LE CINÉMA ou L'HOMME IMAGINAIRE Essai d'Anthropologie Sociologique ARGUMENTS LE

LE CINÉMA ou L'HOMME IMAGINAIRE Essai d'Anthropologie Sociologique ARGUMENTS LES ÉDITIONS DE MINUIT LE CINÉMA ou L'HOMME IMAGINAIRE TABLE DES MATIÈRES Préface de la nouvelle édition .................................................. vu Avant-Propos ................................................................................... 11 ch a pitre I. — L’Avion, le Cinéma .......................... 13 ch a pitre II. — Le charme de l’image .......................... 21 ch a pitre III. — Métamorphose du cinématographe en cinéma ...................................................... 55 ch a pitre IV. — L’âme du cinéma ............................... 91 ch a pitre V. — La présence objective .......................... 121 ch a pitre VI. — Le complexe de rêve et de réel . . . . 155 ch a pitre V II. — Naissance d’une raison. Epanouisse­ ment d’un langage ............................... 175 ch a pitre V III. — La réalité semi-imaginaire de l’homme 205 Orientation bibliographique ...................................................... 223 Index des noms cités ................................................................ 247 © 1956 by L e s É d it io n s d e M in u it 7, rue Bemard-Palissy, 75006 Paris En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris. ISBN 2-7073-0210-0 L'art du cinéma... veut être un objet digne de vos méditations : il réclame un chapitre dans ces grands systèmes où l’on parle de tout, sauf du cinéma » B e la B a la z s. PREFACE A LA NOUVELLE EDITION Ce livre est un aérolithe. Il parle du cinéma, mais ni de l’art, ni de l’industrie cinématographique. Il se définit comme essai d’anthropologie, mais il ne surgit pas de l’espace de ce qui est reconnu comme science anthropologique. Il n’a pas « ouvert un sillon », « tracé une voie ». Dans son principe même, il ne concerne aucune catégorie de lecteurs, et il n’a eu ses quelques lecteurs que par malentendu. J ’espère que cette nouvelle préface ne réussira pas à dissiper tous les malentendus. A première vue, ce livre, avec son satellite Les stars écrit à la suite (1957), je pourrais moi-même le considérer comme mar­ ginal, quasi extérieur aux lignes de force qui, depuis L’an zéro de l’Allemagne (1946) et L ’homme et la mort, vont me faire osciller pendant vingt-cinq ans entre l’investigation dans le présent mou­ vant et la réflexion sur l’anthropo-sociologie. De fait, en 1950-51, au moment d’entrer au C. N. R. S. comme chercheur dans la section Sociologie, aucune nécessité intérieure ne me poussait à choisir le cinéma comme thème d’études. Au contraire, j’aurais voulu travailler sur les thèmes qui m’obsédaient, ceux du com­ munisme. Mais j’étais alors au fond des poubelles de l’histoire (j’y suis encore, mais en surface) ; je m’étais doublement exclu, et doublement fait exclure par conséquent, et du monde « bour­ geois », et du monde stalinien. Oser alors se battre sur deux fronts, au cœur même de l’institution où l’on venait tout juste d’entrer en néophyte, c’était alors risquer le broyage entre deux meules. Le courage me manquait pour aborder un sujet sociologiquement virulent, directement politisable, c’est-à-dire du coup attaquer à VIII LE CINÉMA la fois l’académisme, l’empririsme acéphale, le doctrinarisme arro­ gant. Je voulais donc trouver un sujet refuge. D ’autre part, je voulais un sujet qui plût à mon protecteur Georges Friedmann, dont l’influence joua un rôle décisif dans mon admission au C. N. R. S. Friedmann voyait et pensait « machine ». Je songeais tout d’abord à l’esthétique (sujet politiquement désamorcé) de la machine dans la société contemporaine. Le sujet convenait à Friedmann, mais très rapidement, avant même toute prospection, il m’ennuya. Je choisis le cinéma. Bien sûr, le cinéma est une machine, un art de machine, un art-industrie. Bien sûr, j ’étais inspiré par l’idée, déjà complexe et récursive, de comprendre la société à l’aide du cinéma tout en comprenant le cinéma à l’aide de la société. Mais j’étais aussi poussé par quelque chose de très intime, la fascination de mon adolescence, et mon sentiment adulte que le cinéma est beau­ coup plus beau, émouvant, extraordinaire que tout autre repré­ sentation. Oui, je suis d’une des premières générations dont la formation est inséparable du cinéma. Certes, il y a eu des romans, dévorants eux aussi. Mais la possession n’était pas aussi physique .Je me souviens des films qui m’ont marqué, parfois avec une intensité hallucinatoire entre mes onze dix-huit ans (1932-1939). En 32, je crois, La bru, un film américain, famille de fermiers, machines agricoles, moisson, un fils ramène une épouse de la