La conception de l'État chez Hègel et la philosophie politique en Allemagne Les

La conception de l'État chez Hègel et la philosophie politique en Allemagne Les penseurs allemands d'aujourd'hui, en faisant la revision des idées politiques qui eurent cours sous l'ancien régime, se voient amenés à remonter jusqu'à Hegel pour en retrouver les origines philosophiques. Ils s'aperçoivent que ce métaphysicien fut un grand réaliste, et que les événements politiques qui se sont produits depuis en Allemagne servent mieux à illustrer ses idées et à nous en indiquer la vraie portée que ne pourrait le faire tel commentaire théorique, qui se bornerait à les situer dans l'ensemble du système métaphysique de Hegel. C'est que le grand philosophe allemand, tout en s'élevant aux visions de l'universel, ne perdit jamais de vue, tout au moins dans le domaine de la philosophie de l'esprit, les données concrètes, et les faits dont il s'inspirait lui étaient fournis avant tout par ce qui se passait de son temps, par l'actualité historique, par les événements du jour. Cemétaphysicien, qui semble d'abord ne voir l'humanité que sub specie œfermMts, se double d'un grand journaliste, pourrait-on dire, qui de jour en jour rassemble les nouvelles lui parvenant du monde entier, les classe, les range dans un ordre méthodique, et finalement en dégage l'idée qui lui permettra de les rattacher à des principes méta- physiques. C'est pourquoi, en étudiant les œuvres sociologiques et politiques de ce métaphysicien journaliste, on aurait tort de s'arrêter aux idées pures; pour bien comprendre sa pensée, il faudra toujours rechercher l'équivalent concret de la donnée abstraite, tel phéno- mène social, telle institution politique, tel personnage représen- tatif le fonctionnaire prussien, par exemple, ou le bourgeois des premiers temps de l'événement de la grande industrie. « S'unir à son temps, ne pas vouloir être quelque chose de meilleur que son temps, mais représenter au mieux son temps » voilà B. Groethuysen : "La conception de l'Etat chez Hegel et la philosophie politique en Allemagne", Revue Philosophique 1924. B. GROETHUYSEN. – LA CONCEPTION DE L'ÉTAT CHEZ HEGEL j8i » 1 comment, vingt ans avant d'avoir donné à sa philosophie du droit une forme définitive, Hegel formulait son idéal. I! est de son temps, il suit les événements, et la manière dont il pose les questions lui est bien dictée par la situation particulière dans laquelle il se trouve placé; de bonne heure il cherche des solutions au problème de l'Allemagne, et sa philosophie politique, plus tard, sera une interprétation métaphysique des principes fondamentaux sur lesquels repose l'État prussien. Aussi celui qui étudie aujourd'hui en Allemagne la philosophie de Hegel croit-il souvent y trouver, moins une interprétation géné- rale du monde social et politique, qu'une vue synthétique des principes qu'il reconnaît être ceux qui ont déterminé l'évolution de la vie collective de son pays; et, pénétrant plus avant dans la pensée de Hegel, il aura le sentiment d'avoir fait, en approfondis- sant l'idéologie qui a présidé aux destinées de l'Allemagne, une sorte d'examen de conscience. Ainsi, rien d'étonnant à ce que, surtout parmi les jeunes, on rencontre un intérêt de plus en plus vif pour les idées politiques de Hegel. En peu de temps ont paru trois livres, qui tous les trois traitent le même problème Rosen- zweig, Hegel und der Staat, 1920; Friedrich Bülow, Die .Enho:cMun<y der Hegelschen Sozialphilosophie, 1920; et Herman Heller, Hegel und der nationale Mac/ïMaa~~ed'an~e, 1921, auxquels on peut ajouter Friedrich Lenz, Staal und Marxismus. Grundlegung und Kr!<<' der marxistischen G'eM//sc/:a/~s/e/:7'e, ouvrage qui, pour faire la critique du marxisme, s'inspire d'idées hégéliennes. La pensée de Hegel, en matière de sociologie et de politique, est loin d'être simple; tout en se rapportant à une donnée bien carac- térisée l'État moderne représenté par le gouvernement de la Prusse, elle peut être interprétée ou développée de différentes manières, selon qu'on appuie plus de tel côté ou de tel autre. N'oublions pas que la donnée qui forme l'équivalent concret de la pensée de Hegel est constituée par une organisation politique qui seulement alors commence à prendre vraiment conscience d'elle-même. Dans l'État prussien, il y aura nécessairement différentes doctrines et plus tard différents partis politiques. L'idée de Hegel, en face de ces opinions divergentes, représente pour ainsi dire la substance même de l'État, le principe sur lequel reposent les diverses manifestations de la pensée politique. II pourra y avoir le conservatisme prussien, et d83 REVUE PHILOSOPHIQUE 1RS cnnsarvateurs nourfont s'annuver sur He~e! en tant n les conservateurs pourront s'appuyer sur Hegel en tant qu'il cherche à expliquer et à justifier ce qui