AULU-GELLE LES NUITS ATTIQUES LIVRE CINQUIÈME. I. Que le philosophe Musonius dé
AULU-GELLE LES NUITS ATTIQUES LIVRE CINQUIÈME. I. Que le philosophe Musonius désapprouvait les acclamations bruyantes et les applaudissements qui couvrent la voix des philosophes pendant leurs leçons. J'ai appris que le philosophe Musonius avait coutume de dire : Lorsqu'un philosophe exhorte, avertit, persuade, réprimande, ou donne tout autre enseignement moral, si les auditeurs lut jettent à la tête, de toute la force du leurs poumons, des applaudissements et des louanges banales et vulgaires ; s'ils poussent des cris ; si, charmés de l'harmonie des expressions, du nombre des mots, des chutes cadencées des périodes, ils s'agitent et gesticulent avec transport, alors, croyez-le bien, l'auditoire et le maître perdent également leur temps : ce n'est plus un philosophe qui enseigne, c'est un joueur de flûte qui se fait entendre. Quand on écoute, ajoutait Musonius, un philosophe, si les préceptes qu'il donne sont utiles et salutaires, s'ils sont un remède contre le vice et contre l'erreur, on n'a ni loisir ni même la pensée de faire entendre des acclamations bruyantes et prolongées ; l'auditeur, quel qu'il soit, à moins toutefois que ce ne soit un homme profondément corrompu, en entendant les paroles du philosophe, gardera un profond silence, frémira et rougira intérieurement de ses fautes ; il se repentira, se réjouira tour à tour ; son visage reproduira les émotions diverses de son âme, émotions que le philosophe fera naître dans sa conscience en touchant aux parties saines ou malades de son âme. D'ailleurs, disait encore Musonius, ce qui est digne des plus grands éloges inspire l'admiration ; or, l'on sait que l'admiration portée à un très haut degré ne se manifeste que par le silence, et non par la parole. C'est pourquoi le plus habile des poètes, après qu'Ulysse a raconté ses malheurs avec tant d'éloquence, ne dit point que les auditeurs, à la fin du récit, s'agitèrent, applaudirent et firent entendre de bruyantes acclamations ; tout au contraire, ils gardent le silence, immobiles, saisis d'étonnement, comme si la puissance magique qui charme leurs oreilles pénétrait jusqu'à leur langue, et la paralysait. Ainsi parla Ulysse, et dans le palais qu'enveloppait déjà l'ombre de la nuit, tous les assistants, charmés de ses paroles, demeuraient en silence. II. Sur le cheval d'Alexandre appelé Bucéphale. Le roi Alexandre avait un cheval que la forme de sa tête avait fait appeler Bucéphale. Charès rapporta qu'il fut acheté treize talents, ce qui fait trois cent mille et douze sesterces de notre monnaie, et donné au roi Philippe. Ce qu'il y avait de remarquable dans ce cheval, c'est que, lorsqu'il était harnaché et préparé pour le combat, il ne se laissait jamais monter que par le roi. On raconte encore que dans la guerre des Indes, Alexandre, après des prodiges de valeur, s'étant précipité imprudemment au milieu d'un bataillon ennemi, et se trouvant en butte à tous les traits, Bucéphale, qui le portait, fut couvert de blessures à la tête et aux flancs ; et que cependant, sur le point de mourir, épuisé qu'il était par la perte de son sang, il dégagea le roi du milieu des ennemis, et parvint à le tirer du danger par la rapidité de sa course ; qu'aussitôt qu'il l'eut mis hors de la portée des traits, il tomba sur la place, et, tranquille alors pour son maître, il mourut en paraissant consolé par la joie de l'avoir sauvé. Alexandre, après la victoire qui mit une fin glorieuse à cette guerre, bâtit une ville sur le champ de bataille, et l'appela Bucéphalie en l'honneur de son coursier. III. Comment et à quelle occasion Protagoras se livra à l'étude de la philosophie. Protagoras, ce philosophe illustre par son savoir, dont le nom sert de titre à l'un des plus beaux dialogues de Platon, forcé, dit-on, dans sa jeunesse, de subvenir à ses besoins en se mettant au service d'autrui, exerçait la profession de portefaix, ce que les Grecs désignent par le mot de ἀχθοφόρος, et les Latins par celui de bajulus. Un jour, de la campagne voisine d'Abdère, sa patrie, il se rendait dans cette ville, portant un lourd fardeau attaché par un lien très faible, lorsque par hasard Démocrite, citoyen de la même ville, homme recommandable entre tous par ses vertus et par ses profondes connaissances en philosophie, se trouvant hors des murs, le voit marcher avec aisance et rapidité, bien que chargé d'un fardeau embarrassant et dont les parties semblaient très difficiles à maintenir liées ensemble. Démocrite s'approche, examine l'arrangement et la disposition ingénieuse et habile de chaque morceau de bois, et engage Protagoras à se reposer