S’ORIENTER DANS LA PENSEE, S’ORIENTER DANS L’EXISTENCE Séminaire public d’Alain
S’ORIENTER DANS LA PENSEE, S’ORIENTER DANS L’EXISTENCE Séminaire public d’Alain Badiou (octobre 2004/juin 2007) Ce séminaire de trois ans entend construire une réponse à une forme déployée de la vieille question de Kant : “ Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? ” Que la reprise de cette question soit opportune, c’est ce que l’état de violente confusion du monde démontre, tout autant que le vain espoir d’y parer par d’antiques exercices, comme : le nihilisme esthétisant, la politique “ démocratique ” sous toutes ses formes, la morale des droits, l’anarchisme des multitudes, le culte du corps-de-jouissance et/ou des “ formes de vie ”. Sans oublier bien entendu ce qui dans nos contrées domine, et de loin : la peur. La conservation angoissée, ou le désir frustré, des conforts et des privilèges auxquels notre appartenance occidentale accorde une garantie dont le prix en lâcheté est d’autant plus considérable qu’elle est de moins en moins assurée. Établir un diagnostic sur l’époque, lui trouver un nom vérifiable, exposer au jour de la pensée la nature de la confusion, de l’illimitation dévastée, dans laquelle les animaux humains tentent ici de survivre, tel est l’enjeu de notre première année (2004/2005). On verra que ce n’est pas une affaire simple. Car la tentation d’user des vieux noms, y compris ceux qui furent honorables (“ révolution ”, “ anticapitalisme ”, “ mouvement social ”…), ou de faire revenir comme appui les vieilles assises communautaires (“ arabe ”, “ français ”, “ juif ”, “ occidental ”…), ou de ne plus trouver d’issue que dans des amalgames (de la politique et de l’art, de l’art et de la vie, de la science et de la technique, de la répétition et de la création, de l’amour et de la jouissance, de la jouissance et de l’art…), tout cela fait partie de la confusion elle-même. Tout de même que décider que le temps est celui d’un oubli ou d’une décadence ne nous fait guère avancer. Car il importe de situer affirmativement, ou selon le possible propre qui est le sien, ce moment, le nôtre, dont l’apparaître est celui de l’immédiat sans concept. Dans la méthode proposée, “ Que se passe-t-il ? ” et “ Que faire ? ” ne sont pas des questions discernables. Cette première année sera aussi celle de la sortie de mon livre, le Siècle, consacré au vingtième du nom. La deuxième année (2005/2006), nous examinerons, nous expérimenterons, quelques concepts fondamentaux requis pour nous tenir définitivement à distance de ce qui aujourd’hui nous aspire, comme des sables mouvants, vers le consentement à notre propre disparition mentale. Matériaux, machines et fondations. Cette seconde année sera aussi celle de la sortie de mon livre Logiques des mondes, où je fais théorie de ces matériaux et de ces machines. La troisième année (2006/2007) proposera une doctrine que, à défaut de la dire du salut, ce qui fait spiritualiste, on nommera de la liberté nouvelle. Car ce dont il est question, de bout en bout, peut aussi se dire : quelles sont les conditions contemporaines de la liberté ? Ces conditions sont aujourd’hui difficiles à repérer, difficiles à penser, difficiles à tenir. La joie n’en est pas moins de constater que la philosophie peut les repérer et les penser, apportant ainsi sa contribution à ce qu’il soit possible de les tenir. I. 2004-2005 (transcription de François Duvert) Octobre 2004 ......................................................................................................................................................................... Novembre 2004....................................................................................................................................................................1 Décembre 2004....................................................................................................................................................................2 Janvier 2005 ........................................................................................................................................................................3 Intervention de Mehdi Belhaj Kacem .............................................................................................................................4 Février 2005.........................................................................................................................................................................4 Avril 2005 ............................................................................................................................................................................5 Mai 2005 ..............................................................................................................................................................................6 Juin 2005..............................................................................................................................................................................7 OCTOBRE 2004 (notes P. Gossart) Distribution d’une feuille reproduisant 5 textes de René Char. Titre : Qu’est-ce qu’une vérité quand tout est confusion ? (quelques dires de René Char) 1) Tout ce que nous accomplirons d’essentiel à partir d’aujourd’hui, nous