est. A côté d'eux se formera de bonne heure un groupe libéral, qui citera les paroles du maître pour prouver que la mission de l'Ëtat de Frédéric le Grand était de se dégager de tous les préjugés et de tout examiner à la lumière de la raison; il pourra enfin y avoir des socialistes prussiens, qui ne sont pas marxistes et qui, en partant de l'idée de l'État telle que l'avait conçue Hegel, voudront voir se développer ses fonctions, de manière à lui permettre de régler l'ensemble de la vie économique. II y aura même des démocrates, qui, opposant à l'idée de l'égalité des droits celle de l'égalité des devoirs, prétendront ainsi établir une différence essentielle entre l'idéal allemand et celui de l'occi- dent. Tous ils ne feront que développer certaines possibilités qu'impliquait d'une part la théorie politique de Hegel, de l'autre l'organisation administrative telle qu'elle existait en Prusse, au temps du philosophe. La pensée politique de Hegel se prête donc à différentes inter- prétations. On pourrait même dire qu'en elle-même elle contient des éléments que la volonté du maître seule aura su concilier. La dialectique de Hegel ne procède en quelque sorte que par grandes oppositions. A l'intérieur des données qu'il oppose les unes aux autres, et qui se combattent, règne par contre la paix, une paix évidemment instable, mais qui permet à des valeurs hétérogènes de s'unir dans un même système. Ainsi Hegel se présente avant tout comme un de ces grands esprits synthétiques, qui, sachant unir des idées de provenance et de caractère fort différents, pourront de ce fait exercer une influence décisive sur les esprits les plus divers. Gardons-nous toutefois de croire que Hegel ait composé son système selon un plan suivi. Les idées qui finalement se sont groupées dans un ordre logique sont nées à différentes époques; avant que l'esprit de Hegel leur ait assigné à chacune sa place dans l'ensemble de son système, il y a eu pendant longtemps cer- tains conflits et certaine rivalité entre elles; quelle que fût la puis- sance synthétique du maître, il n'a pu résumer sa pensée qu'en sacrifiant certaines tendances, en mutilant telle idée, en abandon- nant tel rêve qui autrefois avait hanté son esprit, en renonçant à des aspirations qui d'abord l'avaient poussé à imaginer un Ëtat idéal. Dans l'oeuvre finale de Hegel, il y a une part de résignation que B. GROETHUYSEN. LA CONCEPTION DE L'ÉTAT CHEZ HEGEL 183 nous cache d'abord la vision de l'ensemble, qui sous forme logique paraît tout concilier en créant une hiérarchie de valeurs mais que nous ne saurions plus ignorer, quand, remontant à l'ori- gine des idées, nous les saisissons dans le premier stade de leur évolution, où chacune d'elles vivait encore pour ainsi dire de sa vie propre sans avoir subi les contraintes de l'ordre systématique. Dans son Histoire de la Jeunesse de Hegel, rééditée récemment par M. Herman Nohl, avec des fragments inédits, Dilthey est le pre- mier qui nous ait fait assister à la formation des idées de Hegel. Ces idées, plus tard, se sont fixées dans l'esprit du philosophe, et se sont rangées dans un certain ordre de manière à pouvoir rentrer dans l'ensemble de son système. Rosenzweig, dans l'ouvrage que nous avons cité plus haut, et d'une manière bien moins complète M. G. Heller et M. Bülow, nous renseignent plus particulièrement sur la genèse des idées politiques de Hegel. Leurs recherches dans ce domaine ne sont pas seulement intéressantes pour le biographe de Hegel, elles nous permettent encore de mieux apprécier ses idées sociales et politiques en les rétablissant dans leur valeur initiale, qu'on pourra confronter avec la signification qu'elles prendront dans l'ensemble de son système. Nous comprendrons mieux alors com- ment les idées disparates que le maître avait cru pouvoir dominer de son puissant génie, reprennent par la suite, chez ses disciples, en quelque sorte leur indépendance. Le système du philosophe se présente ainsi bien moins qu'il n'apparaissait d'abord sous les formes d'un tout bien équilibré et pouvant être ramené à des prin- cipes certains. La paix qui semble y régner nous apparaîtra plutôt comme imposée par le dehors. Pour que les aspirations hétérogènes qui pouvaient aboutir à des considérations d'un ordre différent, ne puissent s'entrechoquer, les sentiments nés à différentes époques ont été pour ainsi dire aplanis; et nous constatons que dans le domaine de la pensée, aussi bien d'ailleurs que dans celui de la réalité politique l'État prussien, l'ordre qui règne n'exclut pas certaines incertitudes, et que, la raison humaine qui y est censée avoir établi son empire souverain n'ayant pas su uploads/Philosophie/ b-groethuysen-la-conception-de-l-x27-etat-chez-hegel-et-la-philosophie-politique-en-allemagne.pdf

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