Bull. Acad. Vét. de France, 1997, 70, 383-388 Peut-on, au plan conceptuel, parl

Bull. Acad. Vét. de France, 1997, 70, 383-388 Peut-on, au plan conceptuel, parler de "Zootechnie vétérinaire", par Bernard DENIS* On attribue classiquement l'invention du mot "zootechnie" à de Gasparin mais il a été montré récemment qu'il était dû en réalité à Ampère et date de 1838 (1). Naturellement, la discipline n'était pas nouvelle et existait sous d'autres noms: Multiplication, Éducation, Élevage, Élève des animaux domestiques, Hygiène vétérinaire appliquée, Économie du bétail... (2). Une évolution récente du concept Nous avons tenté récemment, avec Théret, d'analyser la conception qu'avaient de la zootechnie les auteurs de neuf grands traités antérieurs à 1950 (3). En dépit de quelques divergences, qui sont plus de nuance que de fond, il nous est apparu possible de conclure ainsi: la zootechnie est fondamentalement une discipline d'application, pratique dans son discours, qui emprunte à d'autres sciences les bases dont elle a besoin, tout en ayant développé certaines matières fondamentales candidates à l'indépendance (par exemple la génétique), mise en œuvre par des généra­ listes cultivés, s'efforçant d'en couvrir tous les aspects. Aujourd'hui, l'objet de la zootechnie est devenu extrêmement vaste. Coléou a exprimé récemment des conceptions représentatives d'un courant de pensée répandu dans les milieux agronomiques ( 4). Il rappelle tout d'abord une définition empruntée au dictionnaire Larousse: "Ensemble des sciences et techniques ayant pour objet l'étude des animaux domestiques et de leurs produits, dans l'intention de rechercher et de faire connaître les moyens adéquats pour obtenir, de la façon la plus économique, ces animaux et leurs produits". Il élargit ensuite le champ d'application de la discipline à tous les animaux pour lesquels l'Homme intervient, même très marginalement, dans le cycle de production. Le vaste secteur de l'aquaculture se trouve ainsi rattaché à la zootechnie. Sans le dire explicitement, il sous-entend que les zootechniciens sont très * Professeur, Laboratoire d'Ethnozootechnie - École vétérinaire de Nantes - BP 40706 44307 Nantes cedex 03 384 BULLETIN DE L'ACADÉMIE VÉTÉRINAIRE DE FRANCE nombreux : du chercheur fondamentaliste au technicien de terrain, du spécialiste d'une discipline ou d'une espèce au généraliste, pourvu qu'un fil même ténu relie ces professionnels à la production animale. Il s'ensuit, notamment, que les Écoles vétérinaires sont des Écoles de zootechnie et, d'ailleurs, Coléou écrit: "Selon ma définition, tous les vétérinaires sont des zootechniciens, quelle que soit l'activité qu'ils exercent". Loin de nous l'idée de contester cette définition très "œcuménique" et plutôt consensuelle. Nous hésitons toutefois à la faire nôtre car elle paraît admettre que la zootechnie n'existe plus en tant que discipline particulière. Or, nous n'en sommes pas persuadé, spécialement si l'on regarde ce qui se passe au sein de la profession vétérinaire. D'où notre question: peut-on parler d'une zootechnie vétérinaire?. Cette interrogation ne vaut que dans le contexte évolutif de ces dernières décennies. Au 19e siècle, il allait de soi que la discipline était vétérinaire: à titre d'exemple, signalons qu'à la mort de Baudement (premier titulaire d'une chaire dite de zootechnie à l'Institut agronomique de Versailles, de 1848 à 1852), l'opportunité de son remplacement fut discutée, parce que son cours était jugé trop spécialisé pour des études agronomiques. Selon Boussingault, ce dernier "aurait été bien mieux placé dans une école vétérinaire" (5). Par la suite, dans la première moitié du 2oe siècle, on peut estimer qu'il existait une seule zootechnie, quelle que soit la formation de celui qui la pratiquait. Les vétérinaires refusent le qualificatif de zootechnicien Mis à part certains confrères - notamment des salariés du secteur agricole - on assiste le plus souvent à une réticence de la part des vétérinaires à se laisser englober dans le vaste ensemble des zoo­ techniciens. C'est très net au sein des Écoles: la différence continue d'être affirmée entre les fondamentalistes, les zootechniciens (dont les nutrition­ nistes font, naturellement, partie) et les cliniciens. Il faut dire que l'évolution de l'élevage de ces quarante dernières années, et celle des conditions d'exercice en clientèle rurale, a fait trop dire à certains que l'avenir était à la prévention et que les praticiens allaient donc devoir se convertir à la zootechnie. D'où les expressions "vétérinaire médecin" et "vétérinaire zootechnicien" que l'on entend parfois, considérées presque comme antinomiques. Un tel discours a parfois été interprété comme de la provocation et n'a pas contribué à la sérénité des relations entre collègues. La plupart des enseignants de pathologie des animaux de ferme font preuve d'incrédulité lorsqu'on tente de leur expliquer qu'ils sont zootech­ niciens. Les étudiants eux-mêmes, dont la vocation est médico­ chirurgicale, prennent souvent leurs distances à