Astérion Philosophie, histoire des idées, pensée politique 20 | 2019 Les disson

Astérion Philosophie, histoire des idées, pensée politique 20 | 2019 Les dissonances du doux commerce Hayek, penseur du « doux commerce » : la société moderne est-elle principalement soudée par des « réseaux d’argent » ? Hayek as a thinker of “doux commerce”: does the “cash-nexus” hold modern society together? Eva Debray Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/asterion/3928 DOI : 10.4000/asterion.3928 ISSN : 1762-6110 Éditeur ENS Éditions Ce document vous est offert par Université Paris Nanterre Référence électronique Eva Debray, « Hayek, penseur du « doux commerce » : la société moderne est-elle principalement soudée par des « réseaux d’argent » ? », Astérion [En ligne], 20 | 2019, mis en ligne le 09 juillet 2019, consulté le 17 août 2019. URL : http://journals.openedition.org/asterion/3928 ; DOI : 10.4000/ asterion.3928 Ce document a été généré automatiquement le 17 août 2019. Astérion est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Hayek, penseur du « doux commerce » : la société moderne est-elle principalement soudée par des « réseaux d’argent » ? Hayek as a thinker of “doux commerce”: does the “cash-nexus” hold modern society together? Eva Debray 1 Dès l’ouverture de son œuvre majeure, Droit, législation et liberté, Friedrich August von Hayek se réclame de l’héritage de Montesquieu et de son « constitutionnalisme libéral », dont l’objectif majeur, selon le premier, était d’assurer la liberté individuelle, en contenant pour ce faire le gouvernement dans des limites1. Cette revendication participe, chez Hayek, d’une volonté de réagir activement à ce qu’il perçoit alors à son époque comme une évolution néfaste du libéralisme, qui tend à abandonner ce qui à ses yeux constitue les trois piliers2 du libéralisme classique, à savoir : la défense de la liberté individuelle et, avec elle, de la liberté des marchés, ainsi que la reconnaissance du rôle, certes fondamental, mais néanmoins limité, de l’État3. Dans cette même introduction, Hayek considère à cet égard qu’il lui faut à son époque « faire à peine moins, pour le XXe siècle, que n’a fait jadis Montesquieu pour le XVIIIe »4. Il y souligne également l’apport des autres penseurs « auxquels, affirme-t-il, nous devons les conceptions fondamentales du constitutionnalisme, David Hume et Adam Smith »5. Pour saisir la manière dont Hayek conçoit et met en œuvre son entreprise de défense du libéralisme, il semble donc utile d’analyser la manière dont il réinvestit certains des arguments, idées ou notions clés auxquels recourent ces auteurs. 2 La théorie de l’ordre social spontané que Hayek s’emploie à développer, en particulier dans Droit, législation et liberté, constitue le cœur de cette entreprise. De ce point de vue, on insiste le plus souvent, que ce soit pour critiquer ou approuver sa démarche, sur sa reprise de l’expression de « main invisible » de Smith, expression qui renvoie à l’image Hayek, penseur du « doux commerce » : la société moderne est-elle principalem... Astérion, 20 | 2019 1 par laquelle, précise Hayek, le philosophe écossais, dans la langue de son temps, « décrivait comment l’homme est conduit à “promouvoir un résultat qui ne faisait nullement partie de ses intentions” »6. Il réinvestit cette image, car il y voit une manière particulièrement heureuse de traiter de ces ordres spontanés, de ces ordres produits de manière non intentionnelle dont lui-même cherche à rendre compte au sein de sa théorie sociale, et en particulier de l’ordre qui y occupe une place centrale, « l’ordre de marché »7 . Hayek se réclame en outre de Smith en le présentant comme un précurseur de ses propres analyses du mécanisme ou processus d’auto-organisation à l’œuvre au sein du marché8. Cependant, plusieurs questions restent alors ouvertes lorsque l’on emprunte uniquement cette voie : de quoi Hayek cherche-t-il à rendre compte précisément lorsqu’il traite de ces ordres spontanés, c’est-à-dire que signifie le terme d’ordre dans ces développements ? Par ailleurs, pourquoi Hayek se penche-t-il principalement sur l’ordre économique et son mécanisme de production spontanée ? 