La connaissance se dépasse elle-même dès qu’elle se comprend correctement. La connaissance ne peut pas uploads/Philosophie/ rudolf-steiner 1 .pdf

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