l'égard des disciplines zootechniques. Les praticiens, l'expérience venue, intègrent certes la zootechnie COMMUNICATIONS 385 (alimentation, bâtiments d'élevage etc . .. ) à leur activité de conseil en hygiène mais ne penseront le plus souvent pas à se considérer comme zootechniciens. Il est donc certain, dans les Écoles et au sein de la profession vétérinaire, que le mot "zootechnie" n'a pas du tout la valeur englobante, fédérative mais aussi, floue qu'il a acquis dans les milieux agronomiques. On peut se demander si ce n'est qu'une question de temps: la profession vétérinaire finira-t-elle par rejoindre le mouvement général et accepter de se fondre dans le vaste ensemble des zootechniciens (mis à part évidemment les vrais spécialistes qui émergent dans le secteur des animaux familiers et qui sont, eux, franchement des "médecins") ? On peut aussi considérer que, dans la "résistance" de la profession, il y a le souci de préserver une certaine originalité : la formation médicale est considérée comme n'ayant rien à voir avec la formation zootechnique et le vétérinaire a le choix, dans l'exercice de sa profession, de se cantonner dans des activités strictement médico-chirurgicales ou de prolonger ces dernières - car il ne s'agit jamais de les remplacer - par des activités zootechniques. C'est alors que se pose la question de l'existence éventuelle d'une zootechnie vétérinaire. Les activités zootechniques du vétérinaire Bien que l'on pourrait aisément faire ressortir des convergences, nous ne nous occuperons pas ici des animaux familiers et restreindrons l'analyse aux animaux de ferme. L'originalité première du vétérinaire qui se confronte à des problèmes d'élevage, qu'il soit praticien généraliste ou salarié d'une coopérative plutôt orienté vers les élevages industriels, est d'avoir reçu une formation médicale et de l'avoir appliquée : il est bien connu que les coopératives qui s'apprêtent à recruter un vétérinaire souhaitent souvent qu'il ait acquis une expérience en clientèle. Il s'ensuit le souci immédiat des conséquences sanitaires de telle nouvelle pratique ou, à l'inverse, la question de savoir si celle-ci a des chances d'être mise en œuvre avec succès compte tenu de l'état sanitaire initial du cheptel. Ce n'est pas par hasard si, dans beaucoup de pays en développement, les zootechniciens sont souvent de formation vétérinaire : la maîtrise de la santé des animaux est un préalable absolu à toute tentative de rationalisation des techniques d'élevage. Confronté en permanence aux problèmes pathologiques liés à de nouvelle pratiques pas toujours bien contrôlées, le vétérinaire n'a pas, dans l'ensemble, la réputation d'être un "moderniste à tout crin". Ce faisant, il joue son rôle, venant rappeler des impératifs physiologiques ou écologiques que d'autres ont parfois tendance à oublier. Abordant les problèmes d'élevage par le biais de la pathologie, le vétérinaire découvre rapidement que leur résolution n'est pas du ressort exclusif de la médecine et qu'il lui faut agir sur l'environnement. En tant 386 BULLETIN DE L'ACADÉMIE VÉTÉRINAIRE DE FRANCE qu'homme de terrain, il va alors se confronter directement à l'analyse des rations ou du bâtiment, n'hésitant pas à se faire aider, le cas échéant, par quelqu'un de plus compétent, mais commençant habituellement lui-même l'enquête. Dans ce travail, avoir l'expérience de l'élevage de plusieurs espèces est plutôt un atout. S'il est rare que les vétérinaires pratiquent le conseil en génétique ou en économie - certains le font néanmoins - leur connaissance générale de ces deux disciplines est toutefois mise à profit dans leurs réflexions et les contacts avec les éleveurs. Par ailleurs, le vétérinaire - que l'on en juge par exemple par des slogans syndicalistes d'il n'y a pas si longtemps - a toujours estimé que tout ce qui concerne l'animal domestique est aussi de son ressort, prétendant ainsi assurer la pérennité d'un savoir biologique et culturel assez vaste sur l'animal domestique. Même si le vétérinaire finit par se spécialiser, voire le fait dès le début de sa carrière, il nous semble qu'il demeure plus ou moins marqué par ce profil, qu'il acquiert en grande partie pendant sa scolarité. On peut se demander quel est le rôle de l'enseignement des disciplines zootechniques proprement dites dans l'acquisition de celui-ci. La zootechnie dans les Écoles vétérinaires En retenant les expressions et les structures qui avaient cours avant la récente réforme, nous rappellerons que l'enseignement de la zootechnie est dispensé par deux chaires : celle de "Zootechnie et économie rurale", et celle d'"Alimentation", émanation de la précédente depuis 1955. On fait, depuis longtemps, dans les Écoles vétérinaires, une distinction entre la zootechnie, qui s'occupe des animaux domestiques, et la zoologie appliquée, qui traite d'espèces "sauvages", même celles qui font l'objet d'un élevage. La distinction entre les deux disciplines dépend évidemment uploads/Philosophie/ avf-1997-4-383.pdf

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