un instant. Protagoras se rend à l'invitation de Démocrite, qui, examinant du plus près encore, s'aperçoit que le fardeau disposé en rond, et serré par un lien très court, est maintenu en équilibre par un procédé géométrique. Le philosophe demande quel est celui qui a ainsi disposé ce bois. Protagoras ayant répondu que c'était lui-même, Démocrite le prie de le défaire et de le lier de nouveau de la même manière. Protagoras ayant fait selon son désir, Démocrite, plein d'admiration pour l'intelligence et l'adresse de cet homme inculte, lui dit : « Jeune homme, puisque tu as de si bonnes dispositions, tu peux t'occuper avec moi de choses plus importantes et plus utiles. » Et il l'emmène dans sa maison, le garde près de lui, pourvoit à tous ses besoins, lui enseigne la philosophie et lui donne les moyens de parvenir à la célébrité qu'il obtint plus tard. Cependant, il faut le dire, la philosophie de Protagoras n'avait point pour but la recherche sincère de la vérité ; il fut, au contraire, le plus disputeur des sophistes, car il promettait à ses disciples, qui lui donnaient chaque année un salaire considérable, de leur enseigner par quelle subtilité de langage la plus mauvaise cause devenait la meilleure ; ce qu'il exprimait ainsi on grec ; Τὸν ἥττω λόγον κείττων ποιεῖν, rendre bonne une mauvaise cause. IV. Sur le mot duoetvicesimus, vingt-deuxième, qui, bien qu'inconnu du vulgaire se trouve très souvent employé par de bons écrivains. Me trouvant un jour chez un libraire du quartier des Sigillaires, avec un des hommes les plus érudits de notre temps, le poète Julius Paulus, je vis un exemplaire des Annales de Fabius, précieux par son antiquité et par la pureté du texte, exemplaire que le marchand prétendait être sans fautes. Mais un grammairien des plus illustres, amené par un acheteur pour examiner les livres, disait en avoir trouvé une dans ce volume. De son côté, le libraire voulait gager, quelle que fût la somme, qu'il n'y avait pas même une seule lettre incorrecte dans son exemplaire. Alors le grammairien montra ce passage du livre quatrième : Qua propter tum primum ex plebe alter consul fluctus est, duoetvicesimo anno postquam Romam Galli ceperunt, (c'est pourquoi alors, pour la première fois, un des consuls fut pris dans les rangs du peuple, vingt-deux ans après la prise de Rome par les Gaulois.) Il fallait écrire, dit-il, duodevicesimo et non duoetvicesimo. Qu'est ce, en effet, que duoetvicesimo ? Mais le même historien a dit ailleurs : Mortuus est anno duoetvicesimo. Rex fuit annos viginti et unum, il mourut à vingt-deux ans, après en avoir régné vingt et un. V. Réponse plaisante et maligne du Carthaginois Annibal au roi Antiochus. Nous lisons dans de vieux recueils d'anecdotes quo le Carthaginois Annibal, se trouvant à la cour d'Antiochus, railla ce prince d'une matière fort plaisante. Voici à quel sujet : Antiochus lui montrait dans une vaste plaine toute l'armée qu'il avait levée pour faire la guerre aux Romains; il faisait manœuvrer devant son hôte les bataillons étincelants de l'éclat de leurs armes d'or et d'argent ; il faisait passer devant lui les chars armés de faux, les éléphants chargés de tours, la cavalerie avec ses freins, ses selles, ses colliers et ses phalères brillants. Le roi, tout fier à la vue de son armée, si nombreuse et si richement équipée, se tournant vers Annibal : « Penses-tu, lui demande-t-il, que je puisse livrer bataille, et crois-tu qu'il y en ait là assez pour les Romains ? » Alors le Carthaginois voulant railler le monarque sur la lâcheté et la faiblesse de cette armée si magnifique : « Oui, certainement, répond-il, je crois qu'il y en a assez pour les Romains, bien qu'ils soient les plus avares de tous les hommes. » On ne pouvait faire une réponse plus spirituelle ni plus mordante. Le roi n'entendait parler que du nombre et de la force de son armée comparée avec celle des Romains ; Annibal répond comme sil s'agissait du butin qu'elle va leur offrir. VI. Des couronnes militaires. Détails sur les couronnes triomphale, obsidionale, civique, murale, vallaire, navale ; sur la couronne de l'ovation et sur celle d'olivier. Il y a plusieurs espèces de couronnes militaires. On cite comme les plus honorables : les couronnes triomphale, obsidionale, civique, murale, vallaire, navale. Il y a aussi, la couronne de l'ovation, et encore la couronne d'olivier, qu'on ne décerne pas aux combattants, mais à ceux qui sont uploads/Philosophie/ aulu-gelle-nuits-attiques-livre-5.pdf
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- Publié le Jul 15, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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