l’accomplirons faute de mieux. Sans consentement ni désespoir. Pour seul soleil : le bœuf écorché de Rembrandt. Mais comment se résigner à la date et à l’odeur sur le gîte affichées, nous qui, sur l’heure, somme intelligents jusqu’aux conséquences ? Une simplicité s’ébauche : le feu monte, la terre emprunte, la neige vole, la rixe éclate. Les dieux-dits nous délèguent un court temps leur loisir, puis nous prennent en haine de l’avoir accepté. Je vois un tigre. Il voit. Salut. Qui, là, parmi les menthes, est parvenu à naître dont toute chose, demain, se prévaudra ? (Contre une maison sèche, in Le Nu perdu, milieu des années soixante) 2) Certaines époques de la condition de l’homme subissent l’assaut glacé d’un mal qui prend appui sur les points les plus déshonorés de la nature humaine. Au centre de cet ouragan, le poète complètera par le refus de soi le sens de son message, puis se joindra au parti de ceux qui, ayant ôté à la souffrance son masque de légitimité, assurent le retour éternel de l’entêté portefaix, passeur de justice. (Seuls demeurent, 1938-44, in Fureur et mystère) 3) L’éternité n’est guère plus longue que la vie. (Feuillets d’Hypnos, 1943-44, in Fureur et mystère) 4) Combien confondent révolte et humeur, filiation et inflorescence du sentiment. Mais aussitôt que la vérité trouve un ennemi à sa taille, elle dépose l’armure de l’ubiquité et se bat avec les ressources mêmes de sa condition. Elle est indicible la sensation de cette profondeur qui se volatilise en se concrétisant. (même référence que la précédente) 5) La liberté n’est pas ce qu’on nous montre sous ce nom. Quand l’imagination, ni sotte ni vile n’a, la nuit tombée, qu’une parodie de fête devant elle, la liberté n’est pas de lui jeter n’importe quoi pour tout infecter. La liberté protège le silence, la parole et l’amour. Assombris, elle les ravive ; elle ne les macule pas. Et la révolte la ressuscite à l’aurore, si longue soit celle-ci à s’accuser. La liberté, c’est de dire la vérité, avec des précautions terribles, sur la route où TOUT se trouve. (Après, 1958, in Recherche de la base et du sommet) Je voudrais commencer par un point qui nous frappe… Vous savez que 1980 a été l’année de la mort de Sartre, qui était en un certain sens la clôture de quelque chose. Sartre, c’était au fond la philosophie française dans l’avant-après-guerre, entre les années trente, la fin des années trente, la guerre, la résistance, les années cinquante et la question du communisme et des guerres anti-coloniales. Et Sartre est mort en 80. Et puis, ensuite, sont morts successivement, comme vous le savez, dans les années 80, Lacan et Foucault. Et puis, dans les années 90, Althusser, Lyotard et Deleuze. Et puis voici que meurt Jacques Derrida. La période qui a identifié les années 60 se concentre en un moment, peut-être singulièrement ce qui se passe entre 64 et 68, 65 et 68… C’était véritablement un moment, c’était comme une fulgurance. Eh bien la génération philosophique qui a identifié ce moment, qui l’a constitué, qui en a été le repérage et en même temps la production, a à peu près complètement disparu. Au fond, il n’y a maintenant que, tutélaire, retiré, un peu comme un très vieil homme impassible, il n’y a plus que Lévi-Strauss. Et alors voilà : ça vient d’arriver, l’achèvement de cela, l’achèvement d’un temps de mort, qui est un temps de mort non pas tant au sens empirique, que la mort de ceux qui avaient signé quelque chose. La mort d’une signature historique, d’une signature temporelle. En dehors naturellement du constat toujours impressionnant de ce qu’un moment historique ainsi signé disparaît, le sentiment qui me vient tout de suite après, qui n’est pas un sentiment triomphal, c’est que nous sommes les vieux désormais. Alors nous ! Qui nous ? Eh bien ça a un sens assez précis. Nous sommes les vieux, ça veut dire : nous, nous qui avons été des disciples immédiats de ceux qui ont disparu, nous qui avions, dans ces années-là, entre 65 et 68, entre vingt et trente ans. Et alors voilà, nous advenons, nous sommes les anciens. Les anciens pour ceux qui en ont hérité, ceux au fond dont la jeunesse a été de se constituer dans cette période. En plus je peux dire, c’est un peu narcissique, mais je peux dire que je suis le vieux ! Parce que j’ai quelques années de plus que les autres. Et donc voilà, je me dis, je suis découvert devant vous comme le vieux. Et alors le vieux doit dans un premier temps rendre hommage à tous, sans exception, qui, ayant malheureusement et prématurément disparu… Beaucoup de ces hommes ne sont pas morts très vieux. La vieillesse est essentiellement relative, mais presque aucun d’entre eux n’a dépassé soixante-quinze ans. Excepté Lévi-Strauss qui est dans le vieil âge. Alors il faut rendre hommage à tous ceux-là qui ont disparu et qui nous constituent comme les vieux. Jusque-là nous étions dans leur abri, nous étions dans leur bénévolance, nous étions sous leur protection spirituelle. Ils ne nous la proposent plus et donc nous ne sommes plus séparés du réel, par rien. Voilà. Alors, je veux donc commencer vraiment et très profondément par un hommage à uploads/Philosophie/ badiou-orienter-dans-la-pensee.pdf
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- Publié le Oct 21, 2022
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