3 Or, pour répondre à ces questions, il fait sens de mettre au jour une autre réappropriation théorique à laquelle se prête Hayek et qui mérite qu’on lui accorde une pleine attention : celle qui prend pour objet le thème du « doux commerce ». Cette réappropriation intervient centralement dans Droit, législation et liberté, ouvrage au sein duquel il développe de la manière la plus circonstanciée ce qu’il entend par « ordre spontané »9, et expose le plus clairement comment sont articulés le mécanisme du marché et l’ordre social de la société envisagé dans son ensemble. Il faut dès à présent noter que Hayek ne cite pas la célèbre formule de Montesquieu sur les douceurs du commerce dans cet ouvrage, et peu d’éléments bibliographiques permettent de cerner cette référence. Cela explique sans doute le peu d’attention porté jusqu’ici à cet aspect de la pensée hayékienne10. Mais surtout, il semble que Hayek produit un déplacement sur le sens même de ce thème. Reprenant à son compte ce dernier, l’auteur défend en effet l’idée que les « “réseaux d’argent” […] soudent la Grande Société », c’est-à-dire l’idée que les « relations économiques » sont au principe de ce qui constitue l’ordre pacifique de la société moderne11. Cette réappropriation par Hayek du thème du doux commerce nous place au cœur de son entreprise de défense du libéralisme, plus précisément encore que celle de la métaphore de la main invisible. Sans elle, en effet, on ne cernerait pas la nature précise des arguments que l’auteur formule pour défendre son modèle libéral. 4 La présente contribution s’attache ainsi tout d’abord à cerner l’importance que le thème du doux commerce a pu revêtir pour un protagoniste majeur de la pensée libérale12 de la fin du XXe siècle. Dans cette perspective, on sera sensible aux enjeux propres à cette réappropriation, mais également aux déplacements auxquels procède Hayek sur le sens même de ce thème, pour interroger leur pertinence. 5 Nous montrerons donc tout d’abord ce qui, selon Hayek, rend nécessaire cette réappropriation théorique. La théorie sociale de l’auteur entend résoudre le problème suivant : comment un ordre social au sein des sociétés modernes, c’est-à-dire au sein des sociétés caractérisées par un haut degré de complexité, est-il possible ? Le second moment de l’article sera consacré au geste hayékien de réappropriation de ce thème proprement dit et examinera comment il s’inscrit au cœur de son projet de défense du libéralisme. Comme nous l’avons suggéré, cette étude permet de mieux saisir ce que Hayek entend par « ordre », concept cardinal de sa théorie sociale. S’appropriant ce thème des douceurs du commerce, il commet cependant un glissement conceptuel sur la notion d’ordre elle-même. Nous mettrons en lumière ce dernier, et, dans un même Hayek, penseur du « doux commerce » : la société moderne est-elle principalem... Astérion, 20 | 2019 2 mouvement, la dimension proprement idéologique du réinvestissement hayékien de ce thème. Comment l’ordre social moderne est-il possible ? 6 Hayek réactualise le thème du doux commerce afin de rendre compte de la possibilité de l’ordre social au sein des sociétés modernes. Ce problème de la possibilité de l’ordre social se pose en effet d’une manière spécifique au sein de ces sociétés, qui, selon lui, se caractérisent par un haut degré de complexité. 7 Nous indiquerons tout d’abord succinctement les éléments clés de la pensée hayékienne de la complexité. Précisons ici que, dans ses développements les plus approfondis sur cette notion, Hayek traite d’abord de phénomènes complexes. Il envisage à cet égard les phénomènes sociaux comme un certain type de phénomènes complexes, qu’il oppose par exemple aux phénomènes « relativement simples du monde physique »13. S’il élabore une théorie générale des phénomènes complexes qui, en outre, ne se limite pas à une étude des phénomènes sociaux, Hayek entend cependant ultimement souligner la complexité d’un type de phénomènes sociaux bien particulier : il s’agit pour l’auteur de montrer que c’est l’ordre social des sociétés modernes lui-même qui est caractérisé par un haut degré de complexité. 8 La complexité est une caractéristique relative aux capacités cognitives des êtres humains. Certains phénomènes peuvent être qualifiés de « complexes » dès lors qu’il est impossible d’en produire l’explication et la prédiction complètes14, la question étant de savoir ce qui, dans ces phénomènes, empêche ces dernières. La définition du degré de complexité d’un phénomène repose tout d’abord, selon Hayek, sur le nombre minimum de variables qu’il faut faire intervenir pour construire un modèle suffisamment précis permettant d’en rendre compte, et de le produire ou le reproduire. Or, dans les champs de la biologie et des sciences sociales, saisir de manière synchronique tous les facteurs qui déterminent la manifestation des phénomènes auxquels ces sciences s’intéressent s’avère souvent impossible. La complexité d’un phénomène ne tient cependant pas seulement au nombre de facteurs que doit intégrer son explication. Elle tient également à leur hétérogénéité. Hayek insiste en particulier dans Droit, législation et liberté sur les « éléments de nature diverse dont se composent les structures »15 qu’il analyse lorsqu’il se penche sur les phénomènes complexes. 9 uploads/Philosophie/ asterion-hayek-penseur-du-doux-commerce.pdf

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