ville, frères rivaux, désirs rustiques et sauvages, comme dans Zola, je ne sais plus très bien ce qui arrive^ mais je me souviens de mon désir. Puis Brigitte Helm, l’Antina de L ’Atlantide, pour qui je tue Morhange. Des bouches et des regards de femme, Gina Mânes, La voie sans disque. Des envoûtements insensés. Mais aussi, est-ce que j’ai quinze ans, ce film, L’opéra de quat’sous ; pourquoi cette musique, cette histoire, cette révélation de la misère, de la dérision, à quoi je ne comprenais rien et dont je comprenais tout, me possèdent à jamais et, chaque fois que je revois ou réentends, me déchirent ? Et, en 36 ou 38, je ne sais plus, mais avant qu’elle ne ferme, la salle de la Bellevilloise projette Le chemin de la vie, et c’est un des chocs les plus violents de mon existence, qui m’a ouvert soudain à un rayonnement, comme on les reçoit dans les tableaux mystiques, lumière bouleversante, bien qu’elle vînt d’un astre déjà mort. Le cinéma ? Sujet marginal, épiphénoménal pour un « socio­ logue », sujet bien loin de la vie alors qu’on était au cœur de la guerre froide, dans les années ultimes du stalinisme, sujet qui pourtant me ramenait à ma vie. PRÉFACE IX Je commence ma « recherche » par un débroussaillage d’enquê­ tes, études sur le film, ses publics, ses « contenus », son « influence », mais je suis irrésistiblement happé par le problème même de la « magie » du cinéma. Les idées qui s’étaient dégagées de mon livre précédent, L’homme et la mort (1951), investissent et orientent mon interrogation. Ce qui m’avait sans cesse animé en travaillant L ’homme et la mort, c’était Pétonnement devant ce formidable univers imaginaire de mythes, dieux, esprits, univers non seulement surimprimé sur la vie réelle, mais faisant partie de cette vie anthropo-sociale réelle. C’était en somme l’étonnement que l’imaginaire soit partie constitutive de la réalité humaine. Or, à sa façon, le formidable sentiment de réalité émanant des images artificiellement reproduites et produites sur écran, me posait, comme à l’envers, le même problème. Dans L’homme et la mort, il m’avait semblé qu’il y avait deux sources et deux seules (pou­ vant se combiner diversement) aux croyances universelles en la survie : l’une étant la croyance, mieux, l’expérience du double, alter ego, ego alter, autre soi-même, reconnu dans le reflet, l’om­ bre, libéré dans les songes, l’autre étant la croyance dans les méta­ morphoses d’une forme de vie en une autre. Et je suis parti de cette question : dans quel sens et de quelle façon nouvelle l’uni­ vers cinématographique moderne ressuscite-t-il l’univers archaï­ que des doubles ? Pourquoi le cinématographe, à l’origine une technique de reproduction du mouvement dont l’usage semblait devoir être pratique, voire scientifique, a-t-il dès sa naissance dérivé en cinéma, c’est-à-dire en spectacle imaginaire, et d’abord, avec les films de Méliès, en spectacle magique de métamorphoses ? Il y avait quelque part, sentais-je, un lien profond entre le royaume des morts et celui du cinéma, c’était le royaume des ombres, celui, pardi, de la caverne de Platon. Ainsi donc, avant même d’aborder le problème du cinéma comme phénomène historico-sociologique, il me fallait envisager ce problème « anthropologique » lié à quelque chose de très fondamental et d’archaïque dans l’esprit humain. Pour moi, le cinéma réveillait cette interrogation-clé de toute philosophie et de toute anthropologie : qu’est-ce que cette chose que nous nommons esprit si nous pensons à son activité, que nous nommons cerveau si nous le concevons comme organe-machine ? Quelle est sa relation avec la réalité extérieure, étant donné que ce qui caractérise homo, ce n’est pas tellement qu’il soit faber, fabricateur d’outil, sapiens, rationnel et « réaliste », mais qu’il X LE CINÉMA soit aussi demens, producteur de fantasmes, mythes, idéologies, magies ? Ce livre partait du double mystère, celui de la réalité imaginaire du cinéma, celui de la réalité imaginaire de l’homme. Mon but ne pouvait être seulement de considérer le cinéma à la lumière de l’anthropologie ; il était aussi de considérer attthropos à la lumière du cinéma ; or ces deux lumières étaient, sont l’une et l’autre vacillantes, incertaines. Il fallait donc éclairer l’une par l’autre dans un processus spirale ininterrompu. J ’ai fait ainsi en même temps de l’anthropologie du cinéma et de la cinématogra- phologie de l’anthropos, selon le mouvement en boucle : l’esprit humain éclaire le cinéma qui éclaire------------------------------ Je ne savais pas alors que cette démarche était en fait méthode uploads/Philosophie/ cinema-ou-l-x27-homme-imaginaire-pdf.pdf

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